Délinquance et immigration : dépasser les fantasmes

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Délinquance et immigration : dépasser les fantasmes

L’amalgame entre immigration et délinquance est savamment entretenu par la réaction et l’extrême droite. Des déclarations de Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, aux projets portés par divers candidats durant la séquence électorale de 2022, cet amalgame est, en plus d’être entretenu, développé et utilisé.

Nier la surreprésentation des étrangers dans les actes de délinquance commis et dans le nombre de personnes écrouées serait une erreur et serait faux (leur part parmi les délinquants et les détenus est plus importante que leur part dans la population, selon le ministère de la Justice), bien qu’elle ait tendance à baisser sur le long terme.

Pour autant, interpréter les chiffres de manière brute sans y poser de réflexion et voir les choses dans leur mouvement serait, en plus d’être une erreur, fondamentalement erroné et malhonnête intellectuellement. 

C’est par ce jeu de dupe que l’extrême droite tente d’établir un lien mécanique et indépassable entre immigration, délinquance et insécurité. Effectivement, s’il est possible d’énumérer les chiffres un à un, sans pousser plus loin la réflexion, et d’en faire une « preuve » de ce lien, cela ne relève que du dessein politique, celui d’alimenter une peur, une haine.

« Une délinquance de survie »

Pour environ 6 % d’étrangers, le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) relevait en 2019 16 % des mis en cause pour homicide, 15 % pour coups et blessures volontaires, 17 % pour vols avec armes, 32 % pour vols sans armes. 

Cependant, il s’agit d’abord d’observer la nature des délits commis majoritairement. D’après l’Institut convergences migrations, affilié au CNRS : 

« la part des étrangers dans les condamnations […] varie selon la nature de l’infraction : 25 % pour le travail illégal, 41 % pour les faux en écriture publique ou privée, près de 50 % des infractions douanières et 78 % pour les infractions relatives à la police des étrangers, c’est-à-dire, pour l’essentiel des infractions liées à la régularité du séjour des étrangers en France ». 

Il est donc nécessaire de différencier crime et délit. Lorsque plus de 99 % des condamnations concernant des étrangers correspondent à des délits et que moins de 1 % concerne des crimes !

Cette délinquance s’apparente à une « délinquance de survie », majoritairement liée à la précarité des situations vécues. 

Davantage de condamnations 

Les étrangers sont aussi plus lourdement condamnés que les nationaux. 

En 2013, l’étude menée par l’ARDIS rapporte « que les personnes nées à l’étranger voyaient multiplier par près de deux les risques d’une comparution immédiate (5,7 % contre 2,9 % de ceux nés en France), par près de cinq fois plus la probabilité d’être placées en détention provisoire » et par huit « la probabilité d’une condamnation à de la prison ferme ». 

Cette surreprésentation dans les condamnations peut ainsi et sans excès être corrélée au fait que « la carence de preuves d’insertion sociale, professionnelle ou familiale semble jouer en défaveur des étrangers ».

Quelles causes, quels effets ?

L’extrême droite promeut l’idée d’un lien de « cause à effet » entre l’immigration et la délinquance. Ainsi, pour certains, il serait même « naturel » pour un étranger de vivre dans le délit et dans l’outre passement des lois. 

Outre une interprétation brute des chiffres vus ci-dessus, cet argument n’est étayé d’aucune preuve ni d’aucun constat réel. Ce qui peut être observé, c’est un rapport entre les conditions socio-économiques et le type de délit commis, et ce, pour les étrangers comme pour les nationaux.

Par exemple, les immigrés d’origine africaine sont surreprésentés parmi les ouvriers et les employés (32 %), ainsi que très touchés par l’inemploi. L’institut convergence migration rappelle ainsi que 

« l’analyse de l’Insee la plus récente et la plus détaillée sur les conditions de vie des personnes immigrées et leurs descendants montre qu’en 2010, la pauvreté en termes de conditions de vie affecte 19 % des ménages immigrés, contre 13 % en moyenne. Par exemple, 30 % des ménages immigrés déclarent qu’en règle générale, l’ensemble des revenus est insuffisant pour couvrir toutes les dépenses courantes. Les personnes immigrées sont aussi surreprésentées dans les quartiers les plus denses en logements sociaux et en chômeurs. » 

Elle souligne ensuite qu’« une analyse spécifique permet d’établir que les proportions de jeunes pris en charge par la Justice à Marseille et la part des immigrés, dans les arrondissements où habitent ces jeunes, ne sont pas significativement différentes. Ainsi, dès lors que l’on ramène la répartition par origine à un niveau géographique assez fin, la surreprésentation disparaît ».

Quelle réponse politique ?

À partir du constat fait ci-dessus, la réponse politique ne peut pas consister à vouloir « lutter contre l’immigration » dite abusivement massive « pour lutter contre la délinquance ». 

Il faut avant tout lutter efficacement contre les inégalités sociales, scolaires et territoriales. Il est indispensable de mener une politique sociale ambitieuse assurant à toutes et tous des conditions de vie dignes et sécurisées, notamment en matière d’emploi et de formation. 

Afin de réduire les délits, il importe aussi d’éviter des situations qui conduisent à commettre des infractions administratives, en ouvrant des voies légales d’immigration. Cela doit également passer par la régularisation des travailleurs sans papiers, car l’égalité de statut est une arme contre le travail clandestin et la mise en concurrence des salariés tels que le pratiquent des employeurs. 

Le lien entre immigration et délinquance ne doit pas et ne peut pas être appréhendé de manière simpliste, tant il ne l’est pas.


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