Parcoursup, le Conseil constitutionnel entaille (un peu) le secret des algorithmes locaux

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Parcoursup, le Conseil constitutionnel entaille (un peu) le secret des algorithmes locaux

Alors que l’Éducation nationale est à l’arrêt pour la première fois de son histoire et que les épreuves nationales du bac ont disparu un an plus tôt que prévu, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur le secret des algorithmes locaux de Parcoursup.

Parcoursup, la sélection sous secret 

La mise en place de Parcoursup devait sonner une transparence nouvelle par rapport au dispositif précédent APB dénoncé pour son opacité. La nouvelle plateforme a surtout marqué l’établissement d’une sélection à l’entrée de toutes les filières universitaires sous tension. Toutefois, cette sélection s’opère sur un nombre très grand de candidatures. Une situation qui rend tout traitement manuel et humain quasi impossible. Ce choix des candidatures retenues est de plus renvoyé aux chefs d’établissements permettant au gouvernement de dire qu’aucune sélection n’est opérée directement par la plateforme. Chaque formation doit opérer un classement des candidats qui est ensuite utilisé par Parcoursup pour affecter les élèves.

Les établissements ont donc la charge de départager plusieurs milliers de candidatures pour quelques centaines de places. La plupart ont donc mis en place des algorithmes locaux (le plus souvent une formule dans un tableur) pour départager les candidats et les classer. Pour sécuriser ces pratiques, le ministère de l’Enseignement supérieur avait également garanti le secret des critères de ces classements. À l’époque, le sénateur communiste des Hauts-de-Seine, Pierre Ouzoulias, avait vivement dénoncé le secret de ces algorithmes. 

Ces derniers sont fortement soupçonnés d’utiliser des critères discriminants. Le classement des élèves intervient avant le bac. Les notes utilisées sont donc celles obtenues au cours de la scolarité et dépendent des établissements. Plusieurs filières sont soupçonnées de chercher à « corriger » les bulletins en fonction du lycée d’origine. Une situation dénoncée comme discriminatoire. Le défenseur des droits avait pris position en ce sens : 

« Enfin, le Défenseur des droits rappelle que le recours au critère du lycée d’origine pour départager les candidats peut être assimilé à une pratique discriminatoire s’il aboutit à exclure des candidats sur ce fondement. Il est favorable à l’idée d’anonymiser les candidatures déposées dans Parcoursup afin que le lieu de résidence ne soit pas visible. »

Un recours constitutionnel contre les algorithmes locaux

L’Union nationale des étudiants de France (UNEF), associés à l’Union nationale lycéenne, la quadrature du Net et le syndicat national de l’enseignement supérieur et de la recherche, avait déposé une question prioritaire de constitutionnalité pour dénoncer l’opacité autour de la procédure de classement des candidatures. Pour le syndicat étudiant, le secret autour de ces algorithmes contrevient au droit à l’accès aux documents administratifs découlant selon lui de l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

« La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. »

De plus, en second argument, l’UNEF estime également qu’une telle opacité autour des critères de classement mettait en cause la capacité des candidats à contester un refus d’affectation.

Le Conseil constitutionnel valide majoritairement la position du gouvernement sur les algorithmes locaux

Ce deuxième argument a été rejeté totalement par le Conseil constitutionnel qui estime que la possibilité de contester devant le juge administratif la non-affectation suffit à garantir « le recours effectif devant une juridiction. »

Sur le premier le Conseil constitutionnel le rejette également, mais que partiellement. D’abord, il partage le raisonnement du gouvernement qui soutient que ce traitement algorithmique fait partie intégrante d’un processus humain de délibération dont le secret est garanti. On peut toutefois douter de l’examen minutieux des plusieurs milliers de candidatures reçues par certaines formations. 

Le deuxième argument rejoint le premier et souligne que la procédure de classements des vœux n’est pas entièrement automatisée, que l’usage d’algorithme n’est qu’une possibilité et que la décision ne peut être entièrement fondée dessus. Ce dernier point est particulièrement contestable tant il apparaît difficile de prouver l’inverse dans le cas d’un litige. 

Le troisième argument du conseil est que les élèves disposent des critères généraux et pédagogiques utilisés pour les sélectionner. Il est vrai que les attendus pédagogiques sont connus, tous comme les différents quotas applicables. Assez logiquement, les critères discriminants qui pourraient être utilisés ne sont pas rendus publics ! 

Enfin, en dernier argument il est souligné qu’un recours est toujours possible. Ce dernier peut donner lieu pour l’établissement à devoir communiquer les éléments ayant motivé la décision et dont certains peuvent relever de traitements algorithmiques. En conclusion, pour le Conseil constitutionnel l’opacité autour des algorithmes de sélection est conforme à la constitution. 

Une réserve de taille sur le secret des algorithmes locaux

Le conseil a ajouté une unique réserve à sa décision. 

“Toutefois, cette communication ne bénéficie qu’aux candidats. Or, une fois la procédure nationale de préinscription terminée, l’absence d’accès des tiers à toute information relative aux critères et modalités d’examen des candidatures effectivement retenus par les établissements porterait au droit garanti par l’article 15 de la Déclaration de 1789 une atteinte disproportionnée au regard de l’objectif d’intérêt général poursuivi, tiré de la protection du secret des délibérations des équipes pédagogiques. Dès lors, les dispositions contestées ne sauraient, sans méconnaître le droit d’accès aux documents administratifs, être interprétées comme dispensant chaque établissement de publier, à l’issue de la procédure nationale de préinscription et dans le respect de la vie privée des candidats, le cas échéant sous la forme d’un rapport, les critères en fonction desquels les candidatures ont été examinées et précisant, le cas échéant, dans quelle mesure des traitements algorithmiques ont été utilisés pour procéder à cet examen.”

Cette réserve vient atténuer quelque peu la victoire du gouvernement. Dans son communiqué sur la décision, il est ainsi souligné que la publicité a des tiers des décisions administratives à une valeur constitutionnelle. 

« Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel juge, pour la première fois, qu’est garanti par l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 le droit d’accès aux documents administratifs. Il est loisible au législateur d’apporter à ce droit des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi. »

La demande de la production d’un rapport annuel par les établissements sur les critères de tri des candidatures pourrait entraîner un changement majeur. Le sénateur communiste des Hauts-de-Seine Pierre Ouzoulias s’est d’ailleurs félicité de la décision : 

Parcoursup n’en a pas fini avec la justice et les recours devant les tribunaux pourraient se multiplier cette année. Les nouvelles modalités du bac annoncées par le ministre le jour même de cette décision devraient elles aussi bousculer la plateforme. Finalement, la logique même de sélection des élèves à l’entrée de l’enseignement supérieur est à revoir, plutôt que de chercher à sécuriser juridiquement un tri nécessairement injuste, le gouvernement devrait donner à l’enseignement supérieur les moyens d’une ambition universelle.


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