Missak et Mélinée Manouchian : « deux étrangers et nos frères pourtant »

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Missak et Mélinée Manouchian : « deux étrangers et nos frères pourtant »

Emmanuel Macron a annoncé dimanche l’entrée du résistant Missak Manouchian et de son épouse Mélinée au Panthéon. Avec eux, c’est tout l’engagement de la classe ouvrière, du Parti communiste français et des immigrés contre l’occupant nazi qui monte au plus haut lieu de la mémoire nationale et républicaine.

Le couple entrera effectivement au Panthéon le 21 février 2024, quatre-vingts ans jour pour jour après l’exécution de Missak au Mont Valérien.

Revenons sur la vie de cet étranger, communiste, qui refusa de se soumettre à la barbarie et qui tomba pour la République et ses valeurs.

Missak avant la guerre : l’histoire d’un immigré arménien

Missak Manouchian naît le 1er septembre 1906 à Adıyaman en actuelle Turquie. Il est le cadet d’une famille de paysans arméniens.

Il a seulement neuf ans en 1915, lorsque l’Empire ottoman entame le massacre méthodique de la population arménienne à l’Est de la Turquie. Ses parents, comme près d’1,5 million de personnes, ne survivront pas au génocide. Missak et son frère sont sauvés par une famille kurde qui choisit de les héberger, avant d’être accueillis dans un orphelinat au sud du Liban, devenu français après la guerre. Le jeune Arménien y suit une formation de menuisier et se découvre un intérêt particulier pour la littérature, et particulièrement la poésie.

Manouchian débarque clandestinement à Marseille en 1925, où il y exerce son métier de menuisier. La France est pour lui le pays des Lumières, de la Révolution, des Droits de l’Homme et de la Commune.

Il ne reste cependant pas longtemps au cœur de la cité phocéenne et décide rapidement de monter vers la capitale. Arrivé à Paris, Missak est embauché comme tourneur aux usines Citroën, mais perd son emploi suite à la Grande Dépression au début des années 1930.

Manouchian se rapproche alors du milieu intellectuel. Il se forme aux universités ouvrières de la CGT, écrit des poèmes, fréquente les bibliothèques parisiennes et suit quelques cours à La Sorbonne.

Premiers engagements et rencontre avec Mélinée

Dans les années 1930, Missak obtient la nationalité française. Fermement engagé contre l’extrême droite, il adhère au Parti communiste suite aux mouvements fascistes du 6 février 1934. En 1935, il est élu « deuxième secrétaire » du HOC, comité de soutien à la République soviétique d’Arménie, alors confronté au blocus occidental. Directement lié au PCF, ce comité prend également la forme de la section arménienne de la MOI (Main-d’œuvre immigrée), qui rassemble les travailleurs étrangers au sein de la CGTU.

Manouchian devient par ailleurs rédacteur en chef du journal du HOC Zangou. Ce média militant se donne pour objectif de faire l’éloge de la République soviétique d’Arménie et de rapprocher la diaspora arménienne du PCF et de la CGT.

En pleine guerre civile, Zangou appelle ainsi ses lecteurs à s’engager volontairement aux côtés des républicains espagnols. L’accès de Missak aux Brigades internationales, lui-même membre du Comité d’aide aux Républicains espagnols, lui est refusé en raison d’un manque de cadres communistes en France.

C’est par le biais de son engagement politique et syndical que Missak rencontre Mélinée Assadourian, militante communiste, cadre du HOC, immigrée arménienne et orpheline, au même titre que lui. Ils se marièrent en février 1936.

Entrée dans la résistance

Le 2 septembre 1939, suite au pacte germano-soviétique, avant même l’interdiction du Parti communiste, Missak Manouchian est arrêté par les autorités françaises. Il est cependant libéré en octobre et est affecté comme engagé volontaire dans le Morbihan.

Le 10 juillet 1940, la République est abolie. Pétain devient chef de l’État français. Missak Manouchian perd sa nationalité française et est arrêté de nouveau en 1941, peu après l’invasion de l’URSS. Il est alors incarcéré sous contrôle allemand au camp de Compiègne pendant quelques semaines.

Aux côtés de Mélinée, il entre alors dans le militantisme clandestin organisé par la MOI interdite depuis le 14 ᵉ arrondissement de Paris où ils résident.

Il devient progressivement, dans la région parisienne, le responsable des FTP-MOI (c’est-à-dire sur les Francs-Tireurs Partisans issus de la Main-d’œuvre Immigrée), réseau de résistance créé par le Parti communiste français.

Les FTP constituent le pilier de la résistance armée en France à partir de 1941. Avec une cinquantaine de camarades actifs, les groupes de Manouchian organisent près de 30 opérations armées sur Paris d’août à novembre 1943. Le 28 septembre 43, Manouchian participe notamment à l’exécution du général, Julius Ritter, chargé de s’occuper en France du service du travail obligatoire.

« Je m’étais engagé dans l’Armée de Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la Victoire »

En 1943, les renseignements généraux sont chargés de traquer la résistance communiste. Ils parviennent à démanteler les FTP-MOI parisiens avec près de 70 arrestations en novembre, dont celle de Manouchian le 16 à la gare d’Évry. Mélinée échappe de peu à l’arrestation, cachée chez les Aznavourian (la famille du chanteur).

Il est fusillé le 21 février 1944 avec 22 autres FTP qui refusèrent tous d’avoir les yeux bandés face aux fusils.

Dans sa dernière lettre destinée à Mélinée, Missak écrit : « Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit. »

À la suite de ces exécutions, l’occupant placarde environ 15 000 affiches rouges dans les rues de la capitale. Celles-ci, devenues célèbres comme symbole de la résistance, et plus particulièrement de la résistance communiste étrangère, qualifie le groupe Manouchian d’« armée du crime ». Au centre de l’affiche, une photographie de Manouchian est accompagnée de l’écriteau « Arménien, chef de bande, 56 attentats, 150 morts, 600 blessés ».

Les FTP-MOI, reconstitués, participeront à la libération de Paris du 19 au 25 août 1944, suite à l’avancée des alliés à l’Est et à l’Ouest.

Mélinée survit à la guerre et décède en 1989 à Paris. Elle honora la mémoire de Missak, publia certains de ses poèmes et devint sa principale biographe.


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