À l’approche d’une échéance internationale capitale, les Sahraouis se mobilisent pour faire entendre leurs voix. Entretien avec Ali Roubiou dirigeant de l’Union de la jeunesse sahraouie.
Samedi dernier, le 12 octobre, se tenait place de la République à Paris le plus important rassemblement de Sahraouis et de leurs soutiens depuis des années. Une démonstration de force à quelques jours du vote par le Conseil de sécurité de l’ONU de la prolongation du mandat de la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO). Une échéance importante pour l’avenir de la « dernière colonie d’Afrique », dont une partie du territoire est occupée par le Maroc depuis 1975.
Ali Roubiou, membre du groupe technique du département des relations extérieures l’Union de la jeunesse sahraouie (UJSARIO), présente la situation et les enjeux pour Avant-Garde.
Le 30 octobre, le Conseil de sécurité doit renouveler le mandat de la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO). Dans quel contexte se déroule ce vote ?
Dans un premier temps, je souhaite vous remercier de m’avoir donné la possibilité de m’exprimer et de donner une opinion sur la cause nationale. En ce qui concerne le contexte dans lequel le mandat de la MINURSO a été renouvelé par le Conseil de sécurité, il est fondé sur la résolution 2648 précédente, en vue de renouveler le mandat de la Mission, qui expirera le 31 octobre.
Cette procédure était autrefois annuelle, mais l’année dernière, elle n’a été prolongée que de six mois à la demande des États-Unis. Ceux-ci considèrent que les opérations de maintien de la paix ne s’acquittent pas des tâches qui leur sont confiées et que cela est une simple perte de temps et d’argent. De plus, le plan de l’ancien envoyé du secrétaire général, le président Horst Köhler [NdlR : Horst Köhler a été président de l’Allemagne de 2004 à 2010], a donné un nouveau format et créé une nouvelle dynamique pour faire avancer le processus de règlement des Nations unies vers une solution juste qui garantisse le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination.
Cependant, cet élan donné par Köhler n’a pas eu de suite en raison de nombreux facteurs. Notamment suite à la démission de Köhler dû à des problèmes de santé après confirmation du secrétaire général des Nations Unies. Mais aussi du fait des positions de certains membres du Conseil de sécurité, qui ont exercé de fortes pressions pour que l’envoyé spécial n’aille pas à bout de son projet de paix. Celui-ci avait réussi à amener les deux parties du conflit, le Front Polisario et le Maroc à la table des négociations à Genève avec la présence de la Mauritanie et l’Algérie en tant que voisins et observateurs du processus politique.
Quelles sont les attentes et demandes des Sahraouis pour ce nouveau renouvellement ?
Le renouvellement de six mois consiste pour nous à maintenir l’élan donné à la cause par l’ancien émissaire Horst Köhler. C’est ce que le secrétaire général de l’ONU a préconisé dans son récent rapport au Conseil de sécurité. Cela fait partie de ce que nous voyons pour éviter de mettre le conflit dans les limbes pendant toute une année comme auparavant. Cela restaurera également une partie de la confiance dans l’ONU que le peuple sahraoui a perdue, en particulier la jeunesse. Par ailleurs, le maintien de cet élan et un renouvellement pour six mois réduiront considérablement la tension entre les deux parties au conflit, surtout au niveau du mur de la honte [NdlR : mur de sable élevé par le Maroc dans les territoires occupés, d’une longueur de 2720 km] et de la région d’El Guerguerat, qui est devenu une grave menace pour le fragile plan de paix et la série de règlements internationaux, ce qu’a confirmé le secrétaire général dans son dernier rapport.
Malgré tout, les attentes risquent d’être déçues, voire d’être contraire de ce que à quoi les défenseurs de la paix aspirent, surtout en l’absence d’un nouvel envoyé des Nations unies. Mais aussi à cause des tentatives insistantes de la France depuis la première annonce d’un renouvellement de six mois au lieu d’un renouvellement d’un an. C’est le seul membre du Conseil de sécurité à avoir rejeté cette proposition. Le but est dramatiquement clair : abandonner la question sahraouie aux préoccupations et priorités du Conseil de sécurité et l’éloigner des projecteurs. Cela reflète une nette convergence entre la position de la France et le régime marocain d’occupation, qui vise à imposer le fait accompli en maintenant la situation telle qu’elle est, obligeant le peuple sahraoui à se rendre et créant un état de désespoir parmi la communauté internationale, afin que celle-ci abandonne son intérêt à la cause sahraouie en tant que question de la décolonisation incomplète.
Les autorités marocaines mettent en avant un programme de développement économique pour les territoires occupés et un plan d’autonomie, qu’elles présentent comme alternative à l’autodétermination. Quelle est votre position sur ces arguments ?
En ce qui concerne ce que l’occupation marocaine qualifie de projet de développement économique, celui-ci n’existe que sur le papier. Les autorités marocaines évoquent trois domaines où elles prétendent mettre en œuvre des projets de développement (éducation, santé, travail), mais les faits montrent une autre réalité.
Sur le plan de l’éducation, malgré les vastes ressources naturelles de la région, depuis son occupation par le Maroc, aucune université ni institut supérieur n’a été construit. Cela oblige les étudiants sahraouis à se déplacer vers les villes marocaines pour poursuivre des études supérieures.
Au niveau de la santé, malgré l’importante densité de population dans les grandes villes comme Laâyoune, celles-ci ne disposent pas d’hôpitaux multispécialités comme ceux d’Agadir, Marrakech et Casablanca. Les hôpitaux du Sahara occidental restent les pires et ne peuvent fournir un traitement adéquat aux patients. Par exemple, pour une intervention chirurgicale mineure, les Sahraouis doivent se rendre au Maroc, à au moins 600 kilomètres de la ville la plus proche.
Enfin, le travail. Sur la côte de 1200 km, il y a environ trois ports et des dizaines de villages de pêcheurs, en plus d’une mine de phosphate et de fermes. Cependant, malgré l’énorme quantité de ressources, cela n’a pas permis aux Sahraouis de trouver un emploi. Les statistiques suivantes, enregistrées en 2017, concernent uniquement les personnes qui ont diplôme universitaire et qui sont membres des comités de chômeurs : 12 000 chômeurs à Laâyoune occupée, 8000 à Smara occupée, 7200 à Boujdour occupé, 9500 chômeurs à Dakhla occupé.
En résumé, on sait très bien qui prétend qu’il y a un développement au Sahara occidental : la première catégorie est un groupe de partisans de l’occupation qui jouissent de privilèges grace aux fausses déclarations qu’ils répètent chaque année devant le Parlement européen, le Conseil des droits de l’Homme et les réunions de la Quatrième Commission des Nations unies. La deuxième catégorie, ce sont les responsables des institutions de sécurité qui reçoivent des incitations à continuer à commettre des crimes contre l’humanité et des violations des droits fondamentaux des civils sahraouis particulièrement des défenseurs des droits de l’Homme, des syndicalistes et des journalistes. Ceci s’ajoute à l’utilisation des revenus matériels tirés des ressources naturelles du Sahara occidental pour acheter les positions de certains pays, personnalités politiques et lobbyistes travaillant au sein de l’Union européenne et des organismes des Nations unies à New York et à Genève.
Pour illustrer, à titre d’exemple simple, si l’occupation marocaine avait réellement introduit des projets de développement humain et économique, pourquoi alors des milliers de Sahraouis ont-ils fui les villes des territoires occupés et construit le camp de Gdeim Izik pour protester et revendiquer leurs droits économiques, sociaux et politiques en 2010 ? Nous avons suivi comme tout le monde la réaction des autorités d’occupation marocaines envers les manifestants, l’attaque militaire dans la nuit du 8 novembre visant à démanteler le campement de Gdeim Izik. Il en a résulté l’assassinat de quatre citoyens sahraouis et l’arrestation d’environ 200 personnes. Vingt-quatre d’entre elles ont été transférées vers la capitale marocaine et condamnées à trente ans de prison ferme ou à la réclusion à perpétuité, après avoir été soumises aux pires formes de torture physique et psychologique, comme l’a confirmé le Comité des Nations unies contre la torture dans sa résolution de 2016.
S’agissant de la deuxième partie de la question, à propos de la proposition d’autonomie, ou en d’autres termes, de l’autonomie sous souveraineté marocaine, n’est pas une solution absolue et n’a aucune base dans le droit international, qui considère que le Maroc n’a aucune souveraineté sur le Sahara occidental, comme l’a confirmé l’Assemblée générale des Nations unies dans sa résolution n° 34/37 du 4 décembre 1979. Une position également confirmée par la Cour de justice européenne dans ses trois arrêts de 2016 et 2018. D’autre part, la proposition du Maroc contredit l’exigence fondamentale du Conseil de sécurité, qu’il a affirmée et réitérée dans toutes ses résolutions, déclarant qu’une solution pacifique et définitive devait garantir le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination.
Quelle est la position de la France et des pays de l’UE ?
En fait, tous les gouvernements français ont eu la même attitude honteuse, qui n’est nullement compatible avec les principes de la République et de la Révolution française. Nous sommes conscients des relations diplomatiques entre les pays et nous n’avons jamais été contre les relations entre la France et le Maroc, mais le problème, c’est que ces relations reposent sur le détriment du peuple sahraoui et de ses droits politiques. Depuis la période de la lutte armée, la France est le premier soutien du Maroc, militairement puis politiquement au niveau de l’Union européenne, en faisant pression sur les pays européens pour aller dans le sens contraire des lois internationales et européennes et pour voter en faveur de la signature d’accords commerciaux et économiques avec le Maroc, incluant le territoire du Sahara occidental occupé et ses ressources naturelles.
De même, au niveau du Conseil de sécurité, la France continue de s’opposer à toute résolution ou proposition susceptible de faire pression sur le Maroc pour mettre fin au conflit. Elle a ainsi rejeté une proposition des États-Unis en 2013 d’élargir le mandat de la MINURSO pour la surveillance des droits humains, ce qui a largement déçu le peuple sahraoui (cette décision n’a pas d’autre explication que l’hostilité de la France envers le peuple sahraoui). Comment la France, qui prétend assurer le respect des droits de l’Homme dans différents pays du monde, peut-elle utiliser le droit de veto contre une proposition de créer un mécanisme indépendant des Nations unies chargé de surveiller le respect des droits humains dans le territoire du Sahara occidental occupé par les forces armées marocaines ? Un territoire classé par les organisations de défense des droits humains comme une zone noire en raison de crimes commis par les services de sécurité marocains contre les civils sahraouis, ce qui est confirmé par le Haut-commissariat des droits de l’Homme des Nations unies.
Pour les pays de l’UE, la situation reste divisée entre, d’une part, ceux qui refusent de violer la légitimité internationale au Sahara occidental occupé et sont conscients la nécessité de respecter le droit international et de ne pas impliquer les institutions européennes dans ce conflit complexe et, d’autre part, la France, l’Espagne et la Belgique, qui s’opposent à cette position et ont mobilisé toute leur diplomatie pour faire pression sur les autres pays et les organes de l’Union européenne pour les pousser à rejoindre leurs rangs, conduisant l’exécutif européen à s’impliquer dans le crime de pillage des ressources du peuple sahraoui en complicité avec l’occupation marocaine. Ceci contribue à la prolongation du conflit et surtout aux souffrances du peuple sahraoui, divisé en deux parties entre les camps de réfugiés et les territoires occupés, qui sont séparés par le mur de la honte, truffé de milliers de mines antipersonnel.