Élections en Côte d’Ivoire : analyse d’une parodie d’élection

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Élections en Côte d’Ivoire : analyse d’une parodie d’élection

Après les résultats des élections en Côte d’Ivoire du 31 octobre, affichant la victoire de Alassane Ouattara s’étant octroyé 94% des votes et qui briguera un troisième mandat, entretien avec Félix Atchadé, Co-responsable du Collectif Afrique du PCF et spécialiste de la géopolitique en Afrique de l’Ouest.

Pourrais-tu revenir tout d’abord sur le contexte politique dans lequel se sont déroulées les élections en Côte d’Ivoire ce 31 Octobre ?

Dix ans après la guerre née de la crise postélectorale de 2010, la Côte d’Ivoire, dont le tissu social est distendu, vit un nouvel épisode de tensions, depuis l’annonce le 6 août 2020, de la candidature du président sortant, Alassane Ouattara, à un troisième mandat. Cette candidature a été contestée par les opposants. Lesquels ont appelé le peuple à « s’y opposer par des manifestations ». La répression par les forces de l’ordre, aidées par des miliciens appelés « microbes » et armés de gourdins et de machettes, ainsi que des affrontements entre des opposants et des groupes soutien au pouvoir, ont provoqué la mort de plusieurs dizaines de personnes, des centaines de blessés, des destructions de biens publics et privés. Ces violences ont été accompagnées par de nombreuses interpellations, voire des enlèvements, avec à la clé l’incarcération de plusieurs responsables de l’opposition et de la société civile, dont Pulchérie Gbalet de l’ONG Alternative citoyenne ivoirienne (ACI), Anne Marie Bonifon de Génération et peuples solidaires (GPS) et plus récemment, Koua Justin, secrétaire général adjoint du Front patriotique ivoirien (FPI), actuellement détenu à la prison de Boundiali, dans le nord de la Côte d’Ivoire.

La candidature d’Alassane Ouattara est une volte-face, car il avait annoncé le 5 mars 2020 devant le Congrès du parlement ivoirien qu’il ne serait pas candidat à l’élection présidentielle du 31 octobre 2020 et qu’il passait la main à la jeune génération. Dans les minutes qui ont suivi cette annonce, Emmanuel Macron twittait : « Je salue la décision historique du président Ouattara, homme de parole et homme d’État, de ne pas se présenter à la prochaine élection présidentielle ».

Cette candidature en dehors des questions éthiques qu’elle soulève est contestable d’un point de vue juridique et pose de graves problèmes politiques. Sur le plan juridique, la Constitution ivoirienne en ses articles 55 et 183, limite à deux, le nombre de mandats à la tête de l’État. Il n’y a pas de discussion à ce niveau. Le Conseil constitutionnel ivoirien qui a validé la candidature de Ouattara le sait tellement qu’il n’a pas cherché des arguments juridiques pour justifier sa décision.

Sur le plan politique, il ne faut pas perdre de vue que Ouattara manque de légitimité. Il est au pouvoir par la volonté l’État français qui l’a installé à la tête de la Côte d’Ivoire au prix d’une guerre dont l’histoire reste à écrire. C’est un ultra-libéral. Sa politique depuis 2011 en témoigne : 5% des habitants ont profité d’un accaparement des richesses quand près de la moitié sont totalement laissés pour compte. Il a toujours gouverné en polarisant la société et n’a rien fait pour pacifier le l’expression des contradictions politiques. Son intérêt politique et sans doute sa nature profonde l’empêchent d’envisager de discuter avec ses adversaires. Pourtant les demandes de dialogue n’ont pas manqué !

Quelle analyse fais-tu des résultats et de la réaction de l’opposition à Ouattara ?

C’est une parodie d’élection. Une mascarade absolue ! Avec un bourrage des urnes, et l’utilisation de la violence militaire et paramilitaire envers les opposants qui appelaient à la désobéissance civile. Alassane Ouattara a décidé de s’octroyer 94 % comme dans les années 1970, le temps du parti unique !! La Mission internationale d’observation électorale (MIOE) de l’Electoral Institute for sustainable democracy in Africa (EISA) et du Centre Carter a publié au lendemain de « l’élection » un rapport au titre évocateur : « Un scrutin non inclusif et boycotté qui laisse un pays fracturé »

La réaction de l’opposition est légitime parce que les conditions d’un scrutin ouvert, transparent et inclusif ne sont pas réunies. Dans une dictature telle que celle instaurée en Côte d’Ivoire depuis avril 2011, les marges de manœuvre de l’opposition sont très réduites. Déjà les candidats ont été choisis sur la base de calculs « ethniques » comme il peut en sortir de l’esprit de quelqu’un comme Ouattara. Il n’est pas démocrate et est hostile à l’idée de citoyenneté.

Quelles perspectives pour les Ivoiriens dans la période à venir après cette réélection pour un troisième mandat consécutif ?

La période qui s’ouvre est porteuse de périls pour la paix dans le pays et la sous-région. Alassane Ouattara a polarisé la société ivoirienne. Il a transformé les contradictions politiques en enjeux communautaires. Pour son intérêt politique, il se présente en défenseur des musulmans et de nordistes qui seraient sans sa présence à la tête l’État « discriminés ». Dans les faits la politique ultralibérale qu’il a mené ces dix dernières années n’a été nullement à l’avantage des classes populaires. Le nord de la Côte d’ivoire comme le reste du pays, l’immense majorité des musulmans partagent le sort des autres Ivoiriens. Le « forte croissance » ivoirienne tant vantée est extravertie et appauvrissante pour le plus grand nombre. Elle est captée par la clique affairiste et corrompue au pouvoir et les réseaux de la Françafrique et repart de la Côte d’Ivoire vers les paradis fiscaux et l’Europe. Selon la Banque mondiale, qu’on ne peut pas soupçonner d’être hostile à Ouattara, près de la moitié des Ivoiriens (46.1 %) vivent en situation de pauvreté multidimensionnelle et 17.6 % de plus sont vulnérables.

Depuis le samedi 31 octobre 2020, les opposants montent chaque jour d’un cran dans la défiance envers le pouvoir. Ils ont successivement déclaré que le pouvoir est « vacant ». Le lendemain, ils allaient plus loin, et annonçaient la mise en place d’un Conseil national de transition, présidé par Henri Konan Bédié et, pour la suite, un gouvernement. Ils appellent leurs supporters « à rester mobilisés ». Le pouvoir quant à lui se fait menaçant et accuse de « complot contre l’autorité de l’Etat » et « sédition » les opposants. Le pays se dirige vers l’impasse et si on y prend garde des troubles très meurtriers.

Comment analyses-tu la responsabilité et le rôle de la France dans la période ?

J’aime bien ta question. Je vais y répondre sans langue de bois. Nous sommes des militants communistes donc des internationalistes. Notre devoir commande d’être sans complaisance avec l’impérialisme de notre pays. Nous ne devons pas prêter le flanc à un quelconque chauvinisme. L’impérialisme français en Afrique, n’a rien à envier celui des yankees en Amérique du sud. Il est tout autant détestable et le devoir du militant communiste est de le combattre.

Alassane Ouattara est un dictateur dans la lignée des Omar Bongo, Gnassingbé Eyadema etc.. La dictature ivoirienne a été installée et est soutenue par la France.  En Côte d’Ivoire, à tous les étages de l’appareil étatique, il y a des conseillers français payés par le contribuable français. Une base militaire veille sur le dictateur. Il y a quelques semaines, en Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, à la question du député communiste Jean-Paul Lecoq : « la France compte-t-elle s’exprimer sur la répression qui s’abat sur les démocrates ivoiriens ? », le ministre Jean-Yves Le Drian a répondu… « qu’un processus démocratique est en cours en Côte d’Ivoire ». Drôle de démocratie où un ex-chef d’Etat est exilé sans passeport (Laurent Gbagbo). Un ex-Président de l’Assemblée nationale est exilé et condamné. Des députés emprisonnés sans jugement. Des militants politiques et associatifs croupissent en prison ou dans des lieux de détention illégaux. Un ex-président sur le point d’être arrêté. Cette déclaration de Jean-Yves Le Drian est l’assurance tout risque pour le satrape d’Abidjan. Le sens est : les gars allez-y, réprimez comme vous l’entendez, le parapluie diplomatique français est ouvert et vous protégera des averses. Mais c’est un jeu dangereux pour nos deux peuples. Cela peut amener à de la violence et un chaos qui ne profiteront à personne. D’où notre cri d’alarme pour que la France officielle change d’attitude

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