La sélection, pour un système éducatif libéral

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La sélection, pour un système éducatif libéral

Entre mobilisation et recours juridique, le Plan étudiants suscite l’opposition. Première journée de mobilisation aujourd’hui, l’occasion de revenir sur la logique très libérale de la sélection.

Les nuages s’amoncèlent au-dessus du Plan étudiants porté par le gouvernement. Demain sera une journée test pour la mobilisation étudiante et lycéenne contre la sélection à l’entrée de l’université mise en place par le projet de loi. De plus un recours déposé par les sénateurs communistes menace d’illégalité la nouvelle plateforme Parcoursup.

Les principales critiques contre le projet de loi se concentrent sur la mise en place d’une sélection à l’entrée de l’université. Cette dernière représente un changement radical de la philosophie de l’enseignement public supérieur. Désormais il n’a plus pour rôle d’assurer à tous la poursuite d’étude post-bac mais n’est plus que l’acteur public d’un environnement concurrentiel chargé de maintenir l’illusion d’une égalité des chances.

Une offensive libérale contre un système illégitime

Montré du doigt de nombreuses fois, l’enseignement a un rôle important de reproduction sociale, même si on observe depuis plusieurs décennies une démocratisation de l’enseignement supérieur et de l’accès au bac. Le rôle de tri social du système éducatif demeure donc largement, les différences de “réussite” selon la catégorie socio-professionnelle des parents restant écrasantes.

Le tri social est opéré et opérant. L’enseignement tel que organisé en France permet donc de distribuer les individus sur le marché du travail et détermine ainsi leur position dans la société. Il permet donc déjà aujourd’hui à la classe dominante de conserver sa position.

Cependant le modèle français de l’enseignement supérieur ne correspond pas entièrement à la doctrine libérale qui guide l’action du gouvernement. De plus l’austérité, couplée à une augmentation démographique, a exposé cruellement les absurdités du système actuel.

Surfant sur la légitime indignation suscitée par le tirage au sort auquel, faute des moyens, un nombre très limité de filières a été contraint, le gouvernement en a profité pour imposer ses vues libérales à l’université française.

Le marché de l’enseignement

Dans une perspective libérale, l’enseignement doit être un marché ouvert et transparent. Dans cette conception il y a donc d’une part l’offre de titres scolaires (diplômes) et d’autre part la demande (ceux qui veulent les obtenir). Pour que cela s’équilibre il faut que le marché s’autorégule sans contrainte. La première pierre pour y arriver et donc d’y casser tout acteur public dominant.

C’est le sens de l’instauration de capacités d’accueil par université, autrement dit l’instauration par l’établissement d’un nombre de places limité. Une fois fixées, il est peu probable que ces dernières augmentent au regard des récentes trajectoires budgétaires à la baisse des universités. Le caractère universel de l’acteur public enterré, la place pour des acteurs privés est désormais grande ouverte.

Dans le même temps, l’acteur public est éclaté, par l’autonomisation des établissements. Ainsi après les opérations de balkanisation des formations, entraînées par l’absence de cadrage national des diplômes, puis un léger reflux inverse avec un cadrage des intitulés, la liberté donné sur les “attendus”, les prérequis sur lesquels se fonde la sélection, ravive la concurrence entre les établissements.  

Le marché fonctionne toutefois dans les deux sens. Ce ne sont pas seulement les universités qui sont mises en concurrences entre-elles et vis à vis d’acteurs privés. Les étudiants sont également mis en concurrence entre eux pour l’accès aux formations. Le choix de procéder à une sélection par étude de dossier vient également conforter ce marché.

Enfin, les acteurs de ce marché sont considérés égaux. Pour le cas des étudiants, cela signifie que leur “réussite” ou leur “échec” ne dépend que de leur capacité individuelle et ne doit être observé que de ce point de vue. Il est donc nécessaire de “mériter”, l’échec d’un partie est admise car “quand on veut, on peut”.

Le mérite pour légitimer la privation d’emploi

Le processus n’est pas exempt de contradiction. Ainsi l’instauration de quotas de boursiers par filière prouve que les décideurs publics peinent à croire leurs propres odes au mérite individuel. Cette mesure est également un bon moyen, peu contraignant, de faire taire les critiques sur le rôle de reproduction sociale de l’enseignement.

Il faut également noter que ce changement de logique dans l’enseignement supérieur n’a pas pour unique horizon l’accès au diplôme. L’accès à l’emploi, et la privation d’emploi subie par de nombreux jeunes est un fondement de l’argumentation des libéraux en faveur d’une modification de l’enseignement supérieur public. Le diplôme est ainsi en France un élément déterminant dans l’accès à l’emploi.

Cette réforme va contribuer à légitimer le chômage, notamment chez les jeunes. Le chômeur c’est le sans diplôme et donc par l’idée véhiculée par ce projet de loi, celui qui n’a pas mérité. Loin de promouvoir la réussite étudiante ce projet de loi vient normaliser l’échec.


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