« Les pénuries se font encore plus ressentir qu’à l’habitude »

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« Les pénuries se font encore plus ressentir qu’à l’habitude »

Lise est externe dans les hôpitaux de Paris, elle a accepté de répondre aux questions d’Avant-Garde sur ses conditions de travail avec la crise sanitaire en cours.

Peux-tu te présenter ?

J’ai 23 ans, je suis actuellement externe, en 5e année de médecine à Paris. Je suis adhérente au MJCF depuis 2013 et j’ai effectué plusieurs mandats à des responsabilités locales. Je suis également membre du PCF et adhérente à la CGT. 

Au-fait, c’est quoi l’externat ?  

L’externat est la période de la 4e à la 6e année de médecine durant laquelle on est le matin à l’hôpital et l’après-midi en cours. C’est une période très stressante pour nous puisqu’on prépare les ECN (Ndlr : les épreuves classantes nationales), un concours qui va déterminer notre future spécialité et le département de notre internat. Notre temps passé à l’hôpital est censé être un temps de formation, cependant c’est très aléatoire en fonction des services. Si dans certains services le travail qu’on accompli correspond à nos objectifs de formation, il arrive souvent qu’on se retrouve à pallier les manques d’effectifs des personnels soignants mais aussi administratifs. Pour 20h à 25h par semaine, nous sommes payés 129 euros brut en 4e année et 251 euros en 5e année ; une garde de nuit de 12h est payée 52 euros brut.

Qu’est-ce que la pandémie a changé à ton travail ?  

En temps normal on est en stage, on travaille 5 matins par semaines – plus les gardes – à l’hôpital mais avec l’épidémie une partie des terrains de stage, les services, ont fermé pour ouvrir des unités Covid. Cette mesure a affecté mon service. Les étudiants concernés par les fermetures ont été réaffectés sur la base du volontariat soit en renfort des unités covid soit en tant que faisant fonction d’infirmier ou d’aide-soignant. 

Depuis un mois je travaille en faisant fonction d’infirmière de nuit dans une unité de gériatrie avec certains patients testés positifs au coronavirus.  Les professions de médecins et d’infirmier, même si le travail en commun est quotidien, sont tout à fait différentes dans les gestes techniques. Nous n’avons eu qu’une demi-journée de formation avant de commencer dans nos nouveaux services, d’être “ lâchés dans l’arène ” comme disent certains de mes collègues. 

Peux-tu nous éclairer sur les conditions de travail rencontrées avant la pandémie et maintenant ?  

Il ne faut pas croire que les pénuries, le manque d’effectif soient nouveau à l’hôpital et que ça arrive avec le covid. Comme les hôpitaux sont gérés avec des critères de rentabilité, il arrive souvent qu’on rencontre du manque de matériel et qu’on doive l’emprunter de service en service voire dans un autre hôpital. Quand j’étais en gynécologie, il nous est arrivé de devoir contacter 2 autres hôpitaux pour être dépannés de matériel nécessaire au suivi du bien-être du bébé en salle de travail. De nombreux hôpitaux font aussi face à des problèmes d’insalubrité dans des locaux usés par le temps et le manque d’entretien. On se retrouve souvent avec des souris dans les locaux. Un véritable scandale pour les agents comme pour les patients. 

Depuis longtemps, il existe un cruel manque de personnels médicaux et paramédicaux à l’hôpital. Un manque d’effectif qui s’est accentué avec la crise sanitaire actuelle. Je me suis déjà retrouvée seule infirmière (ce n’est pas ma formation) avec une aide-soignante pour quatorze patients souffrant de troubles cognitifs importants en plus du coronavirus. Les pénuries se sont encore plus ressentir qu’à l’habitude que ce soit les ruptures de stocks de médicaments ou de tenues de protection. 

Le manque de protections et le risque d’être infectée t’alarment-ils ? Est-ce que certains de tes collègues ont été touchés par la maladie ?  

Me concernant j’ai toujours eu de bons équipements, mais ce n’est pas le cas de tous. Certaines de mes amies dans d’autres hôpitaux se sont retrouvées avec des sacs poubelles faisant office de surblouse. Mais même avec les protections à disposition, il est parfois nécessaire d’agir dans l’urgence sans prendre le temps de s’habiller correctement, ce qui nous met en danger. Le risque d’être infecté est réel, plusieurs de mes collègues sont malades. On a peur, non seulement pour nous, mais aussi d’être des vecteurs de la maladie par rapport aux personnes qui vivent avec nous ou encore par rapport à nos patients non atteints.

Tu es salarié de l’APHP, mais également étudiante, comment l’épidémie impacte-t-elle tes études ? 

On a tous mis entre parenthèses nos études pour s’investir dans cette crise. On a des cours disponibles en ligne, mais c’est compliqué de les suivre en plus du temps qu’on passe à l’hôpital. La faculté a reporté nos partiels de seulement 1 semaine alors que cela fait plus d’un mois que nous sommes mobilisés. Les études de médecine sont stressantes, nous sommes soumis à une pression constante. Une récente étude a montré que 66,2% d’entre nous souffrent d’anxiété, 27,7% de dépression et 23,7% ont déjà eu des idées suicidaires ! On nous rajoute une source de stress supplémentaire dans cette période déjà physiquement et moralement compliquée …

Enfin, as-tu des attentes concernant le monde de la santé (condition de travail, rémunération, statut des agents, formation, effectifs …) 

Il y en a tellement ! Il faut vraiment plus de moyens pour l’hôpital public, c’est la priorité. Une hausse des rémunérations des médecins, internes, infirmières, aide-soignantes, brancardiers, personnels d’entretien et autre est indispensable. Ces personnes font un métier utile et indispensable, il faut que leur travail soit rémunéré à sa juste valeur. Il faut également un plan massif d’embauche et de réouverture de lits. Toutes ces demandes sont bien sûr pour le bien-être des soignants, mais aussi pour celui des patients ! La santé n’est pas une marchandise, les hôpitaux ne doivent plus être gérés sur des critères de rentabilité.


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