Charlie Hebdo : les débuts d’un procès historique

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Charlie Hebdo : les débuts d’un procès historique
Le procès des attentats de janvier 2015 s’est ouvert depuis deux semaines. Le massacre de la rédaction de Charlie Hebdo a occupé la majorité de l’espace médiatique. Retour sur les premiers jours d’un procès historique. 

Le masque : un obstacle et une nécessité

Alors que le procès pénal repose beaucoup sur l’oral, la question du masque n’est pas un petit sujet. 

Le port du masque est un véritable obstacle à l’expression des avocats et des témoins ainsi qu’à leur compréhension. Il a été l’objet de plusieurs remarques et affrontements. Après une première décision permettant aux accusés et à leurs conseils de s’exprimer sans, le durcissement des mesures de protection sanitaire a conduit à un retour de son obligation. 

Toutefois il faut noter que la contamination d’un seul accusé pourrait conduire à la suspension de l’ensemble du procès. La plupart approchant de la limite légale de la détention provisoire, ça signifierait pour certains une remise en liberté avec un risque de fuite. 

Le procès intégralement filmé sera aussi donc le témoignage historique des impacts sur le quotidien de la crise sanitaire actuelle. 

L’examen de l’implication des accusés

Les récits des vies des accusés n’ont pas permis de répondre à la question cruciale de ce procès. Est-il celui d’authentiques complices de l’attentat ? La réponse appartient aux juges. Cependant, Charlie Hebdo est devenu le symbole des attaques djihadistes qui ont frappé la France. Le procès va être apprécié également comme la capacité du système judiciaire français à faire face à ces crimes, au-delà de la décision qui sera rendue. 

Les récits, rapportés par la presse, des vies des accusés ont surtout été marqués par des parcours délinquants, dans lesquels la violence est omniprésente. 

La pratique religieuse est également un élément qui a cristallisé les débats autour des personnalités des accusés. Les croyances, les rites pratiqués ne sont pourtant pas des éléments sur lesquels une condamnation peut être prononcée. Pourtant, la motivation des accusés dans la fourniture de l’aide financière et logistique aux trois terroristes appelle en partie à s’intéresser à la proximité idéologique des accusés avec les thèses djihadistes. Cette première partie du procès n’est pas encore consacrée au fond du dossier et après une passe d’armes entre avocats, le président du tribunal a renvoyé la question à un autre temps. 

D’après les éléments issus de ces journées à faire le récit de la vie des accusés, aucun parmi les présents ne semble avoir eu des pratiques religieuses « radicales ». La situation est différente pour Hayat Boumeddiene, mariée à Amedy Coulibaly dont les proches ont pu témoigner de l’intensité de la pratique religieuse. Par manque de temps, les profils de deux autres accusés, absents, n’ont pas été passés en revue. 

Peu de choses sont à retenir de cette première partie du procès centrée autour des profils des accusés. La délinquance, la violence et une certaine marginalité sont des traits communs, mais masquent une diversité de profils assez importante, entre de vieux bandits belges, des petits délinquants de région parisienne et des codétenus travaillant à la buanderie d’une prison. 

Survivre et revivre

La violence était également au cœur des interventions des victimes et leurs proches. Le film de la fusillade dans la rédaction a été projeté et la scène du carnage expliqué par un officier de police judiciaire. Des images décrites comme particulièrement violentes.

Les proches des décédés ont pu ainsi témoigner de leur perte. Le temps aussi de s’intéresser à l’ensemble des victimes, la lumière — nécessaire — mise sur les célèbres dessinateurs et collaborateurs du journal Charlie Hebdo a jeté de facto une ombre sur les autres. Les proches de Frédéric Boisseau, agent d’entretien abattu par les frères Kouachi ont ainsi pu grâce au procès rendre compte de l’absurdité de la mort d’un homme parti travailler tôt le matin et lâchement assassiné, par hasard.

La parole a également été donnée aux « survivants », terme préféré à celui de « victime » par Simon Fieschi, l’ancien webmaster de Charlie Hebdo. Premier membre du journal touché par les balles des terroristes, ses blessures l’ont laissé lourdement handicapé. Riss, le patron de Charlie Hebdo, touché à l’épaule, ne peut plus lever le bras. Fabrice Nicolino peine à marcher, il a marqué le procès en laissant éclater sa colère : 

« Les locaux de Charlie sont protégés comme si on était en état de siège ! En état de siège, à Paris ! C’est quoi ce pays ? »

D’autres n’ont pas eu de blessures physiques ce jour-là, mais resteront à jamais marqués tout de même par cette journée du 7 janvier. C’est le cas de Coco, dessinatrice, qui a été obligée par les frères Kouachi à les aider à rentrer dans les locaux de Charlie Hebdo. Singolène Vinson, chroniqueuse judiciaire et écrivaine, a raconté comment Saïd Kouachi lui a dit qu’il ne tuait pas les femmes et que ce qu’elle faisait était « mal ».

Charlie : la rédaction massacrée aveuglément et le journal satirique

Le procès a également été l’occasion de remettre dans le débat public les limites de la liberté d’expression. À plusieurs reprises, une grande colère a été exprimée dans les témoignages contre les critiques qu’a pu connaître Charlie Hebdo. Le commentaire de ces deux premières semaines du procès serait probablement incomplet sans s’y arrêter. 

La caricature par essence n’a pas vocation à plaire à tous. Pour être réussie, il est même probablement nécessaire que celle-ci déplaise à beaucoup. La critique sur l’opportunité de la publication d’une caricature ou son bon goût est cependant un exercice totalement vain. Il est possible de ne pas être amusé par un dessin, de le trouver nul, blessant, vulgaire. Il existe même un droit absolu à le dire ! Ce droit est toutefois le même que celui qui permet la publication du dessin.

Le slogan « Je suis Charlie », largement utilisé à la suite des attentats pour manifester une condamnation du massacre continue de manifester un étrange débat. Les trois mots qui ont rassemblé des millions de personnes dans les rues de France les 10 et 11 janvier 2015 sont aujourd’hui au centre d’un triste affrontement médiatique. On trouve des personnes qui refusent de l’employer, car étant en désaccord avec les prises de position manifestées par les textes et dessins publiés par le journal et d’autres l’emploient uniquement pour marquer leur opposition aux premiers. Les premiers ont une interprétation probablement trop littérale du slogan. Il est difficile, voire impossible, de ne pas trouver de mauvais goût aucun des dessins publiés par Charlie Hebdo, ça n’empêche pas de défendre leur droit à les publier. La condamnation d’un massacre aveugle n’a cependant jamais besoin d’être suivie d’un « mais ». 

Aujourd’hui la liberté d’expression est donc le sujet du débat public plutôt que d’en constituer le support. Sur le cas précis de Charlie Hebdo, la question de la limite de la liberté d’expression paraît particulièrement indécente. Inutile de se bercer d’illusions, le temps judiciaire ne conclura pas ces débats. Ce n’est d’ailleurs pas son rôle. On peut toutefois être certain que la question reviendra dans les interventions des parties civiles et de leurs conseils. 

La portée du procès en question

Cette première partie du procès a également été marquée par des dessins. Celui de la Une de 2006 — désormais célèbre — dessinée par Cabu. Celle-ci représente un Mahomet le visage dans ses mains déclarant « C’est dur d’être aimé par des cons » et surmonté de la mention « Mahomet débordé par les intégristes » comme a tenu à le rappeler sa femme Véronique Cabut. Plusieurs proches ont tenu à amener à la barre des dessins réalisés par les défunts, comme pour un témoignage posthume et une réaffirmation de la liberté de caricature. La projection de dessins de Charb a même fait rire tout le tribunal, accusés compris. Ces derniers ont été invités à s’exprimer à la suite des témoignages, dans un exercice qu’on imagine difficile si ce n’est impossible. Leurs expressions de condoléances maladroites sont venues rappeler qu’aucun d’entre eux ne revendique l’attentat.

La question de la portée de ce procès continue de se poser. Les auteurs directs des attentats sont tous morts. Les commanditaires demeurent incertains. Le journal a, à nouveau, été menacé par Al-Quaeda.

L’utilité de ce temps judiciaire est pourtant déjà constatable. Inscrire dans la solennité et la formalité d’une cour d’assises les faits permet dans une certaine mesure de remettre dans une certaine rationalité le fait « terroriste » et le sortir de l’émotion suscitée en janvier 2015. L’établissement d’une réalité « froide » par la machine judiciaire n’est pas le plus réconfortant, mais c’est une nécessité pour un « retour à la normale ». La capacité de l’institution à encaisser ces manifestations absurdes de violences est un marqueur de leur solidité. Ce sera également un élément à prendre en compte pour éviter l’inflation de réponses exceptionnelles que la France a connue depuis 2015.


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