Allemagne, l’alliance de facto entre libéraux et néonazi ne passe pas

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Allemagne, l’alliance de facto entre libéraux et néonazi ne passe pas

Le ministre-président de Thuringe a été contraint à la démission moins de 24 h après avoir été élu avec le soutien de l’extrême droite AfD.

Une union face à la gauche de Die Linke

La Thuringe est un territoire de l’ex-RDA situé au centre de l’Allemagne. Après la réunification allemande, son économie a été marquée très profondément par la concurrence avec les entreprises de l’Ouest. Dirigé par la droite depuis 1990, le Lander avait porté au pouvoir une courte majorité de gauche lors des élections de 2014. L’occasion pour Die Linke (La Gauche) de compter un premier chef de gouvernement local.

Le scrutin d’octobre dernier a été marqué par une amélioration du score de Die Linke arrivé en tête avec 31 % des suffrages, en augmentation de 3 points par rapport à 2014. Toutefois l’arrivée de l’extrême droite en seconde position avec une AfD (Alternative pour l’Allemagne) avec 24 % des suffrages en augmentation de plus de 10 points par rapport au précédent scrutin. Les contre-performances du SPD (socialistes) et des Verts rendaient compliqué la formation d’un gouvernement, aucun bloc d’alliances traditionnel ne pouvant voire le jour de façon majoritaire.

La CDU avait réalisé son plus mauvais score avec 22 % des voix tandis que les libéraux entraient de justesse au parlement régional avec 5 % des voix. Aussi, l’élection du candidat des libéraux à la tête du gouvernement a été une surprise rendue possible uniquement par l’apport des voix de l’AfD, alors qu’il était plutôt attendu que la droite ne s’oppose pas à un gouvernement de gauche minoritaire.

Un choc retentissant en Allemagne

La nouvelle a rapidement déchainé les passions en Allemagne où une telle alliance n’a jamais été vue. L’AfD est un parti ouvertement raciste, développant un discours de haine « contre l’islamisation de l’Europe » et n’hésitant pas à afficher sa nostalgie pour le IIIe Reich. Rejetant le travail mémoriel effectué en Allemagne autour de la Seconde Guerre mondiale et de l’holocauste, le parti nourrit également des relations avec des mouvances néonazies criminelles.

Aussi l’élection du candidat libéral a immédiatement été dénoncée par la plupart des responsables politiques allemands. D’abord chez les conservateurs où les instances nationales de la CDU ont accusé la fédération locale de ne pas avoir respecté la règle de ne pas s’associer aux « nazis » de l’AfD. La chancelière allemande a également condamné l’élection depuis l’Afrique du Sud où elle se trouvait dénonçant une élection « impardonnable ». Le SPD a lui demandé des clarifications à la CDU avec laquelle il est allié au gouvernement fédéral. Die Linke a fortement attaqué le FdP sur les réseaux sociaux en pastichant ses visuels en leur prêtant le slogan suivant : « Mieux vaut gouverner avec les fascistes que ne pas gouverner du tout ».

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Le ministre-président sortant de Die Linke a lui été cherché dans l’Histoire pour critiquer la poignée de main du leader du FdP avec celui de l’AfD.

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La section locale de la CDU a, elle, cherché à justifier sa stratégie, plusieurs de ses cadres avaient appelé à avoir des discussions avec l’AfD justifiant que leur parti ne pouvait pas refuser de parler avec un quart des électeurs. Le président du FdP s’était, lui, félicité de l’élection d’un membre de son parti comme chef de gouvernement avant de faire finalement volte-face. Une position incompréhensible alors qu’un rassemblement s’est tenu devant le siège du parti à Berlin.

La suite

Sous pression, le ministre-président a annoncé sa démission. Les appels à de nouvelles élections pour renouveler le parlement de la région ont été formulés. Il faut encore qu’une majorité au parlement régionale l’approuve. Deux sondages, réalisés le 5 et 6 février, indiquent que Die Linke remporterait à nouveau le scrutin en améliorant son score. L’AfD se maintiendrait également. Pour les autres forces, les sondages se contredisent. Les Verts augmenteraient légèrement, le SPD pourrait voir son score augmenté ou baissé laissant planer le doute sur la possibilité de former une coalition majoritaire de gauche. La CDU baisserait un peu selon un sondage ou diviserait presque son score par deux selon un autre. Le FDP pourrait voir son score s’améliorer ou baisser et sortir du parlement.

Le choc provoqué par cette alliance n’est pas fini en Allemagne. L’attitude du CDU de Thunringe sera attentivement scrutée, tout comme celle des instances nationales du parti d’Angela Merkel. La collation CDU-SPD devrait se maintenir à l’échelle nationale, aucun des deux partis n’a réellement intérêt à provoquer des élections actuellement. Les intentions de vote pour l’AFD demeurent très élevées, tant au niveau national que local. L’arrivée de l’AFD et l’affaiblissement de la CDU et surtout du SPD pourraient contribuer à rendre difficile l’établissement d’une coalition de gouvernement fédéral pour lorsque la chancelière quittera son poste.

Ces enjeux d’alliances ne sont pas sans faire écho à ce qui se passe en France. Le cordon sanitaire autour du FN devenu RN parait de plus en plus fictif. Des alliances ponctuelles sont réalisées localement de façon plus ou moins assumée sans susciter la même levée de boucliers qu’outre-Rhin. 


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