LREM attaque le Sénat pour protéger le Président

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LREM attaque le Sénat pour protéger le Président

L’affaire Benalla a connu il y a un peu un nouveau sursaut. Le bureau du Sénat a décidé de transmettre au procureur une partie des dépositions reçues dans le cadre de sa commission d’enquête, pour laisser à ce dernier l’opportunité d’engager des poursuites. Parmis les personnes visées, trois membre de l’équipe du Président.

Entre le Sénat et le Président un début de mandat en bonne entente

Les relations entre le Sénat et le Président de la République avaient pourtant bien commencé. Par un tour de force propre au scrutin indirect, Gérard Larcher avait réussi à récupérer le Sénat en 2017 et à largement contenir une éventuelle vague macroniste. Le potentiel de défection vers le Président était pourtant au plus haut, la droite continuant de subir le naufrage de son candidat à l’élection présidentielle, François Fillon. Alors qu’on avait vu un Sénat de droite livrer une véritable guérilla au Président Hollande, de la même façon que le Sénat sous majorité socialiste s’était opposé par tout moyen au Président Sarkozy sur la fin de son quinquennat, en 2017 le Sénat a livré une toute autre partition.

Avant même les élections de septembre, mais alors qu’une campagne feutrée destinée aux quelques 150 000  grands électeurs avait déjà commencé, la droite sénatoriale facilitait l’entreprise de destruction du droit du travail lancée par le tout nouveau Président. Au milieu de l’été la commission mixte paritaire accélérait l’adoption de la loi d’habilitation permettant les ordonnances Macron.

Quelques mois plus tard, le Sénat renforce la sélection prévue par la loi ORE avant de finalement la valider en commission mixte paritaire offrant une nouvelle victoire à un gouvernement qui, officiellement, n’est pas soutenu par la chambre haute. Il y a quelques semaines c’était la loi anticasseurs qui mettait majorité présidentielle et opposition de droite d’accord, le gouvernement a repris, en la modifiant, une proposition de la droite sénatoriale, qui l’a accepté directement pour aller plus vite.

La réforme des institutions au coeur des désaccords entre Macron et les sénateurs

Un sujet divise toutefois profondément, le Sénat et la Présidence de la République, la réforme des institutions ne plait pas du tout à la droite sénatoriale. La limitation du cumul dans le temps des mandats et la réduction du nombre de parlementaires sont rejetés l’un et l’autre par les sénateurs. Le Président du Sénat qui se targue d’entretenir de bonnes relations avec Emmanuel Macron a cette fois ci été contraint de monter au créneau. Avec modération cependant.

Si La République En Marche n’a pas la capacité de modifier seule la Constitution ne disposant pas pour ça de la majorité des trois cinquième dans les deux chambres, le Président peut toujours passer par un référendum. Un pari certes risqué, cependant la diminution du nombre de parlementaires et la limitation du cumul dans le temps des mandats sont des propositions assez populaires dans l’opinion. Inversement, le Sénat ne jouit que d’une très faible popularité, la complexité de son mode d’élection et son impact souvent invisible dans la production des lois contribuant à une image d’inutilité.

Sur ce sujet aussi l’opposition s’est faite feutrée loin de l’outrance déployée par la droite sénatoriale lors de son opposition aux gouvernements de François Hollande.

L’affaire Benalla, naissance d’une opposition sénatoriale

L’irruption de l’affaire Benalla au beau milieu de l’examen de cette révision constitutionnelle a complètement changé la donne. La droite sénatoriale y a vu une occasion inespérée d’exister médiatiquement face à l’autre chambre, l’Assemblée Nationale qui, verrouillée par la majoritée présidentielle, a renoncé à se saisir de son pouvoir d’enquête. La commission d’enquête sénatoriale a donc pu à loisir jouer le rôle de justicier face à une majorité présidentielle tétanisée par les multiples révélations autour de l’ex-employé de l’Elysée.

Conduite par Philippe Bas, sénateur de la Manche et président de la commission des lois, la commission d’enquête du Sénat s’est montré particulièrement déterminée à faire la lumière sur d’éventuels dysfonctionnement de l’Elysée. Après avoir un temps accusé cette commission d’empiéter sur le terrain judiciaire, la majorité présidentielle a dû changer de braquet. La publication de l’accablant rapport de la commission a obligé les alliés du Président à une autre stratégie.

Avec le renvoi vers l’autorité judiciaire des plusieurs dépositions de conseillers du Président accusés « d’omissions, d’incohérences et de contradictions » lors de leurs témoignages devant la commission d’enquête, l’argument de l’empiétement sur l’autorité judiciaire n’était plus utilisable. La compétence du Sénat à contrôler la Présidence de la République a donc été remise ouvertement en question par la majorité présidentielle. Une rhétorique pratique mais fausse, les constitutionnalistes reconnaissant que le contrôle de l’exécutif par les chambres doit porter aussi bien sur le gouvernement que sur la Présidence. Le tour de France du Président lors du grand débat enterrant l’idée d’un Président au-dessus de la mêlé.

Deux conférences communes entre le Président du Sénat et son homologue de l’Assemblée Nationale, Richard Ferrand, ont depuis été annulées. Le Premier ministre a même lui refusé de se présenter devant la chambre haute le 21 mars dernier pour une séance de questions au gouvernement. Une crise peu commune, qui semble s’installer alors que la réforme des institutions est à nouveau mise sur le devant de la scène. Un conflit qui a réussi pour un bout à faire contre-feu sur le sujet initial, les potentiels mensonges de conseillers du Président face aux sénateurs sur l’affaire Benalla.


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