Pollution du métro : risques, enjeux, et solutions

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Pollution du métro : risques, enjeux, et solutions

La RATP prend tardivement conscience de la pollution de l’air dans le métro, mais reste à la traîne.

Les mesures de la qualité de l’air dans les enceintes ferroviaires des réseaux souterrains de Paris, Marseille, Lyon, Lille, Toulouse, Rennes et Rouen, ont mis en évidence des concentrations en particules PM10 (inférieures à 10 micromètres) et PM2,5 (inférieures à 2,5 micromètres) en suspension dans l’air en moyenne trois fois plus élevées qu’à la surface. 

Cette pollution spécifique (avec une majorité d’éléments métalliques et de composés organiques) est causée par l’usure des matériaux due au freinage, par les contacts entre le matériel roulant et la voie ferrée ou encore par les poussières soulevées par la circulation des rames. 

Conformément au 4e Plan national santé environnement (PNSE), l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) confirme la nécessité de réduire la pollution particulaire spécifique aux enceintes ferroviaires souterraines, notamment grâce au renouvellement des matériels roulants, à l’utilisation de systèmes de freinage moins émissifs en particules ou à une meilleure ventilation.

Cette pollution atmosphérique méconnue du grand public a d’ailleurs conduit l’association Respire à porter plainte contre la RATP.

La RATP visée par une enquête pour « mise en danger d’autrui » et « tromperie »

L’association Respire a porté plainte en mars 2021 contre la régie des transports à Paris, l’accusant de ne pas informer suffisamment les Franciliens sur la concentration de particules fines dans le métro.

Cette enquête a été confiée à l’Oclaesp (Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique) de la gendarmerie nationale, précise le parquet, qui a lancé ces investigations après le dépôt de plainte.

« La RATP connaît la situation — elle fait ses propres mesures et est sensibilisée sur ce point par les autorités sanitaires depuis le début des années 2000. Pourtant, la RATP s’abstient délibérément d’alerter les usagers de son réseau sur les risques qu’ils encourent », dénonce l’association dans un communiqué.

La régie conteste et affirme que le suivi de la qualité de l’air du réseau souterrain est « très scrupuleux et tout à fait transparent ». 

Même si l’objectif est louable et permet de projeter une lumière bienvenue sur ce sujet encore trop peu connu du grand public, les preuves scientifiques pour porter une telle plainte manquent encore, et des études complémentaires seront nécessaires dans un avenir proche.

Une pollution au-delà des seuils d’alerte

De manière générale, la pollution atmosphérique est un facteur de risque important pour un certain nombre de maladies, notamment les infections respiratoires, les maladies cardiovasculaires, les cancers du poumon, et engendre un risque accru de troubles psychiatriques tels que la dépression ou l’anxiété. 

En IDF, l’ensemble de la pollution urbaine serait responsable de 8 000 décès prématurés en 2019 selon Airparif et l’Observatoire régional de santé Île-de-France (ORS IDF). À l’échelle nationale, Santé publique France évalue à 40 000 les décès annuels liés à une exposition des personnes âgées de 30 ans et plus aux PM2,5 entre 2016 et 2019.

L’Anses, dans son nouvel avis et rapport sur le sujet rendu en mai 2022, conclut que le corpus d’études reste trop limité pour pouvoir tirer des conclusions fermes sur de tels effets sanitaires liés spécifiquement à cette pollution. Cependant, les données épidémiologiques et toxicologiques suggèrent de possibles effets cardiorespiratoires. En effet, les PM10 sont retenues dans la sphère ORL et les PM2,5 pénètrent profondément dans les voies aériennes inférieures jusqu’aux alvéoles pulmonaires, et peuvent passer dans le sang.

Une étude publiée en 2017 sur la pollution par ces particules dans le métro de Shanghai montre également une concentration significativement plus élevée, et que ces particules sont effectivement davantage originaires du réseau lui-même plutôt que de la surface. Cette pollution pouvant provoquer un inconfort des passagers. 

Une autre menée à la fin de 2020 en collaboration avec le CNRS avait relevé des pointes allant jusqu’à 500 microgrammes par mètre cube à la gare RER Auber, soit dix fois plus que le seuil d’alerte d’un pic de pollution.

En IDF : l’(in) action de la RATP

La RATP est « très mobilisée » sur ce sujet, affirme Sophie Mazoué, responsable du développement durable du groupe. À ce jour, l’Union européenne ne régule pas les émissions de particules dans le métro, mais en juillet 2021, un avis du Conseil d’État avait enjoint le gouvernement à légiférer sur la question dans un délai de… 6 mois.

En 1997, le groupe avait installé des capteurs pour mesurer l’air dans 3 stations : Franklin D. Roosevelt (Ligne 1), Châtelet (Ligne 4) et Auber (RER A). Ils restent la principale source de données sur le sujet depuis 25 ans, avec toutes les limites qu’induit ce matériel obsolète.

2 autres ont été déployés fin 2021 sur des quais du RER A : à Châtelet-les-Halles et Nation, pour un coût de 1,2 million d’euros. En mai 2022, IDF Mobilités avait enfin validé un « plan d’action » pour améliorer la qualité de l’air. Parmi elles, un contrat signé entre la RATP et l’Observatoire spécialisé Airparif prévoit de mesurer les particules ultrafines (PM 0,1), considérées comme les plus nocives, pour un coût de 300 000 euros.

« On part de très loin »

« Il y a une vraie évolution depuis un an et demi », explique l’établissement public. Jacques Baudrier, adjoint PCF à la mairie de Paris et administrateur d’IDF Mobilités, n’en est pas moins critique : 

« Cela fait 10 ans que je demande à la RATP de partager ses données et elle nous balade. Elle n’est pas motrice sur un sujet de santé publique. » 

Il a d’ailleurs voté contre le plan d’action d’IDF Mobilités, qu’il juge peu ambitieux.

Dans le deuxième volet de leur stratégie, IDF Mobilités et la RATP vont heureusement plus loin que la seule récolte de données. Ils ont investi 57 millions d’euros pour renforcer la ventilation des rames et des stations. Sur les 345 ventilateurs de la RATP, 40 vont être renouvelés ou remplacés d’ici à 2024.

Le rôle de la ventilation est particulièrement important et permet non seulement d’équilibrer et diminuer les niveaux de pollution, mais également la température, l’humidité, et les micro-organismes, comme l’indique une analyse de la littérature sur le sujet.

« Expérimenter, mais jusqu’à quand ? »

Dernier pan de la stratégie, la RATP veut traiter le problème à la source, notamment au freinage des trains. 

D’abord, tous les nouveaux métros et RER mis en service sont équipés d’un freinage mécanique moins polluant que les anciens matériaux. À terme, la régie espère aussi installer de nouvelles garnitures de freins dans les rames de métro, dites « Green friction » qui, d’après Wabtec (l’entreprise américaine l’ayant développée), réduirait de 90 % les émissions de particules. Après des tests au banc d’essai de 10 mois, deux nouvelles rames de la ligne A ont été équipées à l’été 2021, pour un an d’expérimentation grandeur nature. 

De son côté, la SNCF teste un dispositif de captation passive des particules, développé par la start-up Tallano sur le RER C. De quoi réduire de 71 % les émissions de particules et non 80 % comme cela avait été annoncé initialement.

90 % de réduction des particules pour une solution, 71 % pour l’autre… Ces chiffres suscitent le scepticisme : « Je veux un laboratoire indépendant qui nous donne l’efficacité de ces technologies », tempête Jacques Baudrier. 

Et de fustiger le manque de calendrier précis donné par la RATP : « Ils disent envisager de tester un jour alors que le temps presse. Il faudrait équiper dès aujourd’hui toutes les rames ». Pour lui, pas question de lâcher du lest : « Je continuerai de faire pression jusqu’à ce qu’ils nous donnent un calendrier ». 


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