Uber et le droit du travail : une histoire d’eau et d’huile

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Uber et le droit du travail : une histoire d’eau et d’huile

Juristes, magistrats et syndicalistes sont unanimes : les travailleurs des plateformes numériques type Uber et Deliveroo sont bien des travailleurs salariés. 

Malgré ce consensus, pourquoi la France s’acharne-t-elle à maintenir le statut frauduleux imposé par les plateformes ? 

L’affaire Uber files semblait en partie répondre à cette question, en révélant les dessous de l’implantation d’Uber en France sous la présidence de François Hollande. L’une des majeures découvertes de l’enquête visait les rendez-vous et services officieux rendus par Emmanuel, Macron, alors ministre de l’Économie. Les soupçons de corruption se sont intensifiés avec l’audition de plusieurs membres de son cabinet.

Peut-on aujourd’hui concevoir qu’une entreprise s’implante en s’affranchissant de l’application du droit du travail ? 

C’est l’exploit qu’a relevé Uber, exploit non réalisable sans la complicité délinquante des Gouvernements successifs depuis le mandat de François Hollande jusqu’à aujourd’hui. 

Plusieurs espoirs avaient résidé dans la nouvelle possibilité des livreurs et des coursiers de mener une négociation syndicale, auparavant interdite au regard du droit de l’Union européenne. Ce dernier considérait les autoentrepreneurs comme des entreprises et donc interdites de s’entendre entre elles. Mais la négociation se heurte à bien d’autres obstacles. 

En premier lieu, le turn-over. S’il est aisé de déterminer les électeurs dans une entreprise au regard de leur ancienneté (12 mois consécutifs), l’ancienneté nécessaire pour voter a été abaissée compte tenu de la réalité de l’exercice du travail de livreur. 

Ensuite, l’organisation. Les réalités des conditions d’exercice, compte tenu du secteur géographique où l’activité s’exerce, rend l’implantation d’une section syndicale bien plus difficile qu’au sein d’une entreprise classique. Pour autant, les livreurs peuvent organiser une solidarité, communautaire ou de lieu, s’organiser en collectifs comme au sein du CLAP (collectif des livreurs autonomes de Paris), ou se retrouver dans de nouveaux espaces comme la maison des livreurs dans le 18e arrondissement de Paris. 

Enfin, l’absence de garanties concernant la confidentialité du vote en ligne et le risque de représailles émanant de la plateforme en cas de présentation ou de participation au scrutin dissuade toute volonté d’engagement.

Une France plus libérale que l’Europe

Du côté des relations individuelles de travail, un espoir est venu marquer l’année 2023, avec les débats autour d’une nouvelle directive européenne réglementant les droits des travailleurs des plateformes numériques. 

Le texte prévoyait d’harmoniser les critères permettant la requalification du contrat d’autoentrepreneur entre les livreurs et les plateformes en contrat à durée indéterminée. Grâce à cette directive, la satisfaction de certains critères aurait entraîné une requalification automatique en CDI. À ce jour, les juridictions françaises donnent leurs appréciations au cas par cas.

C’était une avancée. C’était sans compter l’investissement massif de la France, dont parlent à travers les lobbys d’Uber, Deliveroo et autres entreprises n’ayant aucun intérêt à rémunérer les travailleurs, pour faire échouer et vider de son sens la directive. Accompagnée de sa fidèle amie, la libérale Allemagne, la France n’a cessé de plaider une « insécurité juridique », ainsi qu’un risque contentieux trop élevé pour obtenir une dérogation si la directive venait à être adoptée. Cocorico ? 

Imagine-t-on un Gouvernement dispenser un employeur de rémunérer ses salariés, au motif que cela ne « rentre pas dans son modèle économique » ? C’est la position adoptée par la France devant le reste de l’Union européenne, lorsqu’elle a procédé à ce sabotage.

La mise en conformité d’Uber au droit français coûterait aujourd’hui des milliards d’euros, tant elle a duré, tant les pouvoirs publics l’ont laissé perdurer.

Et pour cause : le modèle des plateformes telles qu’Uber repose sur la rémunération des livreurs par les clients, et comme seule source d’investissement, le développement des plateformes. C’est la promesse bien tenue faite aux actionnaires.

Un exemple de lutte

Une autre lueur d’espoir émane des travailleurs : les livreurs de Roanne. Dans cette commune du Nord-Pas-de-Calais, 80 livreurs avaient appelé à une grève nationale début novembre 2023. 

Outre les conditions de travail dangereuses, la baisse de la tarification était largement dénoncée. Les livreurs estimaient ainsi avoir perdu entre 30 et 40 % pour chaque course avec le nouveau mode de calcul imposé par Uber. Avec la complicité des restaurateurs, et dans le but de ne pénaliser qu’Uber, aucune livraison n’a été effectuée durant 3 jours. 

Une mobilisation exemplaire, face à la difficulté rencontrée par les livreurs pour se réunir en un lieu pour décider, ensemble, de leurs conditions de travail. 


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