Le gouvernement oublie les locataires

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Le gouvernement oublie les locataires

Aucune mesure de soutien spécifique aux locataires n’a été annoncé par l’exécutif qui renvoie la responsabilité aux collectivités territoriales. 

Le logement, un poste de dépense qui pèse de plus en plus lourd

Les pertes de revenus liées aux différentes mesures de luttes contre l’épidémie de coronavirus risquent de provoquer de nombreux impayés de loyers. Le marché de l’immobilier a régulièrement battu des records sur les montants atteints par les loyers principalement dans les grands centres urbains. Selon l’INSEE, le taux d’effort (la part des revenus consacrée au logement) est passé de 16,4 % à 19,3 % entre 2008 et 2018. Ce taux varie fortement selon le statut de l’occupant du logement, ainsi il est de moins de 10 % pour les propriétaires contre plus de 29 % pour les locataires du parc privé. Le parc public joue un rôle modérateur important abaissant à 25 % le taux d’effort moyen, le plaçant au même niveau que pour les accédants à la propriété. 

Derrière ces moyennes se cachent d’importantes disparités. Pour les plus pauvres, le taux d’effort peut être bien plus important. C’est souvent le cas des jeunes dont les revenus sont plus faibles et particulièrement pour les étudiants souvent dépendant d’une certaine solidarité familiale pour boucler leur budget mensuel. Selon l’observatoire de la vie étudiante, plus d’un tiers du montant des loyers des étudiants est pris en charge par la famille en moyenne. Pour ces derniers, une diminution des revenus de leurs parents peut signifier une diminution des transferts et une rapide difficulté face aux échéances. 

Une note de l’Institut de recherche économique et social estime ainsi que plus de 2,8 millions de ménages d’actifs représentant 7 millions de personnes ont connu des pertes de revenu pouvant entraîner des difficultés face aux dépenses liées au logement.

Les associations mobilisées contre l’inaction gouvernementale

Plusieurs associations déplorent le manque de réactivité du gouvernement français sur cet enjeu. Les expulsions locatives sont certes suspendues jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire le 10 juillet prochain. Cependant, les loyers sont toujours dus et les bailleurs peuvent envoyer des lettres de relances et débuter les procédures d’expulsions dont seules les exécutions sont suspendues. Le risque est donc fort que le 11 juillet se transforme en une journée d’expulsion massive. Si des mesures exceptionnelles d’aides directes ont été prises pour les plus précaires, elles demeurent insuffisantes. Les bénéficiaires du RSA ont ainsi perçu 150 €, les étudiants et jeunes précaires recevront 200 € à la mi-juin, pour les familles percevant les APL, 100 € seront versés par enfant. Des montants insuffisants pour prémunir réellement les retards et impayés de loyers. 

La fédération des associations et acteurs pour la promotion et l’insertion par le logement observe une augmentation de 49 % des incidents de paiement auprès de ses adhérents. Un constat partagé par l’Union sociale pour l’habitat qui regroupe les fédérations de bailleurs HLM. Un accord a été conclu avec des associations de locataires pour faire la promotion de bonnes pratiques parmi les acteurs de l’habitat social. La charte demande notamment que l’étalement des loyers jusqu’à septembre soit proposé en faisant en sorte de proposer des mensualités soutenables. Le document est également revendicatif puisqu’il propose que les expulsions soient suspendues jusqu’au 31 mars, ce qui avec la trêve hivernale les renverrait au 31 mars 2021. Il est aussi demandé une aide supplémentaire de 200  € aux ménages fragiles et aux étudiants qui correspondrait au remboursement de la baisse de 5 € d’APL décidé en 2017. Autre piste proposée, le financement par l’État des fonds de solidarité logement, exsangues et principalement alimentés par les collectivités locales. 

Une revendication également soutenue par la fondation Abbé Pierre qui va plus loin et demande un fonds national d’aide à la quittance à hauteur de 200 millions d’euros. Une demande qui rejoint un appel similaire de la confédération nationale du logement dont le président a fait parvenir une lettre à l’Élysée reprenant leurs revendications. L’association avait également demandé l’annulation des loyers pour les étudiants aux côtés de l’UNEF, l’UEC et le MJCF.

Un appel à un moratoire sur les loyers

L’inaction du gouvernement français est d’autant plus inexcusable que beaucoup de ses voisins, frappés par l’épidémie, ont mis en place des mesures de protection spécifiques sur le logement. À Lisbonne, les locataires du parc social disposent de plusieurs mois pour régler leurs loyers du mois de juin sans pénalité. L’Allemagne accorde deux ans pour régler la facture à tous les locataires. En Espagne, les expulsions sont suspendues pendant l’état d’alarme et les six après sa fin. À Bruxelles, une prime a été versée aux bailleurs pour être déduite du loyer. Des exemples mis en avant par le DAL pour dénoncer la situation en France :

« La France sera-t-elle le dernier grand pays européen à mettre en place un moratoire des loyers ? Le gouvernement laissera-t-il expulser des centaines de milliers de ménages ? Le Gouvernement argue qu’il a prévu des aides financières aux salariés et aux ménages pauvres, mais il ne tient pas compte de ceux et celles très nombreux qui passent déjà à travers les mailles du filet social. »

Alors que des milliards d’euros sont accordés sans difficulté ni condition aux grandes entreprises, le silence sur la question du logement est inacceptable. Des mesures d’urgence doivent être prises rapidement pour empêcher de plonger des millions de personnes dans la spirale de l’endettement, dans le mal logement voir de les condamner à la rue. Il est également nécessaire de repenser les politiques de logement pour casser la logique spéculative. L’arrêt des activités de AirBnB dû à l’épidémie a ainsi multiplié les offres de location de meublés en Île-de-France, preuve que l’offre existe. Le développement d’une offre publique à vocation universelle doit également être enfin envisagé sérieusement. La crise qui s’annonce montre que la maîtrise publique du parc de logement est également un enjeu de résilience. Le DAL a lancé une pétition en ligne pour un moratoire des loyers pour les locataires les plus en difficultés.


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