Mediapro : la fin de l’Eldorado

publié le dans
Mediapro : la fin de l’Eldorado

Le 29 mai 2018, le groupe Mediapro faisait une entrée fracassante dans le monde du football français. Trente mois plus tard, il repart la queue entre les jambes et laisse le football professionnel dans l’embarras

Fin d’un contrat de diffusion signé en 2018

Historiquement lié au groupe Canal +, puis à Al Jazeera (Bein sport), la Ligue de football professionnel (LFP) faisait un saut dans l’inconnu en accordant en 2018 les droits de diffusion télévisuelle de ses deux championnats nationaux pour la période 2020-2024 à un nouvel arrivant sur le marché, avec le groupe sino-espagnol Mediapro. 

Le marché avait tout l’air du deal du siècle avec des droits de diffusion – première source de revenu pour le football français – dépassant pour la première fois le milliard d’euros. Le groupe fondé par le Catalan Jaume Roures fournissait à lui seul plus de 800 millions d’euros. Des chiffres stratosphériques qui faisaient de la Ligue 1 le championnat le plus « cher » du monde derrière la Premier League anglaise.

L’objectif du groupe semblait d’investir massivement en pariant sur une diffusion croissante du football européen sur les marchés internationaux. Après la Ligue 1, c’est la Serie A italienne qui est tombée dans les griffes de Mediapro. Une stratégie qui n’est pas anodine pour les acteurs de l’industrie du divertissement qu’est le sport à haut niveau. 

En effet, les revenus issus de la télévision assurent aux clubs une position compétitive dans la lutte financière avec leurs rivaux européens pour attirer les meilleurs éléments et ainsi maximiser les profits. L’ultra-financiarisation des championnats anglais ou espagnols en est l’exemple avec des clubs devenus des valeurs financières s’échangeant sur les places de bourse.

Le Fiasco Téléfoot

A l’été 2020, les premiers doutes apparaissent. Si Mediapro a choisi de séduire les téléspectateurs français en investissant une marque bien connue du grand public, Téléfoot, la politique tarifaire avait de quoi inquiéter. A 25 € par mois pour un produit loin d’être le plus vendeur d’Europe, de nombreux observateurs – dont Avant-Garde – se sont interrogés sur la capacité du diffuseur de rentrer dans ses frais.

Comme craint, Mediapro a perdu son pari. Moins de 500 000 clients se sont abonnés, contre plus de 3,5 millions de prévu, il va sans dire que l’échec est patent. En conséquence, le géant du sport télévisuel a différé ses paiements envers la LFP – essentiels au modèle financier des clubs – et a entamé une procédure de médiation devant le tribunal de commerce de Nanterre en septembre 2020.

Après deux mois et demi d’atermoiements, le couperet est tombé : les deux parties mettent fin à leur collaboration plongeant le football français dans l’inconnue. A l’heure actuelle, Téléfoot continuera d’émettre jusqu’à ce que la LFP trouve un repreneur – forcément à la baisse – de ses droits de diffusion. Canal +, frustré lors du dernier appel d’offre, se frotte déjà les mains.

La prédation financière aveugle devant les conséquences sur le monde du foot

En attendant de voir les dégâts sur le monde du football professionnel et ses salariés, plusieurs questions se posent pour les responsables du fiasco. Comment les dirigeants du football français – LFP et clubs en tête – ont pu accepter sans ciller l’offre alléchante d’un inconnu au bataillon ? Quelques semaines après avoir acquis les droits de la Serie A, Mediapro se faisait finalement refouler par la ligue professionnelle italienne : en cause, son absence totale de garantie financière en cas d’accident industriel. Les dirigeants de clubs français seraient-ils plus incapables que leurs homologues transalpins ?

Il se trouve que le football professionnel se retrouve dans la situation de nombreuses autres industries. Guidées par leur soif de profit, ses élites ont abandonné l’activité à ce qui ressemble à un groupe qui agit comme un fonds vautour, disparaissant quand le risque frappe à la porte. 

La pérennité de l’activité économique a été totalement négligée. On se doute qu’évidemment les responsables de la situation ne seront pas ceux qui subiront les effets de la crise économique à venir.

En ce qui concerne Mediapro, son principal dirigeant est injoignable, le bureau du groupe n’est qu’une boîte aux lettres dans un immeuble de Shangaï.


Édition hebdomadaire

Mêmes rubriques