Lynda Bensella (CGT) : “Voter aux élections TPE, c’est donner son avis, c’est le premier pas vers l’action syndicale

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Lynda Bensella (CGT) : “Voter aux élections TPE, c’est donner son avis, c’est le premier pas vers l’action syndicale

Les salarié·e·s des très petites entreprises (TPE) ont jusqu’au 6 avril pour désigner les syndicats qui les représenteront. Avant-Garde a rencontré Lynda Bensella qui est membre du collectif confédéral TPE de la CGT et présidente de la Commission Paritaire Régionale Interprofessionnelle d’Auvergne-Rhône-Alpes (CPRI)

Avant-Garde : Du 22 mars au 6 avril ont lieu les élections dans les très petites entreprises (moins de 11 salariés), à quoi servent ces élections ?

Lynda Bensella : À quoi ça sert de voter ? C’est une bonne question, à l’époque du géant Abstention. Voter pour les salariés des TPE est un droit nouveau depuis 2012. Alors que pour le reste du monde du travail cela date de 1936. C’est un droit d’expression récent et menacé. La Direction Générale du Travail (DGT) envisage de supprimer les élections si le taux de participation baisse pour ce troisième scrutin TPE. En 2012 on a eu 10% de votants,  et en 2017 on a eu 7%. 

C’est une attaque contre les droits démocratiques dans l’entreprise, sur le  « lieu d’exploitation ». Les TPE c’est 20% du salariat en France, autant que les trois fonctions publiques réunies (Etat, territoriale et hospitalière). Imaginez qu’on puisse dire : on va supprimer le droit de vote à 5 millions de citoyens !

Voter dans une TPE  c’est d’abord désigner des syndicats, des représentants pour les CPRI dont les prérogatives sont : 

  • de donner aux salariés et aux employeurs toute information ou tout conseil utile sur les dispositions légales ou conventionnelles qui leur sont applicables ;
  • de faire des propositions sur la santé au travail pendant la période sanitaire actuelle et au-delà ;
  • de faciliter l’accès aux activités sociales, culturelles et sportives aux petites entreprises qui n’ont pas accès au « Comité d’Entreprise », aujourd’hui Comité Social et Economique (CSE). Un exemple : Un accord a été signé au sein de la CPRI AURA qui permet la prise en charge à 100% par l’employeur d’une Carte Loisirs ou d’une carte Cezam. Cette carte donne accès à des « activités sociales culturelles, de vacances et de loisirs » à des tarifs préférentiels dans toute la France ;
  • de contribuer à la prévention des conflits en apportant des informations et des recommandations aux salariés et aux employeurs n’ayant pas donné lieu à saisine d’une juridiction. La commission ne peut intervenir qu’avec l’accord des parties concernées. Cette commission permet de maintenir l’emploi du salarié en rappelant le droit du travail trop souvent méconnu.

Voter permet également de choisir le syndicat qui sera amené à négocier :

  • des accords nationaux et interprofessionnels (ANI) ;
  • des Conventions Collectives (les grilles de salaires, le temps de travail, la formation professionnelle, les conditions de travail etc. ).        

Bref, il s’agit au-delà des CPRI de peser sur la représentativité syndicale qui définit le poids de chaque syndicat dans de nombreux organismes en région et nationalement dans les domaines de la protection sociale, conditions de travail, emploi… 

Les résultats de ces élections participent également à la désignation des conseillers prud’hommes. C’est là que chaque jour s’exerce la justice du travail, par des juges issus des organisations syndicales en fonction de leur score aux élections professionnelles (CSE et TPE).

Voter permet l’expression démocratique pour élire un syndicat et donc choisir et renforcer une conception du monde du travail, du droit du travail. Voter pour un syndicat de luttes comme la CGT n’engagera pas le monde du travail dans la même direction que voter pour un syndicat qui, par exemple, revendique la retraite par points ou admet l’application du barème Macron pour les salariés licenciés illégalement. 

AG : Quels sont les enjeux pour la CGT et que revendique-t-elle ?

LB : Pour les CPRI la CGT revendique des commissions de proximité c’est-à-dire passer de l’échelon régional à départemental. 

Par ailleurs, depuis longtemps elle milite pour des Comités Hygiène, Santé au Travail et Conditions de Travail de site (par bassin d’emploi ou professionnel, ex : les bouchers, les garages, les salons de coiffure, bars, assistantes maternelles…..). 

Il y a un enjeu important d’organisation des salariés, pour qu’ils puissent eux-mêmes défendre leurs droits.

Le monde va mal et le monde du travail en est une composante. Pour que les choses changent, il faut de nouveaux droits pour les TPE. Le champ des revendications est large : salaire, condition de travail, égalité professionnelle, droit à la formation pro, droit de donner son avis sur les congés payés souvent imposés en période de covid ….

Voter c’est donner son avis, c’est le premier pas vers l’action syndicale, donner son avis sur le travail c’est refuser de subir en silence.

Voter déjà c’est prendre le chemin de la lutte.

AG : Dans ces entreprises il n’y a pas de comités sociaux et économiques, ces salariés n’ont donc pas de représentants pour porter leurs réclamations, exprimer un avis sur la gestion de l’entreprise ou assurer des activités sociales et culturelles ? Quels sont les droits collectifs dans ces entreprises ?

LB : Le droit collectif c’est avant tout le droit du travail SOCLE de garantie collectives. Ce droit « entre » dans les TPE, mais trop souvent ils sont méconnus (code du travail ou convention collective) et donc non appliqués et cela doit changer.

Les CPRI sont chargés des activités sociales et culturelles mais l’immensité des régions est un empêchement à faire connaître les avancées des CPRI (voir l’accord sur prise en charge par l’employeur des cartes ASC).

Quant aux enjeux liés aux choix de gestion des TPE : la solution reste de s’organiser en syndicat pour peser sur les décisions. Dans une petite structure type association de 4 personnes la confrontation directe n’est pas de nature à faciliter l’engagement syndical, avoir un syndicat plus grand que le périmètre de la TPE semble la solution la plus efficace pour faire entendre ses droits notamment pendant cette période de crise. 

Un exemple : le droit à la formation professionnelle peut être une réponse en période d’inactivité et si cette revendication était porté par 20 ou 30 TPE sur un territoire elle serait certainement entendue. 

Rien n’empêche la formation professionnelle dans une TPE, si ce n’est l’ignorance des lois et la crainte de s’absenter de son poste de travail. La CGT propose des solutions sur le remplacement des salariés qui s’orientent vers de la formation professionnelle, ce qui manque c’est la lutte pour gagner et seul le combat semble trop difficile. D’où l’importance de s’organiser en syndicat. L’histoire sociale démontre l’efficacité de « l’association des travailleurs et des travailleuses ».

AG : D’après une étude de la DARES sur les chiffres de 2018, les TPE ont plus recours aux contrats précaires (CDD, intérim, contrats aidés) qui frappent particulièrement les jeunes et aux temps partiel que subissent très majoritairement les femmes. L’emploi stable et à temps plein n’est-il pas possible dans les TPE ?

LB : Les TPE comme dans le bâtiment et les travaux publics (BTP) sont souvent des sous-traitants et leur activité peut varier en fonction du carnet de commandes des plus grosses entreprises. Assurer une activité pérenne c’est aussi limiter le recours au contrats précaires, mais il est nécessaire plus globalement de lutter contre cette facilité des employeurs au recours à l’intérim et CDD. 

Des lois s’imposent c’est tout l’enjeu des droits nouveaux et notre capacité collective à croire et à militer pour que ses droits adviennent comme la Sécurité Sociale Professionnelle. Cette solution s’inspire directement de la Sécurité Sociale et de ses mécanismes. Nous pouvons imposer aux employeurs des caisses mutualisées pour stopper les licenciements et que le contrat de travail continue de courir en toute circonstances.

Le recours aux contrats aidés pose en grand la question de l’économie sociale et solidaire et de son financement par le recours aux plus jeunes travailleurs. Les associations sont très utilisatrices de contrats aidés, ce n’est pas une fatalité, il est là encore nécessaire d’agir sur les mécanismes de financement.

Les femmes subissent frontalement le temps partiel subi. Les pouvoirs publics dégagent leurs responsabilités sur ce grand sujet de société et la question du financement est un serpent qui étrangle doucement mais sûrement ces associations. Un exemple: le secteur de l’aide à Domicile. 

L’exigence de conditionner les aides publiques et de pouvoir les contrôler s’applique à tous les niveaux du monde du travail. 

Pour ce qui est des salaires encore une fois, il est essentiel d’utiliser le levier des Conventions Collectives Nationales pour faire élever le niveau de grilles de salaire et plus globalement relever le niveau du SMIC reste une urgence sociale.

AG : Comment fait-on pour voter dans cette élection quand on est salarié d’une TPE ?

LB : C’est facile et rapide, il y a deux possibilités : 

  • voter par courrier en cochant la case du syndicat choisi et renvoyer le tout dans l’enveloppe pré-affranchis ;
  • voter en ligne à l’aide des codes reçus sur  le courrier de mars.

Il y a plus de détail sur : https://election-tpe.travail.gouv.fr/

Les étudiants qui ont travaillé dans une TPE  peuvent également voter et ce quelque soit votre nationalité. 

Vous pouvez voter si au mois de décembre 2019, vous étiez salarié·e d’une entreprise de moins de 11 salarié·e·s ou employé·e à domicile, en CDI, CDD ou en contrat d’apprentissage ou si vous avez 16 ans révolus à l’ouverture du vote, le 22 mars 2021.


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