Loi Avia, inefficace, contre-productive et dangereuse

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Loi Avia, inefficace, contre-productive et dangereuse

Quand la loi rencontre Internet, c’est généralement pour le pire. Nouvel exemple avec l’adoption de la loi « contre la haine sur Internet ». 

La lutte contre la haine en ligne

Les déferlements de haines observés régulièrement sur Internet et plus particulièrement les réseaux sociaux ne laissent personne indifférent. Il est assez aisé une fois une certaine masse critique atteinte de pouvoir déclencher des attaques ciblées avec une organisation limitée. La prise de risque pour la tenue de propos qui tombent sous le coup de la loi est limitée ce qui encourage probablement ce genre de comportement. Le caractère international d’Internet complique la réponse pénale tout comme la capacité d’identifier les auteurs d’éventuelles infractions. 

Les réseaux sociaux par la viralité qu’ils permettent et la position quasi hégémonique des plus gros d’entre eux sont le territoire principal de la partie la plus émergée de ces déferlements de haines. La loi contre la haine sur Internet s’inscrit dans une continuité de précédentes lois visant à « armer » la justice face des infractions qu’elle peine à condamner. L’exposé des motifs de la proposition de loi portée notamment par la députée de Paris Laetitia Avia, ne dit d’ailleurs pas autre chose : 

« Sur Internet, ce phénomène [la haine] est décuplé par la libération d’une parole haineuse décomplexée, car trop souvent tolérée sous l’artifice du virtuel. C’est ainsi que cet outil d’ouverture sur le monde, d’accès à l’information, à la culture, à la communication, peut devenir un véritable enfer pour ceux qui deviennent la cible de “haters” ou harceleurs cachés derrière des écrans et pseudonymes. »

Un objectif louable, contesté par personne, mais qui aboutit à une loi qui aurait pu être cosmétique, mais est finalement dangereuse et même contre-productive. 

La censure comme unique solution

Si la loi adoptée prétend proposer une approche globale, en réalité son principal impact réside dans ses articles 1 et 2. 

Le premier prévoit que les contenus faisant l’apologie du terrorisme ou pédopornographiques soient rendus inaccessibles en moins d’une heure après leur signalement. 

Ce dernier prévoit que tout contenu « manifestement illicite » doit être supprimé dans un délai de 24 h après leur signalement.

Cette censure interviendrait sans contrôle d’un juge et sur la seule décision de l’acteur privé en gestion de l’hébergement des contenus. Cette obligation est limitée aux seuls acteurs dépassant un certain nombre (renvoyé à un décret) de connexions mensuel en France. Sur l’obligation de suppression en une heure pour les contenus terroristes et pédopornographiques, elle concernerait en revanche l’ensemble des sites qui proposent des espaces de publications à leurs utilisateurs. Une contrainte à la limite de l’absurde qui plonge des milliers de sites Internet, incapables de répondre avec une telle célérité dans une incertitude juridique importante. 

Une loi fortement critiquée

Depuis sa genèse, cette proposition de loi a été critiquée de toute part. Une première réserve est venue du Conseil national du numérique qui a émis un avis dès la première version du texte en mars 2019. La commission nationale consultative des droits de l’Homme a également manifesté son désaccord avec le contenu de la loi. Ces deux instances invoquent par ailleurs le besoin de travailler à une réponse au niveau de l’Union européenne. Le marché unique concerne également Internet pour lequel l’Union européenne assure une certaine harmonisation des législations nationales. 

Ces instances ont vu plutôt juste puisque la Commission européenne a accueilli très froidement la proposition de loi française. Après avoir refusé d’émettre un avis rapide, jugeant l’urgence de la loi non fondée, la Commission a émis des observations officielles à la France. Pour elle, cette loi contrevient aux règles du marché unique et impose des restrictions à la libre circulation des services Internet en provenance d’un autre État membre. L’exécutif européen considère également que les règles mises en place ne sont pas proportionnées à l’objectif poursuivi de lutte contre la haine en ligne. Le gouvernement français ne cache pas avoir appuyé cette loi pour peser sur une révision des règles européennes en matière de responsabilité des hébergeurs. L’exemple d’une loi similaire adoptée en Allemagne est également invoqué. 

De nombreuses associations de défense des libertés sur Internet ont fait part de leurs sévères critiques. C’est notamment le cas de la Quadrature du Net qui pointe les risques que font peser les dispositions adoptées. Pour l’association, la racine du problème réside dans le modèle économique des grandes plateformes auquel ne s’attaque pas la loi. Leur modèle repose sur un accaparement de l’attention en vue d’accumuler des données personnelles pour vendre des publicités très ciblées. Ce modèle nécessite la promotion des contenus les plus sensationnels, les plus polarisants, les plus émotionnels. Ce qui favorise grandement la haine en ligne. Aucune disposition de la loi contre les contenus haineux sur Internet ne vise à modifier cette situation. 

Pire, la nécessité d’une suppression rapide, voire très rapide, encourage le traitement algorithmique des signalements ainsi que des « travailleurs du clic » pour assurer la « modération ». Le risque c’est que les plateformes les plus petites se trouvent dépendantes de solutions de modération « clé en main » fournie par les mastodontes du secteur. Ce qui renforcerait le poids dans ces derniers dans la censure des contenus. La loi encourage également des suppressions abusives. Il sera plus sûr de retirer un contenu en cas de doute sur légalité plutôt que de le laisser, l’inverse du fonctionnement de la justice. Le coût d’examen devra également être contenu, ce qui encourage une censure expéditive qui fera peu dans le détail, de la même façon l’ensemble d’un contenu pourra être supprimé plutôt que la seule partie litigieuse. Enfin, la loi prévoit également que la rediffusion des contenus supprimés soit limitée, ce qui fait craindre l’utilisation d’algorithmes de contrôle systématique des contenus postés dans le but d’une modération a priori.

Échec également sur la méthode

Cette proposition de loi aura été également marquée par une procédure particulièrement bâclée. Le choix de recourir à une proposition de loi portée par une députée plutôt qu’à un projet de loi écrit par le gouvernement a permis d’éviter à la majorité de fournir une étude d’impact. Cette absence ne peut qu’être fortement regrettée au vu des conséquences importantes potentielles de cette loi. Comme la majorité des textes présentés au Parlement depuis le début du quinquennat, la procédure accélérée a été choisie limitante le temps du débat parlementaire. 

La mesure la plus dangereuse de ce texte a été introduite dans le texte par un amendement lors du second passage à l’assemblée. L’obligation de retrait en une heure des contenus terroristes et pédopornographiques ne figurait pas ainsi dans la première version adoptée par l’Assemblée nationale ni dans celle adoptée par le Sénat. Cet ajout loin d’être anecdotique change totalement la nature du texte qui désormais ne concerne plus uniquement les hébergeurs les plus importants, mais les soumet à une obligation bien plus difficile à respecter. 

Enfin, l’adoption définitive du texte s’est faite alors que le fonctionnement de l’Assemblée est toujours grandement perturbé par l’épidémie de Covid-19. Alors que le gouvernement avait annoncé que seuls les textes concernant la crise sanitaire en cours seraient examinés par une Assemblée qui ne se réunit que de façon incomplète, l’adoption définitive de ce texte a été forcée. Une situation dénoncée par les députés communistes qui ont fait le choix de boycotter l’examen de ce texte

Sous prétexte de lutter contre les contenus haineux, cette loi risque de renforcer les pouvoirs des principaux réseaux sociaux et assurer la domination de leur modèle économique pourtant à l’origine même de la prolifération de la haine en ligne.


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