« Nous ne sommes pas un secteur essentiel »

publié le dans
« Nous ne sommes pas un secteur essentiel »

Arthur Hay est livreur à vélo et fondateur d’un syndicat CGT des livreurs à vélo sur Bordeaux. Depuis peu il a lancé une coopérative de livreur à vélo. Avant-Garde l’a rencontré pour qu’il puisse témoigner de la situation des livreurs à vélo pendant cette période de confinement. 

Quelle est la situation pour les livreurs pendant le confinement ? 

Malgré l’impression qu’on peut avoir sur l’augmentation de l’activité des livreurs à vélo, celle-ci a chuté drastiquement. Des études estiment une diminution de 50 % de l’activité depuis le début du confinement. Cette baisse s’explique en grande partie par la fermeture de la plupart des restaurants. Malgré cette diminution de nombreux livreurs continuent de travailler car ils ne peuvent pas se permettre d’avoir une perte de revenu. 

Le “grand élan de solidarité national” avec l’indemnité proposée par le gouvernement n’est pas accessible aux coursiers. Les indépendants ont le droit à une indemnité plafonnée à 1500€   seulement si il y a baisse de chiffre d’affaire d’au moins 50% entre le mois de mars 2019 et le mois de mars 2020. Le problème pour les livreurs à vélo, c’est que notre activité ne permet pas d’anticiper ou de prévoir notre chiffre d’affaire. L’activité s’arrête à partir du moment où on décide qu’elle s’arrête. Par conséquent, les coursiers n’ont pas accès à cette aide.

De plus, nous sommes indépendant, du moins faussement indépendant, nous n’avons donc ni de droit de retrait ni droit au chômage. De nombreux livreurs vont donc avoir une perte conséquentes de revenu à cause du ralentissement de l’activité. Certain auront même rien du tout car ils pensaient pouvoir bénéficier de l’aide de l’Etat. Cette situation va potentiellement durer vu que le gouvernement prévoit d’allonger la période de confinement. De plus, au vu de la précarité de notre travail, les coursiers n’ont pas d’argent de côté ou de trésorerie, nous sommes donc obligés de travailler, pour payer notre loyer, pouvoir se nourrir, etc. 

Quels sont les risques pour les livreurs ?

Actuellement nous n’avons aucune protection. Au début, nous n’avions même pas de gel hydroalcoolique. On nous disait de faire le nôtre en mélangeant de l’alcool à 70 avec de l’eau oxygénée et de nous débrouiller tout seul. 

Ensuite, le gouvernement et les compagnies nous ont tout de même envoyé un guide de recommandations. La plus importante des consignes dans ce guide est de: “se laver les mains dès que possible”. Le problème c’est que nous ne pouvons plus entrer dans les restaurants pour se laver les mains car ils n’ouvrent pas leur porte, et on ne va pas non-plus le faire chez le client. C’est une des mesures les plus importante mais nous sommes dans l’impossibilité de le faire.  

A cela s’ajoute certain restaurateurs qui ne respectent pas les règles sanitaires. J’ai vu des restaurateurs donner des commandes sans gants ou encore récupérer la carte d’un client puis retourner directement cuisiner sans s’être lavé les mains. 

Nous avons donc une multitude de petits risques mais plus tu les multiplie, plus le risque est grand. Les livreurs se retrouvent donc très exposés au virus. 

Autre problème, c’est qu’avec la diminution du nombre de restaurants ouverts, les livreurs se retrouvent tous devant les mêmes restaurants, bien souvent à moins d’un mètre les uns des autres. Comme nous sommes payés à la tâche il faut aller vite et chercher les commandes rapidements, les coursiers ne se mettent donc pas en file indienne à un mètre de distance. 

Nous avons également eu des coursiers qui ont eu des arrêts de travail car ils sont suspectés d’avoir le virus mais qui ont tout de même continuer de travailler pour ne pas avoir de perte de revenus. J’en connais un qui a livré pas moins de 150 personnes pendant sa période d’incubation. 

Tu avais parlé des mesures prises par les plateformes de livraison, y en a t il d’autres et quels moyens mettent ils à disposition?

Il n’y a rien d’autre. Deliveroo et d’autres disent qu’ils  vont mettre à disposition du matériel sanitaire mais rien a été fait pour l’instant, les livreurs n’ont rien reçu. Il y a  bien Déliveroo et Uber qui ont annoncé rembourser jusqu’à 25 € pour des produits sanitaires notamment pour des masques. En revanche, avec la pénurie, les masques sont introuvables. Nous sommes déjà à plus de trois semaines de confinement et nous n’avons toujours rien. Les plateformes viennent donc directement mettre en danger les travailleurs mais aussi les clients. 

Quelles sont les demandes des syndicats ?

Pour les syndicats CGT et le clap de Paris nous demandons tout simplement l’arrêt de l’activité. Nous ne sommes pas un secteur essentiel. Nous livrons des burgers, des tacos, etc, c’est du pur confort alimentaire. Donc nous demandons l’arrêt de l’activité et un revenu de remplacement financé par les plateformes afin de rester chez nous et respecter le confinement. 

C’est tout le contraire de ce qui est fait actuellement. Les plateformes incitent à consomner. Par exemple, Uber a levé les frais de livraison. Tu va donc avoir des coursiers qui livrent des bouteilles de rosé, des bonbons, des bouteilles de champagnes, etc. Nous sommes face à une pandémie planétaire et on est en train de prendre des petites décisions afin de permettre aux plateformes de maintenir leur chiffre d’affaire au risque d’aggraver le nombre de contaminés. Les livreurs ne sont pas là pour sauver l’économie. L’économie est mise à mal par des entreprises qui sont exonérés de cotisations sociales et qui sont déjà professionnelles de l’évasion fiscale.

Les dispositifs de maintien des revenus du gouvernement semblent une fois de plus ne pas s’appliquer pour les autoentrepreneurs et en particulier pour les plus précaires, donc la solution ce serait l’arrêt de l’activité et un revenu de remplacement ?

C’est cela. Pendant toute la période de confinement et que ce soit rétroactif. Parce qu’il y a des livreurs qui sont confinés d’autres qui ont pris des risques justement parce que l’aide de l’Etat n’était pas bien définie. Ce que nous demandons, c’est un calcul des indemnité en fonction de la meilleure semaine travaillée sur les 3 derniers mois. Cela permet de prendre en compte tout le monde, vu que nous avons des activités variables d’une période à une autre. 

Une question plus locale, sur le modèle de ta coopérative les Coursiers Bordelais, est ce que vous avez mis en place des mesures particulières?

Alors nous, nous sommes tous les quatre en chômage partiel. Nous avions un gros client qui ne respectait pas du tout les mesures sanitaires. Nous avons donc fait le choix d’arrêter de travailler pour ne pas mettre en danger nos clients.   

Ce temps en chômage partiel nous permet de faire du bénévolat. Nous nous sommes tous mis à disposition d’associations et de la mairie pour aider. Par exemple, dernièrement nous nous sommes mis en lien avec une association qui a des imprimantes 3D qui font des visières pour remplacer les masques en tissu. Eux les produisent et nous nous occupons de livrer les personnes âgées et les hôpitaux de  Bordeaux. En plus de cette association, nous livrons également des bénéficiaires des associations qui ne peuvent pas se déplacer soit parce qu’ils sont trop âgés, soit parce qu’ils sont malades. 

Pour les dispositions sanitaires que nous avons prises au sein de la coopérative. Dans un premier temps, nous avons fait imprimer des masques réutilisables peu de temps après le début du confinement pour nous permettre de faire ces tâches en toute sécurité. Ensuite, nous avons autant que possible récupérer du gel hydroalcoolique avant de faire les tournées mais aussi de lingettes pour nettoyer les vélos.


Édition hebdomadaire

Mêmes rubriques