Entretien avec Jamal Abu Leil et Nasser Sharayaa militants pour les droits des réfugiés palestiniens

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Entretien avec Jamal Abu Leil et Nasser Sharayaa militants pour les droits des réfugiés palestiniens

Dans le cadre de son assemblée générale annuelle, l’association pour le jumelage entre les camps de réfugiés palestiniens et les villes françaises (AJPF) reçoit deux Palestiniens. Nous avons pu les rencontrer pour échanger avec eux de la situation en Palestine, et des actions de solidarité qui peuvent être menées en France.

Jamal Abu Leil est membre du Fatah, qu’il qualifie volontiers de parti de Marwan Barghouti. Il est responsable du jumelage des camps de réfugiés palestiniens avec des villes françaises. Il travaille au sein du bureau exécutif des comités populaires des camps de réfugiés, structure politique qui chapeaute les administrations locales des camps. Jamal est issu de Kalandia, camp de réfugiés entre Ramallah et Jérusalem. Il a été enfermé pendant 18 mois sous le régime de la détention administrative, ce qui avait donné lieu à une campagne de soutien en France, et avait mené une grève de la faim en 2017.

Nasser Sharayaa, habite lui à Bireh, à côté de Ramallah, mais se définit avant tout comme un réfugié d’un village proche de ce qui est aujourd’hui l’aéroport de Tel-Aviv. Il est le directeur du bureau exécutif des comités populaires des camps de réfugiés, une structure de l’OLP, l’Organisation de Libération de la Palestine. Chaque camp est administré par un comité populaire, ce bureau exécutif qui fait partie de l’Organisation de Libération de la Palestine.

Tous deux sont accompagnés par Lana Sadeq de l’AJPF qui a fait office d’interprète.

Quelle évolution de la situation en Palestine depuis la décision de Trump ?

Jamal Abu Leil : C’est une question complexe qui nécessite une réponse longue. En résumé, il est possible de dire que la décision de Trump est une façon pour lui de mettre un terme à la question palestinienne. Avec sa méthode, bien à lui.

Les décisions de Trump ont eu deux conséquences distinctes pour les Palestiniens. D’abord la question de Jérusalem, mais aussi la question des réfugiés palestiniens. Au déplacement de l’ambassade américaine vers Jérusalem et la reconnaissance de cette dernière comme capitale d’Israël, se sont ajoutées des coupes budgétaires dans l’aide américaine à l’UNRWA, l’agence de l’ONU chargée de venir en aide aux réfugiés palestiniens.

Pour nous, ces décisions équivalent à mettre fin aux revendications des réfugiés palestiniens, à mettre fin au droit au retour. En faisant cela, Trump cherche à liquider la question des réfugiés palestiniens, et plus largement la question palestinienne.

Cette décision de Trump a provoqué des réactions à deux niveaux de la société palestinienne. Le premier au niveau populaire et un deuxième au niveau de l’Autorité palestinienne.

Au niveau du peuple, les Palestiniens sont très conscients depuis longtemps que le rôle des Etats-unis n’était plus celui d’un médiateur. L’administration américaine n’avait déjà par une image neutre et était perçue comme un soutien d’Israël.

Aujourd’hui, l’Autorité palestinienne a pris conscience de ce fait, plus tardivement, suite à la décision de Trump. Les Etats-unis ne sont plus perçus comme un intermédiaire neutre, qui pourrait aider à trouver un accord. Désormais, les Etats-Unis sont disqualifiés pour jouer un quelconque rôle futur dans la résolution du conflit vers une paix juste.

Il existe aujourd’hui un réflexion au sein de l’Autorité palestinienne pour définir une nouvelle stratégie, mais je ne peux pas vous en parler, c’est de l’ordre du débat interne. Cependant au sein des masses palestiniennes, et plus particulièrement des militants, la réflexion s’est également engagée. Pour faire face à cette nouvelle situation dangereuse, des stratégies sont réfléchies.

La question qui se pose à nous est comment développer la résistance populaire. Pour cela, nous comptons beaucoup sur la solidarité internationale des amis des Palestiniens à travers le monde. Nous leur demandons de faire pression sur leurs gouvernements pour la reconnaissance de l’Etat palestinien avec Jérusalem est comme capitale.

A ce titre, nous saluons particulièrement l’engagement du PCF et de ses élus dans les combats qu’ils mènent pour la Palestine.

L’autre niveau d’action après le renforcement de la résistance populaire, c’est de poursuivre les initiatives diplomatiques. L’Autorité palestinienne doit continuer ses démarches pour obtenir que la Palestine devienne un Etat membre à part entière de l’ONU, et que son occupation soit reconnue. Dans cette même logique, des demandes pour devenir membres, doivent être faites à toutes les institutions internationales. Un certain nombre de demandes n’avaient pas été déposées suite aux pressions américaines, car les Etats-Unis prétendaient souvent que des démarches multilatérales palestiniennes seraient contre-productives, afin d’enfermer les Palestiniens dans un dialogue avec Israël sous leur surveillance.

La décision de Trump a fait voler en éclat cette stratégie.

Dans cette démarche aussi, la solidarité internationale est importante. Tout ce qui peut être fait au niveau des collectivités territoriales contribue à faire monter la pression. Les reconnaissances symboliques de l’Etat palestinien avec Jérusalem-est comme capitale sont particulièrement importantes, sur le plan symbolique mais aussi pour le message de solidarité véhiculé.

Nasser Sharayaa : Je vous remercie tout d’abord pour votre invitation, ainsi que les camarades du Parti communiste qui se battent aux côtés du peuple palestinien depuis longtemps.

Je suis d’accord avec l’analyse faite par Jamal mais je souhaite apporter une précision.

La décision de Trump est un changement de position politique, cependant pour les Palestiniens les changements ne seront pas si grands. Il y aura toujours des palestiniens qui vivront à Jérusalem, parce que c’est leur ville. Je ne pense pas qu’il y aura un changement radical pour l’accès aux lieux de cultes et historiques de la ville et que ça ne modifiera pas les équilibres locaux.

Pourtant une loi a été adopté récemment prévoyant de retirer la carte de résidence aux Palestiniens ?

Nasser Sharayaa : Les israéliens peuvent voter toutes les lois qu’ils veulent, ça sera difficile de mettre un mécanisme pour empêcher les actuels habitants de Jérusalem de continuer à y vivre. Depuis des années, les autorités israéliennes compliquent la tâche pour les Palestiniens voulant s’y rendre, et retirent les cartes de résidents. Mais je ne pense pas qu’ils parviendront à chasser les palestiniens ainsi.

Il y a quelques semaines, la municipalité entendait soumettre à l’impôt les lieux de cultes avec effet rétroactif. Une mesure qui n’avait jamais été faite dans cette ville. Face à la protestation unanime de l’ensemble des églises, le gouvernement israélien a dû intervenir pour faire annuler la décision.

Le caractère saint de la ville lui confère un statut mondial qui restreint les marges d’action du gouvernement israélien. La communauté internationale se doit de protéger la particularité de cette ville, qui est sainte pour les chrétiens, les juifs et les musulmans.

Au-delà de Jérusalem, Trump a pris une seconde décision. Il a décidé de couper la dotation budgétaire étatsunienne à l’UNRWA de 360 millions d’euros. Cette décision impacte l’ensemble des réfugiés, en Cisjordanie, à Gaza, mais aussi au Liban, en Jordanie et en Syrie.

Ces coupes budgétaires auront d’importantes conséquences négatives pour les réfugiés. L’UNRWA s’occupe, pour l’essentiel, de l’éducation et la santé dans les camps de réfugiés. C’est donc directement l’accès aux soins qui sera impacté, les médicaments, les opérations médicales, les traitements pour les maladies chroniques, etc.

L’accès à l’éducation est également impacté : d’environ 40 élèves par classe on va rapidement atteindre 50. La condition pour diviser une classe en deux est que cette dernière dépasse 50. Les conditions d’études se sont fortement dégradées, pour les élèves comme pour leur professeur pour lesquels il est quasiment impossible d’enseigner correctement à autant d’élèves.

Enfin, il existe également des tensions autour des manuels scolaires utilisés dans les écoles de l’UNRWA. Des pressions ont été faites pour modifier les contenus scolaires. L’histoire des Palestiniens est progressivement effacée. Les noms des villages dont les Palestiniens ont été expulsés sont remplacés par exemple. Toute l’Histoire de la Palestine, a été effacée des manuels. Le but est que la nouvelle génération ne connaisse pas sa propre histoire.

Les programmes destinés aux jeunes dans les camps sont également sous pression budgétaire. De même pour celui qui concerne les chômeurs. Le taux de chômage dans les camps va encore augmenter sous l’influence de ces baisses budgétaires. Cette dégradation des conditions de vie favorise la montée de la violence. Les camps vont bientôt ressembler à des barils de poudre. La situation est explosive, dans les camps mais aussi toute la région.

Nous commémorons cette année le 70e anniversaire de la Nakba, comment cet anniversaire va être vécu en Palestine et dans les camps ?

Nasser Sharayaa : Le sentiment d’injustice reste entier 70 ans après la Nakba. Le droit au retour prévu par la résolution 194 de l’ONU reste une très forte revendication des réfugiés palestiniens. Donald Trump aurait mieux fait de faire appliquer cette résolution plutôt que de s’aventurer à la reconnaissance de Jérusalem.

Des actions seront menées pour marquer l’importance de cet anniversaire. La réflexion est encore en cours sur leurs formes. Un comité national chargé d’étudier les différentes options a été constitué. Il est composé de partis politiques, d’associations, mais aussi d’indépendants, de tous ceux qui travaillent la question des réfugiés.

Une première initiative est en cours de préparation. Cette dernière prendrait la forme d’un “train du retour”. Les réfugiés qui vivent en Cisjordanie, ainsi que les déplacés à l’intérieur d’Israël –  pas les Gazaouis toutefois qui sont toujours emprisonnés – s’organisent pour retourner dans leur ville et village d’origine. Il s’agirait de pratiquer symboliquement le droit au retour.

Quelle est la place de la libération des prisonniers politiques dans les combats menés par les Palestiniens et plus spécifiquement la détention administrative ?

Jamal Abu Leil : La majorité des détenus palestiniens sont des militants politiques. La détention administrative est une spécificité d’Israël qui viole le droit international. Les Palestiniens qui résistent sont condamnés à de très lourdes peines, qui visent autant à sanctionner le militant, que sa famille, mais aussi à décourager la mobilisation des autres.

La détention administrative, qui permet d’enfermer sans avoir à présenter des charges, est utilisée pour arrêter un très grand nombre de personnes. Les prisonniers politiques arrêtés sous ce régime ont lancé un mouvement de boycott des tribunaux militaires israéliens. A travers ce geste, ils entendent dénoncer l’illégitimité et l’arbitraire de ces tribunaux. Ahed Tamimi a notamment refusé de se présenter devant un tel tribunal.

J’ai moi même été détenu 18 mois, sans que jamais il ne m’ait été présenté le moindre motif.

Je tiens à remercier les gestes de solidarités internationales sur la question des prisonniers. Ces campagnes sont importantes et permettent de montrer concrètement les effets de l’occupation, et de montrer le caractère criminel de l’Etat israélien.

Comment percevez vous le regain d’intérêt médiatique pour une solution dite à un État suite à la décision de Trump ?

Jamal Abu Leil : Les avis sont partagés parmi les Palestiniens. Personnellement, je n’y crois pas. Si on revendique ceci aujourd’hui, les conséquences seront négatives. Nous luttons contre l’occupation depuis 70 ans. Si les israéliens refusent que nous existions dans notre Etat sur les frontières de 1967, ils accepteront encore moins  que nous vivions ensemble dans un même État.

On peut déjà voir aujourd’hui les conditions de vies des palestiniens en Israël. On peut voir les discriminations qu’ils subissent. On peut voir qu’ils n’ont pas les mêmes droits en tant que citoyens.

Actuellement, la société israélienne n’est pas prête. Le mouvement sioniste n’acceptera jamais. Je n’ai aucun problème avec les juifs, je serais prêt à vivre avec eux. Mais est-ce que ces derniers accepteraient de vivre avec nous ? Aujourd’hui l’état d’esprit des israéliens est de refuser notre présence.

Quelles sont vos attentes en termes d’actions de solidarité internationale ?

Jamal Abu Leil : La première chose à faire, est d’intensifier les voyages en Palestine, y compris dans les camps. Il est extrêmement important  que les gens viennent voir sur place ce qui s’y passent. A leur retour en France, en Europe, ce seront nos meilleurs ambassadeurs.

Du côté des institutions, la reconnaissance symbolique par les collectivités de la Palestine avec Jérusalem-est comme capitale.

Il faut également intensifier la pression sur le gouvernement français, notamment via le travail des parlementaires. Partout où c’est possible la question de la reconnaissance de l’Etat palestinien doit être poussée.


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