Un an de réforme des masters MEEF : le grand cafouillage

Un an de réforme des masters MEEF : le grand cafouillage

Lors de la rentrée 2021 est entrée en vigueur la réforme des masters MEEF (métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation). C’est le master choisi par une majorité des étudiants et étudiantes pour se préparer aux concours de professeurs, prof-doc ou CPE.

Explications

Le plus gros changement qu’intègre la réforme est le changement d’année de concours. Concrètement, auparavant les étudiants et étudiantes passaient les concours d’enseignement (CAPES, CAPLP, etc) en première année de master, après une année de formation. Dans le cas où l’étudiant était reçu au concours, celui-ci intégrait la fonction publique à mi-temps sous statut de fonctionnaire stagiaire, la moitié du temps il ou elle enseignait et l’autre moitié était dédiée à la formation en INSPE. 

À la suite de cette année où l’étudiant était rémunéré à hauteur d’un plein temps, celui-ci était titularisé ou pas. Désormais, c’est en deuxième année de master que les étudiants peuvent passer le concours. Pour la formation professionnelle, deux cas : soit l’étudiant est alternant (tiers temps en responsabilité) soit celui-ci doit faire douze semaines de stage en observation et pratique accompagnée (SOPA). Ce changement entraîne donc d’abord une grande économie pour l’éducation nationale. C’est aussi un changement d’emploi du temps concret pour les futurs enseignants. En effet, il faut désormais mener de front en même temps cours, mémoire et stage en deuxième année. Les premiers échos du terrain indiquent des stagiaires et alternants à bout, beaucoup choisissant de terminer leur mémoire au rattrapage afin de gagner du temps. 

Sur le programme, de légers changements, notamment une place plus importante pour la professionnalisation au mépris des matières enseignées pour les futurs professeurs du second degré. Est aussi ajouté un « tronc commun » visant à donner les bases d’une « culture républicaine », mais aussi la gestion de classe, l’orientation ou la promotion de l’égalité. Ces enseignements donnés en amphithéâtre ou en travaux dirigés en très grands groupes peinent à être concrets de par le nombre d’étudiants et d’étudiantes présentes. Leur temps horaire peine aussi à créer une réelle efficience, deux heures consacrées aux principes républicains, deux heures à l’égalité, deux heures sur la sanction… Il est difficile d’obtenir un réel impact en ne restant qu’en surface.

Liberté académique 

La réforme est pleinement intégrée dans le modèle de l’autonomie des universités. Chaque académie et INSPE régissant ses propres modalités de travail, alors que le concours est national et que les professeurs peuvent être mutés partout en France. Leur formation n’est donc pas la même selon les territoires. Les modalités des 12 semaines de stage obligatoires non plus. À Lille, une partie des étudiants et étudiantes ont donc été recrutés en qualité de contractuels, donnant l’impression que le rectorat est plus préoccupé par le remplacement des profs manquants plutôt que par la qualité de la formation. En Normandie, le nombre de semaines de stage est bien supérieur à l’obligation, ceux-ci sont effectués en majorité en première année de master. Tandis que le rectorat de Toulouse a choisi de placer trois semaines de stage par semestre. 

Iniquité aussi pour les alternants. Certaines académies ont trop de postes à remplir et pas assez d’étudiants volontaires. D’autres n’en ont pas assez et doivent choisir quels étudiants et étudiantes vont accéder à ce statut, qui a l’avantage d’être plus rémunérateur que le stage sous qualité de SOPA. Pour ceux dont les demandes sont nombreuses, les conditions de recrutement sont floues, les rectorats, qui ont la main, ne communiquent pas sur les critères de recherche. 

Cette liberté est aussi visible dans les stages, les SOPA ont un statut flou et nouveau donnant une grande diversité de stages possibles. Quand certains disent faire « la plante verte », d’autres ont le sentiment de pallier le manque de personnel et sont rapidement mis en responsabilité sans supervision suffisante. De la même façon, pour certains alternants le tuteur n’est pas présent dans le même établissement, l’étudiant ou l’étudiante est donc mis en responsabilité dans une institution défaillante sans filet de sécurité. 

Déjà des couacs

La meilleure façon de montrer dans quelle précipitation a été faite la réforme, c’est de détailler les exemples des couacs qui se sont multipliés lors de l’année universitaire. Concernant les alternants et les contractuels, par exemple, il a été dit aux étudiants après le début de leurs contrats que ceux-ci ne pourront pas tous l’être et donc qu’ils ne seraient pas rémunérés durant leur formation. Contraignant certains, face à un rythme lourd qui ne permet pas de travailler à côté pour financer ses études, d’abandonner leur formation. 

Sur la rémunération toujours, le plus gros loupé de la réforme vient de l’académie de Normandie. Ceux-ci ont comme dit précédemment choisi de faire passer la majorité des stages en première année. Sauf que, la durée du stage implique également une gratification à hauteur de 15 % du SMIC et une prise en compte des transports. Au mois de mai, les étudiants et étudiantes qui avaient commencé leur stage au mois de janvier, n’avaient toujours rien reçu. Le rectorat s’est justifié en notifiant que les futurs professeurs en deuxième année avaient été payés en priorité, sauf qu’eux aussi ont dû accuser un retard. Les maigres 125 € par mois ont finalement commencé à être versés aux stagiaires, mais seulement après l’interpellation par les concernés des élus et des médias, mettant la pression sur le rectorat. 

France 2 annonce avoir reçu un témoignage en interne disant qu’il s’agissait simplement d’un problème de trésorerie, le rectorat n’aurait simplement pas eu les fonds. « Un contre-temps » pour les dirigeants de l’éducation nationale, un vrai frein pour les élèves dont certains témoignent ne plus pouvoir aller sur leur lieu de stage du fait de l’augmentation de l’essence et de leur non-rémunération. 

Les conventions de stages réalisées rapidement n’intègrent pas certaines spécificités des métiers. En effet, les profs-doc et les CPE ont une obligation de présence plus importante que les professeurs : trente heures pour les responsables du CDI et quarante pour les chargées de vie scolaire. Or le stagiaire étant mobilisé sur l’emploi du temps de son tuteur, ceux-ci réalisent un nombre d’heures bien plus important que celui pour lequel ils et elles sont payés. Tombant de fait en dessous du taux horaire minimum légal. 

Un bilan déjà mitigé

Les retours de terrain laissent déjà entrevoir une réforme dont le bilan sera à l’image du bilan de Jean Michel Blanquer dans l’éducation : raté et à marche forcée. Le nombre d’inscrits et d’admissibles aux concours d’enseignements de l’année 2022 est déjà en chute libre. Il y a fort à parier qu’il en sera de même, voire pire, l’année prochaine. 

Il y a urgence à changer totalement le recrutement des professeurs pour redonner l’envie aux jeunes de devenir les instructeurs de demain. Si cela passe par une revalorisation salariale, la question de la formation se pose également. Il faut permettre à un grand nombre d’étudiants de se former dans les meilleures conditions pour qu’ils puissent en faire de même. On n’étudie jamais bien le ventre vide. Le prérecrutement permet d’une part de ne pas bloquer par les moyens financiers, mais aussi une professionnalisation progressive et importante dont les pairs sont partie intégrante. 


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