“Principes républicains” : le gouvernement cherche à reprendre la main sur l’agenda politique

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“Principes républicains” : le gouvernement cherche à reprendre la main sur l’agenda politique

Le projet de loi pour le “respect des principes de la République” est en discussion à l’assemblée nationale : derrière une défense gouvernementale de la laïcité d’affichage et sans grande portée, et les propositions outrancières de la droite parlementaire, la loi ne contient finalement pas grand chose….

Une diversion ? 

Pourquoi discuter d’un projet de loi pour le respect des “principes républicains” maintenant ? 

Le président de la République avait voulu montrer lors de son discours des Mureaux en octobre dernier qu’il allait agir contre le terrorisme islamiste. Il dénonçait un “séparatisme” de ceux qui mettent des préceptes religieux au-dessus des lois de la République. Il le faisait dans un contexte de recrudescence des actes terroristes, notamment l’assassinat de Samuel Paty.

Pourtant, le projet de loi discuté à l’assemblée n’est plus une réponse au terrorisme, mais il est devenu un projet de loi d’affirmation de la République face à toute une série d’actes illégaux divers, qu’ils viennent d’agents publics, d’usagers ou d’associations.

Les principes constitutionnels de la République sont bien établis depuis des décennies si ce n’est depuis des siècles ; ils sont au nombre de trois : liberté, égalité, fraternité, c’est aussi la devise de la nation.

Comme l’a dit le député communiste Pierre Dharréville : 

“Pour faire bonne mesure, vous avez d’abord choisi l’euphémisme : c’était un projet de loi « confortant les principes républicains », mais c’est là l’objet que doit avoir tout projet de loi !”

Certes, il y aurait urgence à traduire ces principes républicains dans la réalité, c’est-à-dire de les faire passer de principes constitutionnels à une réalité quotidienne palpable pour le peuple de France, mais ce n’est pas le projet du gouvernement, inactif face aux inégalités croissantes, restrictif sur les libertés, incapable de générer de la fraternité dans un climat de divisions qu’il alimente régulièrement.

“Les manquements de la République à ses propres principes sont des poisons puissants. Mais il n’est pas question de cela ici, d’autant que votre politique n’a pas amélioré la situation” (Pierre Dharréville, député communiste)

Comme l’ajoute sa collègue :

“Les principes républicains n’ont d’existence que s’ils sont incarnés, respectés et traduits dans le quotidien des femmes, des hommes et des jeunes de notre pays. Le séparatisme prospère sur les failles de la société et sur une démocratie affaiblie. Si nous n’y répondons pas, cette crise de la démocratie continuera de fracturer la nation un peu plus chaque jour, chacune et chacun se repliant sur la sphère privée, en ne cherchant plus à créer du commun (Marie-George Buffet, député communiste)

D’autre part, ce ne sont pas les problèmes quotidiens, ni les questions sur lesquelles les citoyens et les citoyennes veulent des réponses du gouvernement, qui manquent : hausse du chômage et des plans de licenciements, appauvrissement accéléré, retards de livraison des vaccins, manque de lits et de personnels dans les hôpitaux, manque de profs devant les élèves, situation des jeunes, pour n’en citer que quelques uns. Autant de sujets qui n’étaient pas dans l’agenda politique du gouvernement, mais qui s’imposent dans le débat public.

Choisir ce moment politique pour discuter d’un projet de loi aux contours flous semble surtout, vu les redondances du projet de loi vis-à-vis de la loi, avoir pour but de détourner le débat public des questions sociales. 

Pire, ça permet d’ouvrir une période de polémiques sur la religion, en particulier sur les musulmans, propice à des propositions en tout genre, farfelues, détestables ou outrancières (pour preuve les amendements de la droite sur le port du voile, rejetés par la majorité présidentielle). 

Un projet de loi redondant et essentiellement répressif

Le projet de loi présenté par Gérald Darmanin et Marlène Schiappa est articulé autour de la neutralité du service public et du libre exercice des cultes. En grande partie, pour la neutralité du service public, il se contente de développer un peu des dispositions essentiellement répressives sur des actes déjà illicites.

Loin de lutter contre le climat de division et de ressentiment, y compris contre l’intégrisme, le projet de loi se restreint à faire preuve de l’autorité des institutions en durcissant les peines et la surveillance.

“Ces réalités, celle d’une société fracturée, fractionnée, divisée, appellent plus que jamais au respect de la dignité humaine et à un nouvel élan pour une République en proie à une crise, dont on ne trouvera pas le remède dans des actes d’autorité” (Pierre Dharréville)

Comme le prévoyaient déjà la loi et la jurisprudence, le projet de loi répète que les agents du service public doivent être neutres : ils doivent traiter également les usagers et s’abstenir de manifester leurs opinions. Ici rien de nouveau. De même, rien de nouveau dans le fait de réprimer la violence, la menace ou l’intimidation envers un agent du service public, c’est déjà prévu dans le code pénal, comme de nombreuses dispositions du projet de loi : atteindre à l’intégrité physique ou psychique d’une personne, harceler en ligne, etc.

D’autres dispositions répriment des actes déjà interdits ou sanctionnés : la polygamie, les certificats de virginité, les mariages forcés, les discours illicites en ligne…

Le projet de loi demande aussi aux associations de ne pas commettre d’actes illicites (!) qui par définition sont hors la loi, de ne pas troubler à l’ordre public, de ne pas porter atteinte aux libertés, toutes choses déjà prévues par la loi. 

Nouveauté par contre : il demande de signer un “contrat d’engagement républicain” et de ne pas y contrevenir, alors même que la constitution interdit déjà de mener des actions contre la République et sa forme de gouvernement.

Le monde associatif ne semblait pas nécessairement jusqu’ici souffrir d’un manque de répression et de sanctions, mais semblait plutôt souffrir d’un manque de financements, de participation à la démocratie et de temps d’engagement dont disposent les citoyens pour s’y consacrer ; ajoutons en cela la situation sociale dont le monde associatif fait les frais, tant par la fragilité de l’emploi associatif que par la paupérisation des bénévoles et des bénéficiaires. 

Les associations sportives et culturelles mériteraient plus d’intérêt que ça de la part du pouvoir politique, en prenant leur problématique dans son ensemble, et pas comme là par la bout de la lorgnette.

Comme le dit la député communiste :

“J’émets également des réserves concernant le principe même d’un tel contrat. Les associations s’engageraient à respecter les principes républicains, dont la laïcité, pour toucher des subventions publiques. On exige d’elles de prendre de nouvelles responsabilités, notamment de contrôle de leurs associations locales, mais quel engagement l’État prend-il vis-à-vis d’elles ? Nous le savons, la situation du tissu associatif était très difficile avant même la crise du covid, avec la diminution des financements pérennes au profit d’appels à projets qui détournent les associations de leur fait associatif et les empêchent d’avoir une vision à long terme. Les collectivités territoriales peinent à les soutenir financièrement. Les clubs sportifs ont perdu pratiquement 40 % de leurs licenciés. Est-ce vraiment dans ce contexte le moment de leur imposer de nouvelles règles ?” (Marie-George Buffet)

A la crise de l’école, une réponse en trompe-l’oeil

Le projet de loi porte aussi des dispositions sur l’école qui auraient probablement plus eu leur place dans une loi sur l’école qui traiterait cette question dans son ensemble : scolarisation obligatoire, fermeture des établissements d’enseignement privés hors contrat… 

Ce manque d’ambition sidérant sur l’école a quelque peu énervé le député communiste André Chassaigne, qui dénonce l’inaction face aux inégalités scolaires et territoriales :

“Comment admettre que l’on distribue de l’argent public aux établissements privés contractualisés sans qu’on exige en contrepartie une mixité sociale et le respect des missions confiées à l’éducation nationale, alors que, dans le même temps, nos écoles publiques et nos universités se meurent d’une paupérisation grandissante, victimes de tant de carences qu’elles sont dévalorisées au profit du privé ? (…)

“Comment ne pas s’élever contre les coups portés à l’école de la République, comme les mesures de carte scolaire annoncées la semaine dernière, qui accentuent encore la discrimination territoriale en supprimant massivement des classes – et même dans une proportion inédite –, notamment en milieu rural ?(…)

“J’affirme que celui ou celle qui voudrait conforter les principes de la République devrait commencer par prendre en compte ces questions majeures, faute de quoi la laïcité, en tant que valeur émancipatrice, aura toutes les peines du monde à rayonner” (André Chassaigne)

Plus généralement, de nombreuses voix s’élèvent à gauche contre l’absence des questions sociales dans ce projet de loi sur le respect des principes républicains. Ces voix défendent une idée de la République qui se vit dans ses actes pour le bien commun. Elles demandent d’agir pour l’égalité réelle et la démocratie, sans lesquelles la laïcité et la République seront effectivement fragiles. Cela passe notamment par l’accès aux services publics et la possibilité pour chacun et chacune de s’approprier la République.

Par exemple, Stéphane Peu, député communiste :

“Le projet séparatiste de quelques-uns, s’il n’a aucune excuse, se nourrit d’autres séparatismes, de ruptures d’égalité. Dans mon département, un élève de l’école publique, entre le cours préparatoire et la troisième, aura passé sans enseignant l’équivalent d’une année scolaire : je vous assure qu’une telle situation contribue plus puissamment que bien des discours séparatistes à discréditer l’école publique.

“Pourtant, les salariés de Seine-Saint-Denis, c’est-à-dire la France qui se lève tôt et qui travaille dur, comptent parmi les premiers contributeurs à la sécurité sociale de notre pays. Leur département occupe le troisième rang en matière de TVA perçue, ce qui fait de lui l’un des principaux producteurs de la richesse nationale. En contrepartie, il s’y trouve moins de tout : moins de policiers, moins de magistrats, moins d’enseignants, moins de médecins que partout ailleurs sur le territoire national !”

Au fond, derrière les grands discours qui soutiennent ce projet de loi, la politique du gouvernement et du président consistent depuis des années à affaiblir la République en accroissant les inégalités et en réduisant la démocratie en peau de chagrin.

Une loi “concordataire” ?

Un pan important du projet de loi porte sur le libre exercice des cultes et prétend le garantir. Il s’agit surtout de renforcer le contrôle des associations cultuelles et de renforcer des peines déjà prévues relatives à la liberté de culte et de conscience. Un dernier point consiste à harmoniser le droit entre la métropole et plusieurs collectivités d’outre-mer.

Le projet de loi prévoit à son article 28 que les associations cultuelles pourront désormais se voir donner des biens immobiliers : les cultes se verraient attribuer bien plus que la gestion du culte, avec la gestion d’un patrimoine immobilier. Pourtant, la laïcité veut que les cultes s’organisent et se financent eux-mêmes.

Il a même été question dans la dernière séquence politique de rétablir une forme de ministère des cultes ou tout du moins une ingérence de l’Etat dans l’organisation du culte musulman.

Finalement, derrière une défense de la laïcité d’affichage, le projet de loi du gouvernement ouvre même à des logiques potentiellement concordataires, à des mises en cause de la laïcité. 

La droite parlementaire s’est particulièrement prise au jeu des outrances et des provocations racistes. Le gouvernement, lui, a mis le moins de choses possible dans sa loi, qui ne contient pas grand chose, et peu de choses aidant la République. Ce manque d’ambition révèle-t-il que le but était de laisser la droite raconter n’importe quoi pendant des semaines pour détourner le débat public ?

Le coup tactique du gouvernement ne semble pas vraiment aboutir dans son sens, puisque ce projet de loi ne suscite aucun enthousiasme et s’impose difficilement dans le débat public. C’est que le peuple de France a bien d’autres priorités politiques en tête ! 

Le débat parlementaire enrichira peut-être en mal ou en bien le projet de loi, mais à ce stade le moins qu’on puisse dire c’est que le gouvernement a cherché à faire grand bruit d’une loi à l’objet flou et dont le contenu initial semble avoir peu de portée.


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