En Corse, aux municipales le duel LREM-RN n’aura pas lieu

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En Corse, aux municipales le duel LREM-RN n’aura pas lieu

Sur l’île de Beauté, les élections municipales ne verront ni listes du parti présidentiel ni listes du rassemblement national. Les listes nationalistes continuent d’occuper l’espace politique. 

Tandis que les élections municipales approchent à grands pas et que partout en France, les différents partis s’empressent de dévoiler leurs candidats aux Français et aux Françaises, en Corse on a récemment appris qu’il n’y aura pas de pas de liste LREM et RN dans aucunes des 360 communes de l’île. Une révélation qui peut paraître surprenante lorsque l’on sait qu’aux présidentielles 2017, Marine Le Pen avait obtenu 48,52 % des suffrages et que la majorité présidentielle possède un petit groupe d’opposition au sein de l’Assemblée de Corse, mais qui ne l’est pas tant que cela lorsque l’on s’intéresse un petit peu plus attentivement à la sociologie et à l’Histoire de la politique insulaire, mais également par certaines stratégies nationales. 

Si en langue corse le mot « Paese » veut à la fois dire « village » et « pays », ce n’est pas tout à fait anodin. Là-bas et sans doute comme dans d’autres régions montagneuses, le village occupait une place centrale dans la vie des habitants et des habitantes, faisant des municipales, les élections les plus importantes, car la plus à même de pouvoir changer le quotidien des gens et reléguant toutes les élections nationales au second plan allant même jusqu’à minorer l’impact des ces dernières.

Alors qu’au fil du temps cette vision de la politique semblait s’être estompée, elle revient sur le devant de la scène depuis l’arrivée au pouvoir des nationalistes suite aux élections territoriales de 2015. Ces derniers prônent essentiellement des solutions corso-Corses, ce qui ne laisse que très peu de places aux programmes nationaux et assez globaux sur lesquels se reposent beaucoup En Marche et le Rassemblement National. 

Cet affaiblissement du niveau politique n’explique pas à lui seul l’absence de ceux que les médias présentent bien souvent comme étant les deux principaux partis de France. Certaines explications elles sont plus générales et s’appliquent à bien d’autres régions françaises. Face au mouvement social sans précédent qui est en train de secouer le pays, certains macronistes comme Jean-Charles Orsucci, président du groupe LREM « Andà per dumane » (« Ensembles pour Demain ») à l’Assemblée de Corse et maire sortant de Bonifacio (une des 20 plus grosses communes de Corse) ont choisis de se présenter sans étiquette afin de ne pas être associé à la Majorité du Président de la République de plus en plus impopulaire. 

La stratégie de l’extrême droite en Corse et ailleurs en France, elle s’inscrit dans une démarche qui a été engagée par Marion Maréchal Le Pen lors de sa « Convention des Droites » et qui vise à rapprocher la Droite et l’Extrême Droite. C’est la raison pour laquelle l’eurodéputé frontiste Thierry Mariani a au début de l’année adoubé plusieurs candidats issus de la « Droite Populaire », dont notamment François Filoni. Candidat aux élections municipales d’Ajaccio, ce dernier est passé par le Parti Communiste Français, le Mouvement Républicain et Citoyen de Jean-Pierre Chevènement, la majorité municipale du Maire sortant Les Républicains, avant de devenir le représentant local d’une droite décomplexée et populiste qui surf sur la peur de l’étranger et qui prône une politique ultra sécuritaire à base de caméras de surveillances à chaque coin de rue. [1]

À Bastia, dans la deuxième plus grande ville de Corse, c’est très certainement à cause de sa stratégie de dédiabolisation que le Rassemblement National a refusé de soutenir la candidature de Filippu de Carlo admirateur décomplexé de Matteo Salvini et Benito Mussolini qui n’hésite pas à reprendre mots pour mots des citations du Duce et à surfer sur la peur des migrants. Le parti de Marine Le Pen ne souhaite sans doute pas attirer l’attention sur lui avec des candidats ouvertement racistes et xénophobes, comme ce fut par exemple encore le cas lors des municipales de 2014. 

De plus le vote autonomiste joue également un rôle énorme dans l’effacement progressif des grands partis nationaux. D’abord parce que depuis que Gilles Simeoni a remporté la Mairie de Bastia en s’alliant à des candidats de droite et de Gauche, il prône cette philosophie selon laquelle les nationalistes ne seraient « ni de droite ni de gauche » et œuvreront uniquement pour le bien de la Corse et des Corses en faisant fi des différences politiques, travaillant ainsi à ringardiser la politique conventionnelle. Ce dégagisme insulaire avait d’ailleurs pendant un temps su séduire de nombreuses personnes, sur l’île voir même sur le continent. Après les élections territoriales de décembre 2017, Jean-Luc Mélenchon s’était par exemple empressé de féliciter les nationalistes pour leur victoire. Ces derniers incarnant selon lui la « nouveauté » et le « dégagisme ». Tout le contraire, toujours d’après lui, de la liste d’union PCF/FI, simple « tambouille électorale » aux yeux du député de la 4e circonscription des Bouches-du-Rhône qui s’était d’ailleurs réjoui de l’absence d’élus de gauches au sein de l’Assemblée de Corse.

Le tour de force des nationalistes c’est de parvenir à occuper la place que pourraient avoir les soutiens d’Emmanuel Macron tout en attirant un électorat de Gauche et même d’extrême droite puisque même si aucune étude statistique ne l’atteste, on peut soupçonner un fort report de voix frontistes lors des élections locales. Néanmoins on commence depuis déjà quelques mois à assister à de nombreuses fractures au sein du camp nationaliste, chacun tentant de tirer la couverture à lui. Ainsi à Ajaccio, première ville de Corse, trois listes nationalistes sont en lice pour tenter de s’emparer de la Mairie : la première soutenue par le Président de l’Exécutif de Corse Gilles Simeoni et portée par Jean-André Miniconi, président de la Confédération des Petites et Moyennes Entreprises en Corse, soutien affirmé d’Emmanuel Macron durant les élections présidentielles, la seconde soutenue par le Président de l’Assemblée de Corse Jean-Guy Talamoni ainsi que le Parti Nationaliste Corse et portée par l’avocat Jean-François Casalta et une troisième moins importante, mais qui prétend porter des valeurs antilibérales et traditionalistes. 

Les divisions internes de plus en plus nombreuses au sein de la majorité nationaliste sont-elles de bon augure pour les partis dits traditionnels ou est-ce que celles-ci donneront naissance à encore plus de listes nationalistes (allant de l’extrême droite à une gauche faussement antilibérale) régionalisant ainsi encore plus le débat politique sur l’île de beauté ? Il est pour le moment trop tôt pour affirmer de telles choses, mais les résultats des élections municipales à Ajaccio et Bastia répondront sans aucun doute à beaucoup de ces questions qui restent pour l’heure en suspens. 


[1] À l’heure ou j’écris ses lignes et bien que sa liste ne soit pas étiquetée Rassemblement National, François Filoni a reçu le soutien officiel de Marine Le Pen. 


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