Les élections générales sud-africaines se sont tenues le 8 mai dernier dans un climat difficile pour les forces de progrès, du fait d’un fort ralentissement de l’économie et d’une profonde crise politique. Celle-ci est notamment due à la corruption du précédent gouvernement mené par le président Jacob Zuma, contraint à la démission en février 2018 et actuellement poursuivi devant la justice, accusé d’avoir perçu 260 000 € de pots-de-vins de l’entreprise française Thales.
Bien que l’ANC (Congrès national africain), soutenue notamment par le Parti communiste SACP, ait une nouvelle fois remporté le scrutin et Cyril Ramaphosa été confirmé à la tête de l’Etat, celui-ci a obtenu son score le plus bas depuis l’établissement de la démocratie, avec 57,5% des voix.
Afin d’analyser ces résultats et la situation dans l’une des principales puissances africaines, Avant-Garde s’est entretenue avec Tinyiko Gift Ntini, secrétaire national de la Ligue des jeunes communistes d’Afrique du Sud (YCLSA).
Comment analysez-vous les résultats des dernières élections ?
Les élections générales de 2019 ont été les plus difficiles que nous ayons jamais eues. Ceci est dû à des facteurs internes et externes. Alors que pour les élections de 2014, 27 partis s’étaient présentés, ce chiffre est monté à 48 cette année, et il est très clair que certains étaient financés par les impérialistes, car l’objectif de l’alliance menée par l’ANC était de former un sixième gouvernement via une coalition.
Au sein-même de ce mouvement, s’est produite une contre-attaque, menée par les représentants des vestiges de la bourgeoisie parasitaire, qui ont fait campagne pour que l’Alliance menée par l’ANC obtienne un résultat inférieur à 50%, ce qui leur aurait permis de négocier une coalition sous certaines conditions. Et en effet, notre résultat a été en baisse dans toutes les provinces et au plan national.
Dans tout le continent se présente une tendance au dépérissement des anciens mouvements de libération, après deux décennies au pouvoir. Les politiques de l’argent, du népotisme et de pillage des ressources de l’Etat sont parmi les facteurs qui ont conduit notre peuple à perdre confiance dans le mouvement.
Le SACP et sa branche de jeunesse, la YCLSA, ont joué un rôle crucial pour permettre la victoire du mouvement. Néanmoins, nous faisons face à une situation de déni au sein de l’ANC lorsqu’il s’agit de s’attaquer à certaines des tendances que nous avons mentionnées. Il y a toujours des factions concurrentes, qui ont parfois porté des messages différents au cours de la campagne, ce qui a eu un effet sur la consolidation de l’unité de l’organisation.
L’ANC, l’organisation qui mène l’alliance, échoue à s’adapter au changement d’époque, à devenir plus un parti politique qu’un mouvement de libération. La jeunesse d’aujourd’hui ne peut plus être entraînée par l’histoire du mouvement, mais veut voir des actions qui s’attaquent aux défis persistants de la pauvreté, du chômage – qui touche surtout les jeunes – et des inégalités.
Les questions de la corruption, du développement économique et des inégalités raciales ont été au centre du débat électoral. Quelle sont les propositions et actions des communistes pour s’attaquer à ces défis ?
C’est le SACP qui a dénoncé le premier ce que nous avons appelé la “Capture corporative de l’Etat par le réseau parasitaire”, ou en termes plus simples, la “Guptarisation de l’Etat” [du nom de la famille Gupta, à la tête d’un empire industriel et au centre du scandale de corruption visant l’ancien président Jacob Zuma]. Au cours des deux mandats précédents, nous avons assisté à une lutte entre le capital émergent et le capital établi et, à travers cette capture de l’Etat, les entreprises publiques se sont effondrées et l’Alliance n’a plus été consultée. Il s’agissait essentiellement d’un Etat-fantôme, dans lequel les nominations des ministres étaient davantage influencées par la famille Gupta que par l’Alliance.
Nous avons les premiers demandé une enquête judiciaire sur la capture de l’Etat et à l’heure où nous parlons une commission est occupée à entendre les diverses figures politiques et les citoyens qui fournissent des preuves sur le nombre de ministères et d’entreprises publiques touchés.
Nous avons appelé à passer à une phase plus radicale de notre Révolution démocratique nationale, qui devra chercher à transformer notre structure économique. Nous avons anticipé cela avec la mise en place des BRICS, afin de permettre une voie alternative à celle indiquée par les puissances occidentales, même si celles-ci se sont désormais largement infiltrées avec l’émergence de Bolsonaro et Modi au Brésil et en Inde.
En tant que YCLSA, nous avons élaboré un Manifeste de la jeunesse, qui cherche à exprimer la nécessité de former des fronts de jeunes afin de s’attaquer à tous les défis auxquels nous faisons face nationalement. Nous préparons actuellement le rassemblement du mois de la jeunesse, lors duquel nous nous adresserons à nos adhérents et aux jeunes en général pour analyser la crise économique actuelle et étudier de possibles solutions. Parmi les questions-clefs se trouve l’économie des informations personnelles (data economy), qui a réellement handicapé les jeunes dans notre pays.
Maintenant que les élections sont terminées, quels sont les objectifs de la YCLSA ?
Dans le domaine de la politique partidaire, la YCLSA a été aux avant-postes pour demander que le SACP dispute les élections en dehors de l’alliance avec l’ANC, en tant qu’avant-garde de la classe ouvrière, afin de construire un front de gauche populaire amenant un changement radical de paradigme dans la vie politique sud-africaine.
Nous voulons aussi promouvoir et rationaliser le développement de la jeunesse, dans le cadre du Plan national de développement et du Cadre stratégique de développement de la jeunesse. En lien avec l’Agence national de développement juvénile, nous étudions différentes façons d’aider les jeunes, surtout par l’établissement de coopératives de jeunes, des expositions de métiers et des programmes de bourses éducatives, particulièrement avec le gouvernement chinois.
A travers notre série de conférences pour les jeunes, nommées Jeudis Bua, nous abordons de nombreux sujets touchant la société et le pays dans son ensemble. Nous invitons des conférenciers qui représentent divers secteurs de notre société.
Nous sommes prêts à approfondir, défendre et faire avancer la Révolution démocratique nationale, en abordant plus particulièrement la violence de genre, qui est très répandu, les meurtres absurdes de personnes albinos, et le progrès de la lutte pour l’égalité des genres, en travaillant notamment avec la communauté LGBTQI.
Nous avons mis en place une Commission d’éducation politique et d’enseignement idéologique, qui intensifiera l’éducation politique dans toutes nos structures, afin de maintenir le caractère de la YCLSA comme formation de jeunesse marxiste-léniniste. Nous disposons en ce sens de Bottomline, notre journal en ligne.