À Cuba, on fête les 70 ans de l’assaut de la caserne de la Moncada !

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À Cuba, on fête les 70 ans de l’assaut de la caserne de la Moncada !

Alors que nous commémorons aujourd’hui les 70 ans de l’assaut sur les casernes de la Moncada et de Cespedes, l’Avant-Garde souhaite une excellente Fête nationale à tous les Cubains ! Cet anniversaire est l’occasion pour nous de revenir sur un événement majeur de l’histoire de l’île.

Colonialisme, impérialisme et dictature : le Cuba des années 1950

La République cubaine connaît à la veille de la prise de pouvoir par les révolutionnaires une situation de crise politique, économique et sociale de premier ordre. Si celle-ci est principalement due à la gestion catastrophique des ressources agricoles depuis la Grande Crise des années 30 et à la violence des interventions américaines dans les affaires publiques, les contradictions du régime politique et économique cubain sont plus anciennes.

Assujetti à la couronne espagnole pendant plus de 300 ans, Cuba acquiert après de longue lutte son indépendance en 1898. Cependant, cette dernière n’est qu’illusoire puisque le peuple cubain subira un passage forcé du système de domination espagnol à celui des États-Unis. Les règles austéritaires, le pillage des ressources, et la mise au pas des Cubains seront alors proscrits par un texte, l’amendement Platt, et garantis par l’occupation militaire de l’île par les États-Unis.

Si cet appareil colonial survit tel quel jusqu’en 1934, il évolue petit à petit vers une forme plus « classique » d’impérialisme. Gardant la mainmise sur l’industrie sucrière, du cuir et du tabac, le gouvernement américain intervient régulièrement dans les affaires publiques, soutenant financièrement, politiquement et parfois militairement, les « candidats » les plus dociles à la présidence du gouvernement. Un système peu stable qui finit par exacerber toutes ses contradictions en mars 1952 à la veille des élections présidentielles. Soutenu par le gouvernement américain, le général Fulgencio Batista procède à un coup d’État militaire violent et inopiné qui débouche sur une période de dictature qui perdure jusqu’en 1959.

Une chose est sûre : les travailleurs cubains ont connu toutes les formes d’exploitation brutales de l’homme par l’homme en un temps record : l’esclavage n’est aboli qu’en 1886, et sera très vite suivi par l’implantation accélérée des chaines de production capitaliste dès le début du XXe siècle.

L’assaut du 26 juillet 1953 : « transformer les revers en victoires »

Alors que le peuple cubain subit les exactions du général Fulgencio Batista, une partie de l’opposition commence dès avril 1953 à montrer les signes d’un passage aux actions de contestation violente. L’interdiction d’organisations politiques et syndicales, la suppression des institutions représentatives et la forte répression obligent, plusieurs responsables politiques décident de structurer la lutte contre la dictature autour d’organisations armées clandestines.

C’est dans ce contexte qu’un jeune avocat, Fidel Castro Ruz, planifie aux côtés de près de 150 jeunes Cubains l’assaut des casernes de Guillermón Moncada à Santiago de Cuba et Carlos Manuel de Céspedes, proche de Bayamo. Ces attaques succinctes, prévues à l’aube du 26 juillet 1953, se donnent pour objectifs de neutraliser la garnison et de s’emparer de l’arsenal d’armes et de munitions de l’important bastion militaire qu’est la caserne de la Moncada.

Composés en majorité d’ouvriers, de travailleurs agricoles, de jeunes chômeurs ou en emplois précaires, la composition des assaillants des casernes de Moncada et de Cespedes est représentative d’une jeunesse particulièrement touchée par les régressions causées par l’impérialisme et la dictature : restriction du droit à l’éducation pour une population fortement touché par l’analphabétisme (23,6% des plus de 14 ans en 1953), précarisation des emplois industriels (57% des ouvriers de l’industrie sucrière n’ont pu travailler que six mois en 1953, un chiffre qui atteint 40% dans les industries du tabac et du cuir), un chômage qui touche très largement les travailleurs agricoles (47% en 1954) et les femmes (seulement 13,7% des femmes cubaines sont en activités en 1953). 

Ces chiffres recensés par Trabadojes, l’organe central de la Centrale des Travailleurs de Cuba (CTC) témoigne de la gravité de la situation dans laquelle le prolétariat cubain et sa jeunesse se trouvent à la veille de la Révolution.

Ces assauts se solderont par un échec militaire cuisant pour les jeunes révolutionnaires qui seront en grande partie arrêtés et exécutés par le régime. Dans une célèbre déclaration publique, Batista exige que « dix révolutionnaires soient exécutés pour chaque soldat tué au combat ». Pour autant, l’assaut contre la caserne de la Moncada marque un tournant dans l’histoire de l’île pour au moins deux raisons. 

D’abord, parce qu’elle marque le début d’une période de lutte armée contre la dictature qui ne se terminera qu’en 1959 avec la victoire des guérilleros. Ensuite, car le choc de l’événement et la violence de la répression font basculer l’opinion publique et les travailleurs cubains vers un soutien de plus en plus affirmé aux révolutionnaires.

Fidel Castro : « l’histoire m’absoudra »

Désormais sur le devant de la scène, Fidel Castro se rend aux autorités peu après l’assaut de la caserne. Il est jugé en octobre 1953 à La Havane par le tribunal judiciaire. Sachant pertinemment que son sort est déjà jeté et que le procès sera très médiatisé, le jeune avocat décide d’assurer lui-même sa défense lors d’un plaidoyer de plusieurs heures. Construit comme un véritable programme politique, Fidel Castro accuse Batista d’aller à contre-sens de l’Histoire cubaine et à l’encontre des valeurs prescrites par les Héros de l’indépendance en bafouant la souveraineté des Cubains au profit des États-Unis. L’accusé devient juge aux yeux de l’histoire, et Batista coupable de haute trahison à la patrie cubaine.

Durant cette plaidoirie, ce dernier identifie six chantiers primordiaux : la propriété, l’industrie, l’accès à l’emploi, le mal-logement, l’éducation et la santé qui ne pourront être travaillés que dans le cadre d’un changement profond sur le plan politique. Emprisonnés après son procès au bagne de l’île des pins – qui deviendra plus tard « l’île de la jeunesse » – Fidel Castro et une partie de son entourage travaillent à la publication et la distribution massive de cette plaidoirie qui deviendra très vite, un programme politique de référence pour les Cubains qui s’engagent dans la lutte armée.

Conclue par la célèbre formule « condamnez-moi, peu m’importe, l’histoire m’absoudra », la plaidoirie de Fidel Castro participe à un point de basculement de l’histoire cubaine. Peu à peu, la lutte armée s’organise et se structure au-delà du simple renversement de la dictature : les Cubains aspirent à des changements profonds, la Révolution doit y répondre.

Cette vision plus optimiste de la situation a débouché sur la création d’une organisation, le Mouvement du 26 juillet (M-26-7), dont le programme politique et les structures rompent petit à petit avec le réformisme et le quiétisme habituel des opposants à la dictature. 

Lors de son procès, pour la première fois, Fidel Castro évoque l’absolue nécessité d’une transformation du régime politique et d’une révolution socio-économique à Cuba, notamment grâce à la réforme agraire. 

Cette organisation, appuyée par la CTC et d’autres acteurs de la Révolution, se constitue comme une véritable avant-garde ayant pour objectif de structurer la lutte armée, et de préparer l’organisation du nouveau pouvoir révolutionnaire qui adviendra six ans plus tard.

La naissance d’une Révolution ?

Libérés de l’île des Pins en 1955 avec plusieurs prisonniers grâce à la pression des masses populaires, Fidel Castro, son frère Raul et plusieurs autres assaillants de la Moncada s’exilent au Mexique. C’est depuis les côtes de l’Amérique Centrale que ces derniers se forment, s’arment et préparent leur retour clandestin à Cuba, où ils débarqueront le 2 décembre 1956 à bord d’un bateau de fortune, le Granma sur les côtes de la Sierra Maestra.

Si cet épisode est d’une importance capitale dans l’histoire de la Révolution, il est important de noter qu’il n’est pas le premier ni le dernier acte d’insurrection. Par ailleurs, pour les Cubains, la Révolution est un processus historique de libération nationale qui a débuté le 10 octobre 1868 : la prise de pouvoir par les guérilleros en janvier 1959 n’est qu’une étape, rendue possible par les luttes des « pères » – Carlos Manuel de Cespedes, Ignacio Agramonte, Antonio Maceo, Maximo Gomez et José Marti – des généraux des deux guerres d’indépendance qui incarnent les figures les plus consensuelles à Cuba. Lorsque les juges ont demandé à Fidel Castro qui était l’instigateur de l’attaque du 26 juillet contre la caserne de la Moncada, ce dernier a répondu qu’il s’agissait de José Marti.

La Révolution à Cuba est avant tout un processus de libération nationale qui est constitutif de la nation cubaine : c’est au sein du combat pour l’indépendance et l’abolition de l’esclavage qu’a émergé une communauté politique, et c’est avec la prise de pouvoir par les révolutionnaires en 1959 que celle-ci s’est organisé autour des travailleurs et de travailleuses. 


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