De nouveaux jeunes élus communistes combatifs à Paris – Entretien

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De nouveaux jeunes élus communistes combatifs à Paris – Entretien

Suite au second tour des élections municipales, de nombreux communistes ont été élus à Paris sur les listes de rassemblement de la gauche “Paris en commun”. Dans les arrondissements parisiens, le parti communiste français a obtenu 38 conseillers et conseillères d’arrondissements. Au niveau départemental, 12 d’entre eux et elles siègeront au conseil de Paris. Avant-Garde interroge Shirley Wirden, Anouchka Comushian et Elie Joussellin, 3 nouveaux élus communistes parisiens, avoisinant 30 ans, qui étaient encore il y a quelques années de jeunes communistes.

Paris est à gauche depuis 18 ans et les communistes ont participé aux majorités municipales depuis lors. Dans quel contexte politique êtes-vous élus ?

Shirley : Les Parisiens ont beaucoup souffert du confinement du fait de la typologie locative, de la concentration à haut risque de l’épidémie et aujourd’hui de la crise économique. Nous savons que le taux de chômage des jeunes à Paris va continuer à grimper. Il y a donc une forte inquiétude sur l’avenir. On ne peut pas s’empêcher de penser au taux d’abstention inédit pour diverses raisons : il y a encore de la peur mais en majorité les gens sont passés à autre chose et la plupart a acté la victoire d’Anne Hidalgo qui a su gérer la crise à Paris avec hauteur et responsabilité. Il y a du positif avec une conscience écologique je pense désormais acquise qui doit se transformer en réalité dans les plus brefs délais.

Anouchka: Nationalement comme à Paris, dans un contexte de reconfiguration politique, dans lequel certaines personnalités politiques essaient de tirer leur épingle du jeu, de brouiller les pistes et de se détacher des Partis. Personnellement, je suis très attachée aux marqueurs de gauche (les services publics, la justice sociale, la solidarité, la démocratie participative), et le resterai tout au long de ce mandat, car les Communistes doivent peser dans le rapport de forces à gauche, plus que jamais.

Élie: Nous sommes élu.e.s dans un contexte inédit à de multiples niveaux. Évidemment inédit par la crise que nous traversons. La crise sanitaire a durement touché les Parisien.ne.s. La crise sociale qui s’annonce risque également d’être très dure. Les jeunes parisiens essentiellement seront touchés. Avoir des élu.e.s communistes pour défendre le droit des jeunes à Paris à se loger, à se soigner, à se nourrir, à trouver un travail est essentiel. Le contexte politique est aussi inédit. Après 18 ans de gauche à Paris, ce devait être l’élection de la macronie triomphante. En Marche avait remporté la quasi-totalité des circonscriptions parisiennes en 2017. Il y a un an encore, on ne voyait pas qui d’autre que Benjamin Griveaux pourrait être élu Maire de Paris. Un an plus tard, En Marche n’a que six élus au Conseil de Paris et la gauche rassemblée autour d’Anne Hidalgo a réussi une remontada extraordinaire. Tant mieux ! Mais l’exploit ne sera pas réalisé une seconde fois. C’est la mandature de la dernière chance pour la gauche à Paris. Si nous ne faisons pas une politique réellement à gauche, si on ne se tient pas aux côtés des Parisien.ne.s dans les luttes, si nous n’entendons pas leurs aspirations à changer de société, c’en sera fini de la gauche à Paris, et pour longtemps. Nous  sommes prêts à relever le défi.

Vous qui êtes engagés comme militants depuis des années à Paris, pourquoi et comment vous avez pris la décision d’être candidat et candidates à cette élection ?

Élie : Je ne suis pas sûr de l’avoir jamais décidé. Je milite dans le 10ème depuis de nombreuses années. J’ai participé à des luttes fortes pour les travailleurs sans papiers, contre la traite des êtres humains, pour le relogement des migrant.e.s ; pour la défense de l’hôpital public, pour la défense du service public postal, contre les expulsions locatives… je n’ai jamais rêvé d’être élu. Cela aurait pu être un autre camarade communiste de l’arrondissement. Il s’est trouvé que j’étais secrétaire de section, connu dans l’arrondissement, que les camarades souhaitaient un renouvellement et présenter un jeune camarade. Ce fut moi mais ma conception de la politique fait que je n’ai jamais demandé un poste. Lorsqu’on est militant communiste, on fait ses preuves sur le terrain, au contact de la population.

Anouchka: Cela m’a été proposé. Ça n’a pas été évident d’accepter car je trouve c’est une forte pression, une grande responsabilité. Mais c’est une chance: c’est l’occasion de s’engager d’une autre manière, de s’impliquer dans les affaires municipales qui ont une forte incidence sur le quotidien de tous ceux et toutes celles qui vivent et travaillent à Paris. C’est un espace démocratique et un lieu de pouvoir à investir, afin d’y proposer des actions utiles à la population. C’est aussi une grande responsabilité : celle de représenter mes camarades, de faire connaître et avancer les positions du parti Communiste dans la société.

Shirley : Personnellement, je pense qu’on ne doit pas “demander” à être candidat.e. Pour ma part, c’est Evelyne Zarka, première adjointe PCF au maire du 4ème arrondissement qui m’a adoubé pour prendre sa suite avec le soutien de la direction fédérale du parti et de ma section d’arrondissement. J’ai à coeur de poursuivre le travail des élu.e.s communistes du centre de Paris au côté de mon camarade Luc Ferry, également élu. C’est à la fois un honneur d’avoir eu cette confiance des camarades, un nouveau défi après plusieurs années de responsabilités politiques à Paris, une fierté d’être élue de la République et une lourde responsabilité auprès des habitant.e.s dont il faut prendre toute la mesure.

Quelles doivent être les priorités de la politique de la ville de Paris et les mairies d’arrondissements selon vous, notamment pour les jeunes ?

Élie : 5 priorités : se loger, se nourrir, se soigner, se déplacer, avoir un emploi. Aujourd’hui, se loger à Paris est compliqué. Avec Ian Brossat, nous avons construit 7500 logements sociaux par an dans la dernière mandature mais cela reste tendu. C’est pourquoi nous continuerons à construire du logement social, que nous ferons du logement étudiant une priorité et également que nous investirons 6 milliards d’euros pour créer une foncière immobilière qui pourra permettre entre autres à de jeunes couples d’accéder à un logement à Paris.

Trop de jeunes ne peuvent pas se nourrir à Paris, et le confinement l’a montré plus encore. Nous voulons par exemple en lien avec Les Halles alimentaires que nous avons créées permettre aux jeunes d’avoir accès à une alimentation saine et de qualité. 1 jeune sur 2 renonce à des soins pour raisons financières. On créera des centres de santé et nous aurons une politique de prévention, d’abord à destination des jeunes des quartiers populaires. Avec les jeunes communistes parisiens, le PCF Paris mène depuis des années une bataille pour rendre les transports publics gratuits pour les jeunes à Paris. Anne Hidalgo l’a annoncé durant la campagne. Il est temps de le mettre en place ! Enfin, sur l’emploi, il faut protéger l’emploi associatif que le gouvernement menace. Plus globalement, la Ville de Paris doit injecter autant d’argent dans la relance de l’emploi que dans le maintien des commerces.

Shirley : Les arrondissements sont des villages, ils ont tous leur caractère et leurs propres défis mais l’épidémie impose à tous un travail important sur la reprise économique et la protection des salarié.e.s notamment chez la nouvelle génération qui arrive sur le “marché” du travail en souffrance. Il faut les accompagner pour éviter que des jeunes ne se retrouvent à la rue. Il faut aussi poursuivre sur le développement de la solidarité et du lien social qui ont permis de prendre soin les uns des autres et notamment des plus précaires et des plus âgés, touchés par la fracture numérique. La valorisation du service public est évidente (santé, éducation, transports, propreté, secteur social etc.) tant il a montré qu’il était le seul à pouvoir faire fonctionner et protéger la société en toutes circonstances même face aux incompétences de l’Etat, notamment dans la santé et l’éducation. Enfin, la révolution écologique qui doit impérativement s’accélérer car on a pris de plein fouet la différence entre un Paris pollué et un Paris qui respire et on ne peut plus accepter de vivre dans ces conditions de destruction de l’environnement, de l’avenir et de la santé publique notamment des tout-petits à Paris.

Anouchka: Face à une politique nationale ultra-libérale, la ville de Paris a de grands défis à relever: permettre aux jeunes de trouver leur voie, de s’émanciper, de trouver leur place dans la société et d’accorder à nouveau leur confiance au pouvoir citoyen. Cela passe par des mesures spécifiques pour l’accès aux transports, aux loisirs, au logement ; des dispositifs expérimentaux en matière de formation, d’insertion et d’emploi ; des espaces de discussion, d’échanges et de prise de décisions. Il faut absolument travailler la participation citoyenne de la jeunesse !

Vous êtes élus sur des listes de rassemblement et vous ne serez donc pas la seule composante politique des majorités d’arrondissements ou du conseil de Paris. Comment voyez vous cet enjeu ?

Anouchka: Je le vois à la fois comme une nécessité, car en l’occurrence l’union fait la force. Cela dit, nous savons tous et toutes que nous avons des divergences politiques profondes, et pourtant nous devons collectivement prendre des décisions importantes pour la population. Je pense que ce sera une négociation permanente, dans laquelle s’exerceront des rapports de forces. Le tout est donc de ne pas se laisser écraser dans ce rassemblement…

Shirley : J’ai été collaboratrice d’élu.e.s donc j’ai appris à composer avec diverses sensibilités, à apprécier chez les uns et les autres ce sur quoi on peut se retrouver. De toute façon, c’est la démocratie, les habitant.e.s de l’arrondissement n’ont pas une seule et même couleur politique et ça demande évidemment de s’adapter tout en gardant intact nos valeurs politiques. La politique, c’est la confrontation d’idées, la démocratie c’est le pouvoir du peuple par le peuple et c’est aussi le débat. J’ai des personnalités que j’admire beaucoup dans la liste électorale de mon arrondissement, qui ont des engagements forts, certains ne sont pas encartés et ça donne aussi la possibilité d’avoir des échanges passionnants. Je pense que c’est enrichissant de se confronter à d’autres avis que le sien.

Élie: Le rassemblement de la gauche était une nécessité pour garder Paris à gauche. Nous l’avons réussi grâce à l’intelligence de toutes les forces de gauche de Paris. Nous devons être loyaux avec nos alliés. Toutefois, nous devons aussi être exigeants pour que la questions sociale soit au centre de toutes les politiques publiques. Chaque fois que nos alliés oublieront, ou même commenceront à oublier, les valeurs de la gauche, sembleront pouvoir s’accommoder du capitalisme, nous serons là pour leur rappeler que ce n’est pas là-dessus que nous avons été élu.e.s. Notre seul réel engagement à été pris auprès des Parisien.ne.s. Ils nous ont élu pour que l’on construise du logement social, des centres de santé, que l’on rende les transports publics gratuits. C’est ce que nous ferons.

D’ailleurs, vous êtes élus dans des arrondissements assez différents…

Shirley : Oui ! Je suis élue dans un nouvel arrondissement. Les arrondissements 1, 2, 3, 4 sont réunis pour former Paris Centre. Ces 4 arrondissements étaient déjà très différents avec des histoires et des identités très fortes. C’est déjà un défi au sein même de Paris Centre de créer une nouvelle harmonie. Le point commun c’est vraiment cet aspect de village-refuge notamment autour de l’histoire plurielle du Marais. Et l’expérience de mes camarades dans les autres arrondissements n’en sera que plus enrichissante, on aura matière à échanger quand on aura quelques minutes pour souffler.

Anouchka: Je suis élue dans le 12e arrondissement de Paris, dans lequel je vis depuis 4 ans. Comme l’ensemble des arrondissements périphériques de Paris, les quartiers proches des portes sont plus populaires (porte de Vincennes, porte Dorée, porte de Charenton). À côté de ça, il y a des quartiers très bourgeois ainsi qu’une forte gentrification à l’œuvre depuis des années, et aussi des zones de trafics, de type prostitution. Je sais que la participation citoyenne est bien plus faible dans les quartiers les plus populaires, et c’est donc là qu’il me semble utile de renforcer mon action militante et citoyenne.

Élie: Paris est une ville cosmopolite. Chaque arrondissement a ses spécificités. Si je pense au 10ème, nous sommes un arrondissement d’accueil ou la place des services publics est primordiale avec nos deux gares internationales, nos trois hôpitaux. Mais les mêmes problématiques se posent dans de nombreux arrondissements de Paris. Si je pense au centre de Paris où Shirley est élue, nous avons un combat commun à mener pour le droit au logement et contre AirBnB. Si je pense au 12ème où Anouchka est élue, nous avons des combats communs à mener sur le droit à la santé et la place des hôpitaux dans la ville. En réalité, tous les arrondissements parisiens sont aujourd’hui soumis à la même problématique : comment ne pas devenir des ghettos de riches ? Comment lutter contre le capitalisme et l’ubérisation rampante de la société ? Ce sont les questions auxquelles nous devrons répondre ces six prochaines années que nous soyons élus du centre, du 10ème ou du 12ème !

Pour conclure, comment concevez-vous le lien entre le changement de société et le rôle d’élu ?

Shirley: L’élu a plusieurs rôles qu’il doit apprendre à articuler. Il gère le quotidien, l’immédiateté, les sollicitations individuelles, il le fait avec son coeur, ses convictions et ses principes dans la mesure de la marge de manoeuvre qu’il possède évidemment et dans le respect du fonctionnement d’une collectivité dont les fonctionnaires sont les garants? On peut bousculer l’ordre établi et il le faut mais il faut le construire avec la population, pas l’imposer. On ne fera pas la révolution à l’échelle d’un arrondissement mais on peut essayer de reconstruire un lien de confiance entre les élu.e.s et les habitant.e.s, porter des projets qui sont à l’image de la société qu’on veut, initier et soutenir des luttes symboliques de nos valeurs et de notre parti, on peut contribuer à notre échelle à créer les conditions d’un changement de société. C’est un jeu d’équilibriste et un travail qui ne peut se faire que collectivement. Mais les élu.e.s communistes ont toujours été d’excellents ambassadeurs de notre projet de société, je veux et j’espère m’inscrire dans cette lignée.

Élie: Un élu ne change pas seul la société. Le changement de société passera par un mouvement populaire. L’ensemble des militants communistes doit participer à le créer. L’élu communiste également. Par contre, la spécificité d’un élu communiste doit être d’être un élu de terrain, qui participe aux luttes, qui est inséré dans la société en travaillant. L’élu communiste, c’est un élu militant avant toute chose. Ma seule réelle crainte en débutant ce mandat, ce n’est pas la dureté du mandat, la confrontation avec les habitants… non, ma seule crainte serait de devenir un élu uniquement gestionnaire. Alors, oui, j’aurais tourné le dos à mes idéaux de jeunesse.

Anouchka: Pour moi, un élu est avant tout un militant, qui continue de poursuivre son travail de conviction sur le terrain. Son rôle d’élu lui permet d’une part de mettre en place des actions utiles à la population, d’innover en matière de politiques publiques, d’autre part d’expérimenter l’exercice du pouvoir, et enfin de sensibiliser aux idées communistes. Mandat d’élu et travail militant peuvent s’enrichir l’un l’autre afin de renforcer l’objectif du changement de société.


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