Grandes surfaces : du marché pour les pauvres à la pauvreté comme marché

publié le dans
Grandes surfaces : du marché pour les pauvres à la pauvreté comme marché

Depuis lundi 30 avril, l’enseigne Casino a lancé le mini-crédit alimentaire. Conscients des difficultés des clients quand la fin du mois arrive, les dirigeants de l’entreprise de distribution se sont mis en tête de les faire consommer tout de même, à crédit.

Les pauvres ? Un marché lucratif !

Cela peut paraître paradoxal. Ce n’est effectivement pas ce que les “experts”, les chroniqueurs, ou autres représentants du pouvoir nous rabâchent à longueur d’antenne. Non les pauvres ne rapporteraient pas d’argent, au contraire leur entretien en coûte à la société, et il coûte trop cher. Raisonnement implacable pour justifier la baisse des allocations, des dotations aux collectivités, des subventions aux associations, des exonérations de cotisations sociales, etc.

On estime aujourd’hui que la France compte 8,9 millions de pauvres (personnes dont les revenus sont inférieurs à 60% du revenu médian) et que cette population a augmenté de plus d’un million de personnes sur ces dix dernières années.

Pourtant, et ce n’est pas une nouveauté, cette grande masse des gens “qui n’ont pas les moyens” constitue pour ceux qui peuvent leur en prêter un véritable marché. Ce marché est juteux parce qu’il est vaste et qu’il est en pleine expansion. L’outil de ce marché c’est le crédit, sous toutes ses formes.

L’endettement par besoin

Recourir à l’endettement lorsqu’on est dans le besoin n’est pas un phénomène nouveau, et le fait que les banques et les divers organismes de prêt se soient saisis de l’opportunité non plus. Cela s’est particulièrement  illustré avec le développement sauvage des crédits renouvelables et leur conséquences désastreuses en termes de surendettement des particuliers.

10 ans et 1 millions de pauvres plus tard, ces pratiques sont un peu plus encadrées. Mais les acteurs du crédit se sont multipliés et ils ont diversifiés leurs méthodes pour continuer à vivre sur la misère.

On connaissait déjà la possibilité d’acheter à crédit des objets coûteux directement via des grandes surfaces ou des commerces, comme du mobilier ou de l’électroménager par exemple. On connaissait également les cartes de fidélité/cartes de paiement propres à une enseigne pour des achats au dessus d’un certain seuil, comme par exemple à Carrefour pour des achats compris entre 100€ et 3000€. On parle donc généralement d’un endettement ponctuel pour acquérir un objet dont on a besoin sans avoir immédiatement à disposition les ressources nécessaires. Nous sommes bien loin ici de la “fièvre des achats” à travers laquelle des clients irraisonnés souscriraient de manière compulsive à des crédits pour satisfaire un consumérisme maladif.

Manger à crédit

Mais il y a des besoins plus essentiels encore et qui eux sont quotidiens. Se nourrir et nourrir les siens en font partie. C’est ce que Casino a compris en “offrant” la possibilité à ces clients via une application de régler leurs courses en différé à partir de 20 euros ou en 4 fois sur un mois au delà de 50 euros. Cet échelonnage devait d’abord être soumis à un taux d’intérêt, mais l’idée a été abandonnée face à la polémique que cela aurait occasionné.

La nouveauté réside donc dans le fait que les seuils minimaux pour accéder à ces types de paiement sont très bas et correspondent à des courses alimentaires. L’enseigne explique avoir lancé cette nouvelle forme de crédit en constatant une baisse de près de 10 % du chiffre d’affaire des magasins sur la dernière semaine du mois, celle ou on se sert la ceinture, celle où dans certains foyers on a faim.

Manger à crédit c’est donc ce que propose Casino aux plus démunis pour faire gonfler ses chiffres. Nul doute que tout en bas de l’écran de l’application, en petits caractères, sera inscrite la mention obligatoire « Un crédit vous engage et doit être remboursé. Vérifiez vos capacités de remboursement avant de vous engager ». Comme s’il était possible pour les clients ciblés par cette offre de gérer le budget qu’ils n’ont pas. A noter d’ailleurs qu’on risque de trouver beaucoup de jeunes parmis ces clients puisque majoritairement précaires et équipés de smartphones pour utiliser l’appli. Un public de choix pour toutes les innovations en la matière.

Lire aussi : Orange is the new Bank

La dette crée la dette

A première vue on pourrait considérer que pour de faibles montants, le risque d’endettement massif, et donc d’aggravation de la pauvreté, est limité. Or, si on n’a pas 30 euros pour manger à la fin du mois, on ne les a pas non plus à la fin du mois suivant. Le déficit est même plus important en cumulant l’argent qui nous manque structurellement et celui qu’on doit, ou qu’on a déjà remboursé au début du mois. Un vrai danger de création de dépendance à ces crédit existe donc.

C’est le cercle vicieux classique de l’endettement des plus pauvres. D’autant plus qu’à cela peuvent en général se cumuler des risques d’impayés de factures d’énergie, de téléphonie ou de loyer par exemple. La dette crée donc la dette, en particulier pour les plus fragiles, qui ne peuvent voir leur situation s’améliorer qu’à travers des politiques publiques en faveur de l’emploi, des salaires, des pensions, etc. bref le strict inverse de la politique actuelle d’Emmanuel Macron.

La sortie de ce nouveau crédit n’illustre qu’une partie de la rapacité des marchés sur la carcasse de la pauvreté en France. A qui profite le crime de ces millions de comptes en banque à la dérive ? Aux banques qui appliquent des frais bancaires pour incidents de paiement ou des frais de découvert, représentant 30 à 35 % de leur chiffre d’affaires, soit 6,5 milliards chaque année pour un bénéfice net de 4,9 milliards !


Édition hebdomadaire

Mêmes rubriques