Ce mercredi 30 avril, la ministre chargée du Travail et de l’Emploi, Astrid Panosyan-Bouvet, a dévoilé le contenu de sa réforme du financement de l’apprentissage. Poussé par la situation de crise dans laquelle le pays est plongé, le gouvernement Bayrou se lance dans une course désespérée aux petites économies.
Derrière la volonté de « rationaliser » le dispositif, cette réforme révèle les contradictions d’un modèle toujours plus utilitariste qui s’avère coûteux et inefficace. Mise en concurrence des centres de formation (CFA), pénalisation des études longues, désengagements de l’État : la rédaction d’Avant-Garde vous en décrypte les contours.
Calquer le financement des formations sur la rentabilité des filières ?
Au cœur de la réforme : la volonté d’adapter le financement des formations à la rentabilité des filières. Certaines seront davantage financées – notamment les secteurs dits « en tension » –, tandis que les autres verront leur budget raboté jusqu’à 20 %.
Grosso modo : plus d’argent pour les formations dans les secteurs qui rapportent, moins pour celles qui demandent plus de temps, quand bien même elles sont indispensables. Les plus touchées seront celles qui ont une part de distanciel, dont le financement sera automatiquement rabaissé à 80 % de leurs financements habituels.
Ce modèle peut être très pénalisant pour le pays : par exemple, une formation d’ingénieur nucléaire, ça coûte cher, et c’est long, mais c’est indispensable !
De la même façon, la réforme invite les établissements à réduire le temps – et donc la qualité – des formations, ce qui peut augmenter considérablement le nombre d’accidents du travail dans des secteurs tels que le BTP, le commerce ou la fabrication d’équipements.
Ce principe de modulation est d’autant plus limité que le patronat répond à des logiques de rentabilité : ses besoins évoluent donc très vite, et nous savons d’ores et déjà qu’ils ne seront pas les mêmes dans 5 ans.
C’est pourquoi, plutôt que de miser sur la capacité qu’ont les patrons à créer des emplois utiles pour le pays, nous devrions nous-mêmes planifier les besoins, et donc la formation.
Moins d’études, et une main-d’œuvre malléable et pas chère !
Cette matrice utilitariste se répercute directement sur les apprentis. À partir du 1er juillet, les entreprises devront verser une participation de 750 € par contrat signé pour un diplôme bac+3 ou supérieur.
C’est une première : jusqu’ici, la quasi-totalité du coût des formations était prise en charge par les pouvoirs publics. Ce qui peut sembler intéressant est en réalité trompeur.
En effet, cela signifie que le gouvernement entend concentrer les fonds publics sur les formations courtes (lycée pro, BTS, CAP), qui permettent aux entreprises d’embaucher rapidement, au détriment de la formation des jeunes. C’est le modèle adéquationniste.
Les répercussions sont fortes : moins de poursuites d’études longues en apprentissage, plus de pression pour les établissements dans le choix des formations proposées, une dépendance accrue au patronat, et toujours plus de tri social.
Au bout de la chaîne, le gouvernement souhaite se séparer des formations longues, et concentrer ses efforts sur les besoins immédiats des entreprises. Mais qui peut sincèrement penser qu’il est possible de calquer le temps du recrutement sur celui de la formation ?
L’occasion pour nous de rappeler que former à la tâche, ce n’est pas apprendre un métier. En apparence, ces formations permettent d’obtenir très vite un emploi. C’est pourquoi elles sont plébiscitées. Mais l’adéquation formation et bassin d’emploi peut être limitée et ne permet pas d’évolution de carrière.
Un éléphant dans la pièce : les aides à l’embauche
Ces mesures vont permettre, selon la ministre, d’économiser entre 450 et 500 millions d’euros. Un chiffre bien maigre lorsqu’on le compare au montant des aides publiques à l’embauche touchées par les entreprises : 25 milliards d’euros en 2024.
Cette comparaison révèle toutes les contradictions du dispositif : les réformes successives ont transformé l’apprentissage en une grande machine permettant d’arroser d’argent public les entreprises, sans contrepartie.
L’étude de l’OFCE d’octobre dernier sonnait déjà le signal d’alarme : rien ne garantit qu’un apprenti restera salarié à la fin de son contrat, et la hausse du nombre de jeunes inscrits au chômage issus d’un contrat d’apprentissage nous démontre même le contraire.
Les vagues mesures de lutte anti-fraude qui ciblent les CFA et promises par la ministre sont une chose. Il s’agirait maintenant de voir ce que deviennent les milliards d’euros d’argent public que l’État distribue aux entreprises — la main devant les yeux.
La situation nous invite donc à repenser les choses : aux logiques de rentabilité et d’exploitation des apprentis, nous pourrions faire de la formation professionnelle un levier pour réindustrialiser le pays et répondre aux grands défis auxquels nous sommes confrontés.
Cela suppose de planifier la formation et la production : former plus, et former mieux.