A Toulouse, “nous luttons contre la fusion des universités”

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A Toulouse, “nous luttons contre la fusion des universités”

Suite au vote par les conseils d’administration des 3 universités toulousaines, au mois de janvier, du projet de fusion TIRIS, l’Avant Garde interroge Raphaël Montazaud, élu communiste siégeant au conseil d’administration de l’université Toulouse 2 Jean Jaurès. L’enjeu est de taille : l’avenir de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.

Peux-tu me parler du projet de fusion des universités à Toulouse ? 

Ce projet s’inscrit dans la droite ligne du projet initié en 2018, celui qui a provoqué un blocus de plusieurs mois conduisant au retrait du projet. Le projet porte le nom de TIRIS pour Toulouse Initiative for Research Impact on Society (Initiative toulousaine pour l’impact de la recherche sur la société). 

D’après les initiateurs de ce projet, dont Patrick Levy connu pour avoir réussi à fusionner les universités grenobloises, ce projet vise à créer une grande université de recherche à Toulouse, partant du postulat que les recherches aboutissant aujourd’hui sont peu ou mal valorisées. L’idée est de valoriser la “marque” toulousaine et de permettre la recherche interdisciplinaire. Cette fusion implique, principalement, les 3 grandes universités toulousaines (UT1, UT2, UT3) ainsi que 3 écoles d’ingénieurs. Enfin, ce projet vise à répondre à l’appel à projet dans le cadre du PAI 4 et ainsi obtenir des financements. 

Concrètement, qu’est-ce que ça pose pour la recherche d’une part, mais d’autre part qu’est-ce que ça pose pour les étudiants et les étudiantes, le personnel enseignant et administratif ?

Pour la recherche, cela implique une mise sous tutelle des laboratoires sous la houlette d’une grande structure toujours plus éloignée des Unités de Formation et de Recherche. Concrètement, les enseignants chercheurs vont perdre en autonomie alors que l’on sait depuis longtemps que la réussite de la recherche dépend de la liberté du chercheur et qu’on ne fait pas, ou peu, de découverte sous la contrainte. 

Concernant les étudiants, la formation va être impactée par l’hybridation des cursus. Nous avions déjà un problème concernant les formations dispensées à l’université : sous la même étiquette, par exemple celle de licence d’histoire, le contenu variait d’un établissement à l’autre, empêchant le diplôme d’être national et conditionnant sa valeur au prestige de l’établissement. Avec cette hybridation des formations, c’est l’étiquette même qui va changer, atomisant encore un peu plus l’unicité des diplômes sur le territoire. 

Pour les enseignants chercheurs, ils vont passer encore plus de temps qu’aujourd’hui à chercher des financements au lieu de dispenser des cours ou de superviser des projets de recherche. Enfin, il y a aussi un problème avec la forme que prend le projet. Ce dernier prend la forme d’une expérimentation qui doit aboutir en 2028. Cela pose question sur le futur de ce projet. Nous pensons que cette fusion de la recherche n’est qu’un premier pas vers la perte de la souveraineté des établissements, ce qui est gravissime d’un point de vue démocratique.

De quelle manière s’inscrit ce projet de fusion des universités toulousaines dans un projet plus global de casse du système universitaire ?

La tendance dans l’enseignement supérieur et la recherche est de créer d’énormes structures regroupant des dizaines de milliers d’étudiants (voire plus de cent mille pour Toulouse), tout ça dans le but de gagner quelques places dans le classement de Shanghai. 

Les universités aujourd’hui sont mises en concurrence les unes contre les autres. Chaque établissement cherche à avoir les meilleures subventions, les labels les plus prestigieux (IDEX pour initiative d’excellence par exemple). 

Ce projet de fusion montre aussi comment est vue la recherche par le pouvoir actuel.  Il faut distinguer deux types de recherches, la recherche fondamentale et la recherche d’ingénierie qui vise des applications concrètes en s’aidant des découvertes de la recherche fondamentale, dans le but, surtout, de créer de nouveaux objets de consommation et de permettre aux entreprises de dégager des profits. 

On peut dire que l’université est mise au service du capital. Elle est également mise aux ordres du capital car souvent ce genre de projet de fusion implique l’intervention de personnalités extérieures, issues du monde de l’entreprise, au sein des instances dirigeantes comme le Conseil d’administration. 

Quelles ont été les positions des élu.e.s universitaires là-dessus ?

Il y a eu 3 types de réaction. Les enthousiastes, ayant une confiance aveugle dans le projet et ceux qui le portent. Les sceptiques qui avaient surtout un problème vis-à-vis de la forme expérimentale du projet et qui craignent que tout ceci ne débouche sur une fusion de plus grande ampleur, mais qui malgré tout saluaient le fond du projet TIRIS. Enfin, il y a eu les réfractaires, nous, qui trouvions que ce projet était déjà beaucoup trop problématique pour les université toulousaines. 

J’ai personnellement voté contre en conseil d’administration comme douze de mes collègues. Malheureusement, 18 représentants ont voté pour. 

Nos universités sont précieuses, trop précieuses pour être mises sous l’égide de logique libérale et capitaliste. Les défendre est notre devoir, que l’on soit élu, étudiant, enseignant chercheur, etc. A Toulouse, malgré le vote majoritaire en faveur du projet TIRIS, l’union des étudiants communistes continue de lutter contre. J’appelle tous mes camarades à faire de même dans leurs établissements si un projet de fusion se présente. Ne lâchez rien et ne vous faites pas avoir par les discours libéraux qui vous disent que c’est dans l’air du temps !


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