Les jeunes face au racisme : entretien avec Mina Idir

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Les jeunes face au racisme : entretien avec Mina Idir

Depuis des mois et des années, la mobilisation contre les violences policières prend de l’ampleur. Le 25 mai 2020, l’assassinat de Georges Floyd par un policier de Minneapolis a suscité une vague d’émotion suivie de larges manifestations à travers les Etats-Unis et le monde. En France, les luttes contre les violences policières et racistes ont été rejointes notamment par beaucoup de jeunes. Avant-Garde a été à la rencontre de Mina Idir, responsable de la commission antiracisme du Parti communiste français pour échanger sur la situation en France.

Les violences policières touchent particulièrement les quartiers populaire, peux-tu expliquer pourquoi ?

On constate souvent que les violences policières interviennent après un contrôle au faciès, et nous savons bien que tout le monde ne se fait pas contrôler de la même manière, certain.e.s d’ailleurs ne sont jamais controlé.e.s. Les violences policières touchent souvent des personnes  qu’on dit « racisé.e.s » avec comme point de départ des préjugés, des amalgames. On a entendu récemment des syndicats policiers ou des avocats de policiers dire que c’est normal de controler des jeunes par rapport à leur look, démarche etc. Les violences policières touchent une classe de notre population et une partie de notre jeunesse. 

Adama Traoré est mort à l’âge de 24 ans, Zyed et Bouna sont morts alors qu’ils n’étaient pas encore majeurs, comment se fait-il que les jeunes semblent davantage concernés par la répression et les violences policières ? 

Peut-être une volonté de « mater », de faire rentrer dans l’ordre, peut être que toucher à la jeunesse est volontaire ou involontaire, peut être que face à un plus jeune il est plus facile de sortir du cadre. Les jeunes vivent leur jeunesse, parfois dans l’insouciance, s’amuser, trainer quand ils n’ont pas d’endroits où aller. La jeunesse ne doit pas être assimilée à délinquance, et c’est là le danger. Au-delà de la jeunesse, c’est ce qu’ils représentent qui est attaqué. 

Y a-t-il des pratiques racistes dans la police ?

La police dans son ensemble je ne sais pas répondre, il y a différents ordres, différentes générations. Mais il y a des pratiques racistes, les sondages sur les choix électoraux des policiers accréditent cette thèse. Depuis la guerre d’Algérie, la police française a été liée à la colonisation, et n’a pas pu se réformer elle n’a pas pu se dégager de la pensée raciste.

Il y a beaucoup d’efforts à faire, il y a des choses à changer. La police de proximité est devenue les forces de l’ordre. Nous voulons des gardiens de la paix pour assurer la sécurité des biens et des personnes. Dans cette institution, les policier.e.s rencontrent des difficultés et subissent les pressions de groupes, qui peuvent pousser à l’essentialisation.

Le film « Les misérables » est à voir, car on y retrouve la diversité des policiers. Mais on y voit aussi la pression, l’omerta, un entre soi jamais réglé. 

Que demande le PCF pour mettre fin au contrôle au faciès ?

Cela fait longtemps que le parti demande un récépissé de contrôle pour stopper les controles au faciès, c’est une lutte pour l’égalité et la dignité. Il faut aller plus loin, pourquoi les caméras des policiers ne fonctionnent pas ? Il faudrait qu’elles fonctionnent pour sécuriser le policier, et la personne interpellée. Il faut des moyens car la police est un service public, il faut des moyens humains, matériels, financiers.

D’autres pratiques doivent-elles être remises en cause ?

Toutes les pratiques d’interpellation qui ont conduit à la mort de personnes interpellées doivent cesser. Les vidéos témoignent de cette violence, de la tension, on ne peut plus cautionner que trois policiers se jettent sur un homme qui n’a d’autre choix que de dire j’étouffe, j’étouffe, j’étouffe jusqu’à l’arrêt cardiaque. Il faut remettre du dialogue, de la formation et lutter aussi contre le racisme dans la société. 

Les jeunes sont nombreux dans les manifestations de ces dernières semaines, y a-t-il un nouvel élan dans les luttes antiracistes ? 

A Avignon, 600 jeunes se sont retrouvés spontanément dans la rue un samedi, sans organisation officielle, un appel dans les réseaux sociaux, et ils sont descendus dans la rue, pour dire stop aux violences policières, stop au racisme. Il y a un souffle nouveau, cette jeunesse ne veut pas de cette société, ils l’expriment, ils veulent la justice, la vérité, et surtout la dignité. Ce mouvement est à l’égal de #metoo, ce sont les personnes concernées qui prennent la parole et qui prennent ce mouvement. Ils vivent cette violence, le racisme dans leur chair tous les jours, et on ne peut rester insensible à ça. Oui il y a un nouvel élan, de la fraîcheur, et nous devons être à leurs côtés pour porter cette lutte émancipatrice et nécessaire.

Les contrats précaires touchent particulièrement les jeunes. Sont-ils plus susceptibles de subir des discriminations lors de leurs entretiens d’embauches ?   

Avant d’arriver au contrat, je suis souvent sollicitée par des jeunes qui ne trouvent pas de stages, et des jeunes de toutes origines, « racisés » ou pas. La difficulté est plus importante pour les personnes issues des quartiers populaires. Alors quand on ne trouve pas un stage gratuit, souvent nécessaire pour valider une année, une formation, qu’en est-il pour un emploi ? Les jeunes sont de la main d’œuvre d’ajustement, ils sont utilisés pour ces contrats précaires, souvent comme les femmes. Ils subissent des discriminations, et parfois leur CV n’est pas lu, on regarde l’âge, le nom, l’adresse, et les lieux de formations ou d’études. Les jeunes portent sur eux ces discriminations, et ils sont les premières victimes de la crise à venir. La précarité comme avenir n’est pas rassurant pour elles, pour eux. Ils devraient être la priorité, et nous devrions leur proposer des solutions, comme celle que vous avez portée, un revenu minimum avant 25 ans, pas pour les conforter dans l’inaction comme certains disent mais pour les accompagner, les rassurer et éviter qu’ils soient exclus du système. 

Pour trouver un logement, est-ce les mêmes logiques et les mêmes difficultés ? 

Trouver un logement quand on est jeune c’est un parcours du combattant, déjà pour les plus « vieux » c’est dur. Il faut gagner 3 fois le montant du loyer, être en CDI, avoir deux voire trois garants. La difficulté est là, comment font-ils ? Leurs salaires sont inférieurs, ils sont souvent dans des emplois précaires, alors accéder au logement devient un périple. Il faut faciliter l’accès au logement, leur permettre de se loger sans leur demander l’impossible.

Comment rassurer notre jeunesse qui est notre avenir quand on leur met des bâtons dans les roues pour chaque démarche ? J’ajouterai tout le racisme subi dans ces démarches, racisme testé et constaté.

Lutte antiraciste et lutte de classes doivent donc être menées de front ?

Aujourd’hui, plus que jamais, la lutte des classes fait des dégâts ainsi que le racisme. Nous ne pouvons séparer les deux, mener la lutte contre le capitalisme et l’ultralibéralisme et mener la lutte contre le racisme. Ces luttes doivent se mener de front car dans la réalité, celles et ceux qui sont le plus opprimés, les plus attaqués sont issus de la classe populaire, des jeunes, des femmes. La lutte anti raciste aujourd’hui est un enjeu de taille et nécessaire qu’il faut affronter. Mais la lutte antiraciste à mon sens est transversale dans de nombreux domaines. L’exclusion géographique, la pauvreté, les conditions de vie, les conditions de travail des personnes victimes de racisme doivent nous faire mesurer l’importance de ce combat. Ce sont toujours les mêmes qui sont exclus du monde du travail, du logement, de la santé, des études, et notre parti doit comprendre cette transversalité, de l’écologie, à la santé, à l’éducation, à l’économie. Ces luttes sont d’actualité, et elles doivent se mener avec toutes celles et tous ceux qui luttent pour l’émancipation et contre les discriminations. Il y a ce front de luttes à construire avec les jeunes notamment pour pouvoir respirer et construire une nouvelle société.


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