“La Révolution”, vue et produite par Netflix, un sentiment de vide et une occasion ratée

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“La Révolution”, vue et produite par Netflix, un sentiment de vide et une occasion ratée

Lorsque Netflix a dévoilé, il y a de cela deux ans, le synopsis de leur première série française, produite et tournée en France, et destinée à la plateforme française, beaucoup de choses prêtaient à sourire : “Royaume de France, 1787. Enquêtant sur une série de meurtres mystérieux, Joseph Guillotin – futur inventeur de la guillotine – découvre l’existence d’un nouveau virus : le sang bleu. La maladie  se propage au sein de l’aristocratie et pousse la noblesse à attaquer le peuple. C’est le début d’une révolte … Et si on nous avait menti depuis plus de deux siècles ? Voici la véritable histoire de la Révolution Française… “. 

Un scénario intrigant

Ce scénario, qui nous rappelle les meilleures séries B – et ce n’est pas une insulte, loin de là – a en effet de quoi faire sourire ceux qui ne croient pas pouvoir s’immerger dans une histoire du genre, et d’ailleurs, comment leur jeter la pierre ? La Révolution Française de 1789 est l’un des mythes fondateurs de notre patrie, et il est généralement traité avec sérieux, que ce soit dans sa légende dorée ou dans sa légende noire. 

Après tout, pourquoi pas ? Si Aurélien Molas, showrunner de la série, veut nous narrer l’histoire de nobles devenant l’équivalent de vampires assoiffés de sang et de carnages et l’histoire d’un peuple héroïque devant endosser collectivement le rôle de Van Helsing – légendaire tueur de vampires de Dracula – alors allons-y. L’important est que cela soit bien fait, divertissant, et que cela amène culturellement quelque chose de plus dans notre paysage audiovisuel. 

Mais un tel projet, avec un scénario tellement éloigné de ce que nous avons généralement sur ce même thème, demande un sérieux savoir-faire pour nous faire croire au monde qui nous est donné et une maîtrise experte de la narration pour nous immerger, nous faire entrer dans l’histoire. Chose qui, malheureusement, n’est pas le cas ici.

Huit épisodes d’en moyenne 45 minutes composent cette première saison. Plusieurs problèmes majeurs, certains évidents et d’autres plus subtils à remarquer, viennent gâcher le visionnage et, malheureusement, viennent mettre en échec une tentative, bien que naïve et un peu tirée par le cheveux, de la production française de proposer quelque chose de nouveau au spectateur.

Bande annonce officielle

Une vision étriquée

La série souffre d’une vision globale faible, voir très faible. Commençons par le point de vue sur l’époque. Bien entendu, il ne faut pas commettre l’erreur enfantine de s’attendre à quelque chose de réaliste vu le synopsis : ce serait être très rapidement déçu. Malgré tout, même à travers le scénario le plus éloigné possible de la réalité, la manière de filmer les décors, les actions des personnages, le quotidien du peuple ou de la noblesse à cette époque-là, est porteur d’une vision historique et politique à ne pas négliger. 

Dans La Révolution, la ville est sale. Les murs sont sales, les rues sont sales, les maisons sont sales, les vêtements sont sales, les peaux sont sales. La boue est partout dès que l’on filme les maisons, les teintes vont d’un marron très sombre à un gris déprimant, les habitants sont tous vêtus de la même manière, avec quelques haillons d’une pauvreté fantasmée et ne variant quasiment jamais dans les formes et les couleurs. La série porte une vision moyenâgeuse – au sens du recueil de clichés que l’on s’imagine sur l’époque – de l’année 1787, majoritairement composée d’idées reçues fausses sur l’aspect visuel de l’époque. 

Non, tout n’étais pas gris et noir et marron, tout ne baignait pas dans une obscurité asphyxiante, et c’est presque si la série ne nous fait pas le coup des déjections qui sont jetées, avec un saut par dessus la fenêtre, sur la tête des passants. A contrario, lorsque l’on est chez la noblesse, c’est coloré, c’est joli, les vêtements sont élégants. 

La vision s’arrête aux idées sur l’époque, et c’est bien dommage, pour une série qui souhaite innover, de s’arrêter à cela. Il est possible de penser que ce n’est pas un défaut en soi, que c’est un parti pris, et que la série, encore une fois, ne veut pas être réaliste. Certes, c’est sans doute le cas, mais c’est un parti pris facile et peu pensé. Comparons avec le film Un Peuple et Son Roi (https://www.youtube.com/watch?v=rexq82lZ-hg) et le trailer  du jeu vidéo Assassin’s Creed Unity (https://www.youtube.com/watch?v=xzCEdSKMkdU), les deux faits par des Français et narrant la Révolution. Nous pouvons y voir un peuple, composé et multiformes, aux vêtements variant, que l’on aille du marchand au paysan, des décors qui peuvent aussi être lumineux, des rues pavés, qui montrent un degré de civilisation qui n’existe pas dans la série. 

Prenons tout simplement l’exemple des costumes de la maréchaussée : non seulement il s’agit clairement de faux-cuir leur donnant un aspect cheap, mais en plus ils se vautrent dans des teintes et des formes noires leur donnant un air de brutes, à la différence où dans Assassin’s Creed et Un Peuple et Son Roi, leurs costumes sont élégants et riches en couleurs, alors qu’ils tirent sur le peuple insurrectionnel (et l’intérêt vient de ce décalage). Les méchants sont en noirs, tant bien même que leurs apanages appartiendraient à des histoires de chasses aux monstres plus complexes, comme encore une fois Dracula ou Bloodborne

C’est un problème qui se dédouble dans absolument chaque scène : dés qu’il y a un plan sur la petite bourgade où se passe l’action, il faut que ce soit sombre, noir, triste, ce qui donne d’ailleurs à la série une certaine lourdeur sur laquelle il est difficile de passer outre. C’est un parti prit, oui, mais un parti prit facile, commun, qui n’est qu’un indice d’à quel point la série est peu surprenante, voir prévisible, au-delà de son idée de base.

La mise en scène est inégale… 

La mise en scène souffre des mêmes défauts. Il y a une tentative de stylisation de l’action : certains plans, avec des personnages armés de pistolets de l’époque sortant de la brume, sont par exemple plutôt réussis et, par moments, nous font véritablement entrer dans l’histoire. Mais ce genre de moments est beaucoup trop rare, par rapport à tout le reste où le montage est très dynamique mais peu inspiré, et où les cadrages sont tantôt enthousiasmants tantôt bancals. 

Le cas de la musique est symptomatique, car il suit l’idée de la série de s’éloigner de ce que nous faisons habituellement en France pour proposer quelque chose de nouveau, de décalé. Bien qu’elle soit composée avec un certain panache et avec des idées de compositions intéressantes, elle est souvent utilisée au premier degré. Quand la scène est triste, la musique est triste. Quand il y a de l’action, la musique est celle d’une scène d’action. Il y a une originalité : elle allie musique orchestrale (violons, pianos et clavecins notamment, rappel de la musique jouée à l’époque) et musique électronique (https://www.youtube.com/watch?v=m9ED9WCpNIE&feature=emb_title), notamment dans les scènes d’actions, dont les basses répétées pourront rappeler celles des films John Wick (https://www.youtube.com/watch?v=IBvf7KUEZ78). 

Il y a peut-être une inspiration des films Sherlock Holmes de Guy Ricthie, avec Robert Downey Jr et Jude Law, qui incorporent également un montage extrêmement stylisé, “moderne” et dynamique (bien plus que dans La Révolution) à des personnages qui ne le sont à la base et dans l’idée pas du tout. La différence est que cela marche dans Sherlock Holmes et pas tellement dans La Révolution, non pas à cause de la qualité de la musique qui est bonne, mais à cause du fond qu’il y a derrière. Guy Ritchie voulait montrer que le personnage de Sherlock Holmes est moderne, toujours très d’actualité dans sa recherche de la vérité par la science et la raison, dans une Londres qui se débarrasse de la religion en plein cœur de l’ère industrielle. La musique et le montage permettent de replacer tout ça dans notre univers, dans tout ce que nous baignons au niveau des images et des sons, dans notre quotidien à nous. C’est un peu pareil dans le trailer d’Assassin’s Creed Unity : la chanson de Lorde Everybody Wants to Rule the World, sert aussi à replacer cette époque de la révolution dans la nôtre, pour montrer que les luttes des assassins dont il est questions et qui sont aussi extrêmement stylisés, sont les mêmes que les nôtres. Le titre de la chanson n’est également pas choisi au hasard, et cela fonctionne très bien.

Dans cette série qui, en dehors de son idée de base, nous sert tout sur un plateau peu inventif, et qui surtout n’a pas beaucoup à dire sur l’époque, sur un lien éventuel avec la nôtre, sur les personnages et sur l’histoire, et bien, tout cela devient très convenu une fois la surprise initiale passée. Oui, la musique est électronique pour des scènes d’actions à l’épée. Et c’est tout. 

Bande annonce officielle

Les personnages sont… moyens

Les personnages n’aident pas vraiment à porter l’histoire : ils souffrent du même manque de profondeur que le reste. Le personnage principal de Joseph Guillotin – oui oui, celui qui donna son nom à la guillotine – est peu inspiré, il s’agit d’un bon médecin, et comme tout bon médecin, il est gentil, veut sauver des vies et aime son travail. Mais c’est tout, au-delà de son nom de famille, il n’a pas vraiment de personnalité en dehors de ça. 

Pareil pour Élise, comtesse mais qui soutient les revendications du peuple, dont le personnage dépasse peu cette optique-là, si ce n’est sa relation avec le frère de Joseph, Albert, un héros fort et bien badass et qui tue beaucoup. 

Les personnages sont très unilatéraux. Ils ne sont pas particulièrement aidés non plus, ni par les acteurs, ni par les dialogues. Sans dire que les acteurs sont mauvais, ce qu’ils ne sont probablement pas, force est de constater que la plupart des répliques sont données avec la même intonation, de manière très monotone et monocorde, comme s’ils lisaient un texte. 

Pourtant, il y a bien une recherche certaine dans le scénario, de donner des répliques plutôt mémorables, avec une certaine poésie et des figures de styles, mais le résultat final est bien faible, comme s’ils n’y croyaient pas vraiment, comme si les acteurs n’osaient pas aller au fond de leur interprétation. Peut-être est-ce normal de retenir sa performance pour éviter le risque d’en faire trop – ce qui est possiblement le cas de Donatien, le méchant noble croisement d’Edward Cullen dans Twilight et Brad Pitt dans Interview avec un Vampire – qui pour le coup est l’une des rares surprises de la série, bien qu’il soit parfois à côté de la plaque. 

Mention honorable, cependant, au personnage très attachant de Madeleine, ainsi que de son interprète  Amélia Lacquemant, qui est doté d’une très bonne écriture, d’une interprétation convaincante voir très convaincante étant donné l’âge de l’actrice. Quel dommage que ce personnage, qui ouvre pourtant la série dans sa première scène, n’est au final que peu présent…

Tout cela est très inégal. Il y a trop de moments étranges dans la narration, trop d’idées reçues, trop de moments brouillons, trop de divergences dans ce qui est fait, trop de faiblesse dans ce qui est tenté d’être fait. Pas la peine de jeter la pierre à quiconque : ce n’est pas facile de faire une bonne série historique et fantastique, surtout lorsqu’on a Netflix derrière soi, qui pousse avec ses normes de productions et ses exigences. Mais malgré tout, manifestement, on n’y croit pas. On ne croit pas à cette histoire qui nous est racontée, on ne croit pas aux personnages, on ne croit pas à l’époque, malgré l’effort et le travail considérable des artistes et des techniciens qu’il y a derrière la série, dont nous pouvons être certain qu’ils étaient de bonne volonté. 

Peut-être la barre était-elle trop haute, ou le scénario de base trop éloigné de nos normes de productions habituelles. Peut-être était-ce un problème de maîtrise, et alors seule l’expérience peut y pallier. Chacun et chacune se fera son propre avis, mais si c’est un problème d’idées, si c’est un problème de budget ou de studio qui coupent la créativité, l’originalité, et parfois même la qualité pour des soucis de rendements économiques, cela est plus dramatique. 

L’idée reçue selon laquelle les scénaristes français sont moins talentueux que les scénaristes américains est fausse : ils le sont tout autant, mais ils sont limités par tout un système de production et de réalisation, par les normes du marchés. Les plateformes Internet offrent une chance d’y échapper, ou du moins de créer des systèmes alternatifs. Il s’agirait donc de ne pas commettre les mêmes erreurs, ou de ne pas retomber dans les mêmes travers.
Ah oui, étant donné que j’écris dans Avant-Garde, je suis tenu d’écrire également sur l’aspect politique et le message du film, sur les éventuelles idées révolutionnaires en son sein ou, au contraire, sur leurs absences et sur la manière dont nous pouvons combler ce vide. Une tâche dont, d’habitude, je m’acquitte avec joie et enthousiasme, mais cette fois, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Il n’y a rien dans cette série, quasiment rien, c’est la traversée du désert. Tout juste un vague récit d’un petit peuple – je dis petit, car au grand maximum ils sont vingt à la fin – qui se lève contre des nobles tyrans, qui les oppriment (sans jamais vraiment montrer comment et pourquoi). C’est tellement vague et flou, j’aurais peur de me tromper ou de de dire une bêtise, donc bon, autant ne rien dire. Tout juste pourrons-nous déplorer que l’un des rares moments de bravoure des personnages et de la série est celui du discours héroïque d’une comtesse qui renonce à ses privilèges et à son titre, et non pas celui d’un paysan, d’un artisan ou d’un ouvrier qui décide de renverser l’ordre des choses pour l’égalité et la liberté…


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