La résistance en Corse : L’occupation italienne – épisode 2

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La résistance en Corse : L’occupation italienne – épisode 2

A l’occasion du 75e anniversaire de la libération de la Corse le 9 septembre prochain, nous publions une série d’articles revenant sur la Résistance en Corse.

« Les invincibles phalanges de Sparte étaient fournies par les masses »

C’est avec cette citation de Pascal Paoli, personnage au combien important pour la Corse et les corses que Maurice Choury débute   “Tous Bandits d’Honneur”, son livre sur la Résistance Corse qui est aujourd’hui un des ouvrages de références sur cette période de l’Histoire.

Et lorsque l’on se penche sur la naissance du Front National dans l’île on comprend la présence de cette citation. En effet la Résistance ne se fédère pas en un jour, pendant plusieurs semaines les quelques communistes se rendent de villages en villages. Là-bas ils se renseignent auprès de sympathisants pour rencontrer ceux et celles qui n’écoutent pas ou plus les élucubrations de Pétain ou Laval, qui n’ont pas abdiqué et qui sont prêts à se battre pour libérer la France. C’est ainsi que se créer un réel réseau composé de bergers, de boulangers, d’artisans… Un réseau populaire prêt à lutter pour la France et à combattre l’envahisseur fasciste.

Car le 11 Novembre 1942, pour la première fois depuis son rattachement à la France, la Corse est envahie. Le VIIe corps d’armée italien, composé de 80 000 hommes débarque à Bastia dans un climat plus que tendu. Bien qu’il y ait à ce moment-là plus d’occupants, que de corses en état de porter les armes, militaires et civiles insulaires sont prêts à s’insurger. Le gouverneur militaire fait diffuser un tract dans lequel il affirme que les clauses de l’armistice sont violées et encourage les troupes à résister. On se mobilise dans de nombreux villages, à Sorbo-Ocognano, 150 hommes valides armés de fusils de chasse se rassemblent prêts à en découdre avec l’ennemi. Mais cette ferveur est vite remplacée par la désillusion lorsque le préfet Balley transmet aux habitants les voeux du Maréchal qui demande au peuple de “recevoir les troupes de l’Axe avec correction et dignité”. Ce n’est que partie remise pour les résistants corses qui savent que leur heure viendra tôt au tard.

“Le 8 Novembre 1942 les alliés avaient débarqué en Afrique du Nord et lorsqu’on vit les navires approcher de Bastia, à ce moment-là beaucoup parmi nous ont cru qu’il s’agissait des alliés. C’était les italiens ! Et je me souviens que nous les avons accueillis en essayant d’utiliser leur langue qui est un peu aussi la nôtre et nous avons utilisé cette formule que Dante a fait figurer au fronton de l’Enfer : « Lasciate ogne speranza, voi ch’intrate » [« Laissez toute espérance, vous qui entrez »], abandonnez tout espoir vous qui entrez ici, désormais pour vous ce sera l’enfer.”

Etienne dit “Leo” Micheli.

Dans les jours et les semaines qui suivent, la branche corse du Front National, qui a vu le jour quelques mois auparavant après plusieurs réunions entre les communistes de toute la Corse, les cheminots de Corte, la famille Giacobbi et les patriotes du clan Landry qu’ils ont su fédérer autour d’eux, s’active afin de préparer le terrain aux forces alliées qui sont désormais établies en Afrique du Nord. Arthur Giovoni quitte alors Bastia pour établir le contact avec les résistants des différents cantons de l’île, il rentre ainsi en contact avec Nonce Benielli à Ajaccio qui s’active à son tour pour presser quelques résistants non communistes, comme Henri Maillot. Les rangs de la résistance s’enrichissent très vite d’hommes d’exceptions comme l’instituteur Jean Nicoli qui aura un rôle essentiel dans la suite des évènements ou encore Dominique Lucchini dit “Ribeddu” (“Rebelle” en Corse) qui allait très vite devenir la terreur des carabiniers.

“Il ne sera pas dit que le pays de Sambucuccio, de Sampiero, de Paoli, supportera passivement l’occupation ennemie. Corses ! Le Front National de la Lutte pour l’Indépendance de la France vous appelle à la lutte contre l’envahisseur. Son but est de rassembler en son sein tous ceux qui préfèrent la vie dans la lutte à la mort dans le déshonneur”.

Extrait du Manifeste du Front National.

Toute cette agitation ne reste pas vaine puisque Giraud s’intéresse à la Corse qui est un point stratégique, un véritable pont vers le Continent et l’Europe, c’est ainsi que l’équipe baptisée “Pearl Harbor” voit le jour. Cette équipe dirigée par le chef de bataillon Roger de Saulle et composée des cousins Pierre et Toussaint Griffi et de l’instituteur Laurent Preziosi a pour but d’entrer en contact avec les mouvements de résistance en Corse et de fournir des armes à ces derniers.

Musée de la Corse - Résistants de Casalabriva & Petreto Bicchisano

Les quatre hommes s’embarquent alors à  bord du sous-marin “Casabianca” et quittent Alger pour la crique de Topiti entre Piana et Cargèse. Leur arrivée le 14 décembre 1942 est d’autant plus périlleuse qu’avant cela, durant tout l’été 1942 le préfet de Vichy a multiplié les arrêtés pour favoriser les forces d’occupations. Mais petit à petit la mission “Pearl Harbor” quitte la Baie de Chioni pour gagner Bastia et Ajaccio ou s’installe notamment Pierre Griffi qui établit une connexion radio avec Alger afin de maintenir un contact avec les alliés. Cette mission ne sera pas de tout repos pour l’officier radio qui traqué par l’OVRA [Organizzazione di Vigilanza e Repressione dell’Antifascismo-Organisation de Surveillance et de Répression de l’Antifascisme, la police politique italienne] devra changer régulièrement de planque.

Dans la nuit du 6 au 7 Janvier 1943 c’est un autre sous-marin qui s’approche des côtes corses, celui-ci est britannique et il débarque quelques hommes au Capo Nero dont notamment Godefroy “Fred” Scamaroni. Celui-ci rejoint Ajaccio en bicyclette et rentre rapidement en contact avec le Front National avec lequel il n’arrive pas à se mettre d’accord. En effet Scamaroni est l’émissaire de De Gaulle, farouche défenseur des F.F.L il voit la résistance comme une troupe d’appoint pour les forces de libération et préparer le débarquement.

“Lorsque nous avons connu sa présence en Corse, nous avons été très préoccupés de le rencontrer, très désireux de le rencontrer, car pour nous c’était l’espoir d’obtenir des armes de l’étranger. Etant donné que ceux que nous avions comme armes c’était uniquement celles que l’on avait soustrait à le réquisition de Vichy, des fusils de chasses, de revolvers, etc. Pour nous donc c’était une chose très importante, j’ai donc rencontré Scamaroni à deux reprises, une première fois avec (Nonce) Benielli et une seconde fois avec (Jean) Nicoli. Mais nous  avons eu un échange de propos amical, mais nous avons constaté qu’il nous était impossible de nous mettre d’accord. Nous lui avons proposé d’être coopté au comité départemental du Front National qui était en train de se former et il a refusé tout net. Et il nous a dit : “Je suis envoyé par le Général De Gaulle pour coiffer la Résistance Corse et non pas pour y participer à ce titre là.” Lors de la seconde entrevue, nous avons recommencé à faire nos propositions et il nous a objecté les mêmes raisons que la première fois.”

Arthur Giovoni, Résistant et ancien  Maire d’Ajaccio.

Si la mission de Scamaroni est donc essentiellement liée à l’espionnage et à la préparation du débarquement, elle n’en est pas moins périlleuse que la résistance active et armée. Et pour cause, celui qui se fait appeler “Rossi” est arrêté par des agents du contre-espionnage italien, il est rapidement enfermé dans la citadelle d’Ajaccio et torturé des jours durant. De peur de céder à la douleur et d’avouer les noms de ses compagnons, Fred Scamaroni utilise ses dernières forces pour se suicider le 18 Mars 1943. D’après certains en avalant une pilule de cyanure et pour d’autres en se tranchant la gorge avec un fil de fer trouvé dans sa cellule. Avant sa mort, dans un dernier souffle de vie il aurait écrit avec son propre sang sur les murs de sa geôle :

“Je n’ai pas parlé ! Vive la France ! Vive de Gaulle !”

La Résistance en Corse

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