1 an après les ordonnances : les représentants élus (2/3)

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1 an après les ordonnances : les représentants élus (2/3)

Il y a un an, le gouvernement fraîchement nommé faisait sa rentrée avec une série d’ordonnances poursuivant la loi travail du gouvernement précédent. Retour sur les principales conséquences de cette entreprise de casse du droit du travail.

La mise en place d’une instance unique de représentation des salariés, c’est une grande histoire de désamour entre le patronat et le Gouvernement d’un côté et les travailleurs et leurs organisations syndicales de l’autre. L’histoire des institutions représentatives du personnel, c’est plus de 200 ans d’histoire de conquêtes sociales et de développement des droits collectifs.

En 1936 ce sont les délégués du personnel (DP), en 1946 les comités d’entreprise (CE) et en 1982 les comités hygiène, sécurité et conditions de travail (CHSCT) qui sont créés. Une instance représentative du personnel ce sont des élus, du temps, des attributions et des moyens financiers et matériels pour améliorer les conditions de vie et de travail des salariés. Mais le patronat ne désarme jamais comme le disait Ambroise Croizat, ministre communiste auteur de la loi de 1946, et il n’a eu de cesse d’exiger une instance unique : le Conseil d’entreprise. C’est désormais chose faite, par petites touches cette instance a été mise en place : tout d’abord on a permis la fusion par accord dans une délégation unique du personnel dans certaines entreprises, puis on a permis aux employeurs de les mettre en place seuls et généralisé le dispositif à toutes les entreprises et enfin la deuxième ordonnance du 22 septembre 2018 est venue créer le Comité économique et social, applicable à toutes les entreprises de 11 salariés et plus, et le Conseil d’entreprise.

Les entreprises ont jusqu’à la fin de l’année prochaine pour mettre en place des comités sociaux et économiques (CSE). Mais déjà l’enquête de CSA research parue en juillet montre que pour 64% des employeurs interrogés, ils ne comptent pas mettre en place de CSE, dont la moitié estimant que ce ne serait pas obligatoire (loupé ! ce ne sont que des entreprises concernées par cette obligation qui ont été interrogées). Seulement 4% des entreprises auraient déjà rempli cette obligation et les premiers accords montrent un réel recul dans la représentation des salariés. Un tiers des entreprises va donc mettre en place un CSE d’ici à 2020, que peut-on tirer des premières applications de ces ordonnances ?

Le comité social et économique : des élus professionnalisés, éloignés et désarmés

Le CSE est présenté comme l’instance fusionnant les anciennes instances représentatives du personnel. La réalité est un peu plus complexe qu’une fusion :

Les attributions ne sont pas maintenues. Les délégués CSE dans les entreprises de 11 à 49 n’ont plus de réunion mensuelle avec l’employeur ni le droit d’accompagner l’inspecteur du travail lors des visites comme les délégués du personnel avant. Quant aux délégués CSE des entreprises de plus de 49 salariés, on a des sujets d’information et de consultation obligatoires mais au-delà, tout est négociable !

Les budgets sont sabrés. En effet, le budget du CSE correspond à l’ancien budget du CE. Les DP et les CHSCT n’avaient certes pas de budgets propres mais les CHSCT avaient le droit de commander des expertises financées par l’employeur. C’est désormais fini. Par ailleurs, le CSE peut reverser une partie du reliquat de son budget de fonctionnement annuel vers le budget des activités sociales et culturelles, là encore c’est un risque pour des élus trop peu vigilants qui risqueraient de se priver de leur capacité financière d’agir faute d’un budget suffisant (notamment pour agir en justice ou financer une expertise).

Le recours à l’expertise est également remis en cause. Celles-ci étaient financées par l’employeur, la loi distingue désormais deux catégories d’expertises : celles financées par l’employeur et celles dont le CSE doit financer 20% du coût total. L’expertise, c’est pourtant ce qui permet au comité d’avoir les informations nécessaires pour agir et intervenir utilement.

On a également une réduction générale du nombre d’élus et une hausse potentielle des heures de délégation. Dans les plus grandes entreprises, on peut diviser par deux le nombre de représentants du personnel et le nombre d’heures de délégation par élu peut quant à lui doubler. Résultat : des élus professionnalisés et extraits de leur poste de travail.

Les premiers accords confirment ces tendances, notamment en ce qui concerne la baisse du nombre de représentants et leur professionnalisation. La représentation est totalement sabrée par l’emploi de deux mécanismes. Le décret d’application fixe le nombre de représentants en l’absence d’accord et les accords peuvent diminuer le nombre d’élus par rapport au décret. Ces deux éléments diminuent globalement le nombre de délégués d’une part.  D’autre part, la définition de ce que l’on appelle l’établissement distinct est modifiée. L’établissement distinct est le cadre de mise en place des institutions représentatives du personnel. Cette modification permet de réduire le nombre de ces établissements de manière drastique (on a des exemples d’accord où l’on a deux fois moins d’établissements) et donc de réduire d’autant le nombre de conseils à mettre en place et de représentants à élire dans un une entreprise. A l’inverse, la CGT a obtenu un redécoupage de l’entreprise venteprivée.com, ce qui a permis de doubler le nombre de représentants.

Les accords sont relativement simples : ils renvoient souvent à l’ordre public, sauf bien sûr quand il y a une possibilité de déroger à la loi dans un sens plus défavorable. On peut tout de même observer la création assez récurrente dans les accords, de représentants de proximité. Ces représentants ne sont pas obligatoires et leurs prérogatives et moyens sont définis par l’accord. Ils ont généralement assez peu de moyens mais peuvent en partie pallier la suppression des DP et des CHSCT puisque leurs attributions sont généralement des attributions en santé, sécurité et conditions de travail et la présentation des réclamations individuelles ou collectives concernant l’application du code du travail.

La CSSCT : rien à voir avec le CHSCT

Le CHSCT serait remplacé par une commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT). À écouter le discours du Gouvernement, rien ne changerait si ce n’est qu’au lieu d’avoir deux consultations sur ces questions (celles du CE et du CHSCT), on aurait seulement une commission faisant un travail préparatoire à une consultation unique du CSE.

Tout le problème est là, une commission, ce n’est pas un comité. Comme nous l’avons déjà écrit, les conditions de mise en place permettent de réduire drastiquement le nombre de ces instances. En effet elle n’est obligatoire que dans les entreprises et établissements de 300 salariés et plus (le CHSCT était obligatoire dans les entreprises de 50 salariés et plus). Dans ces commissions, le patronat ne manque pas de faire jouer le nombre, là où l’employeur était seul dans le CHSCT, il peut désormais se faire accompagner d’autant de « collaborateurs » qu’il lui plaît à la seule condition qu’il n’y ait pas plus de représentants employeurs que de représentants salariés. Enfin, ce n’est qu’une commission, elle fait donc seulement un travail préparatoire. Il n’y a pas d’obligation de formation supplémentaire pour les élus de cette commission (on a seulement une formation santé, sécurité et conditions de travail pour tous les délégués CSE).

La CSSCT n’a pas non plus le droit de commander des expertises, qu’elle ne pourrait financer faute d’obligation faite à l’employeur de les prendre en charge. Ses missions ne sont que celles que le CSE lui délègue, la loi n’instituant aucune attribution obligatoire à cette commission. La seule obligation est donc d’en mettre une en place dès que l’on emploie 300 salariés, tout le reste est négociable, le MEDEF a bien eu la peau de ce CHSCT qui le terrorisait en l’empêchant d’exploiter les travailleurs sans se soucier de leur santé. Droit d’alerte, d’expertise, d’enquête et de saisir la justice, dont les élus spécialisés du CHSCT savaient faire un usage approprié, ne sont donc plus qu’un mauvais souvenir pour Roux de Bézieux, le nouveau patron du MEDEF, et ses amis.

Le Conseil d’entreprise : la mort du syndicalisme d’entreprise

Vieille revendication du CNPF, puis du Medef, le Conseil d’entreprise appartient aujourd’hui au champ des possibles, mais surtout au champ de la négociation. Et le premier accord créant ce Conseil est arrivé dans la torpeur du mois d’août, à la SNIE, une entreprise d’installation de réseaux électriques et de télécommunications. Ce premier accord a été possible à cause de la signature d’un délégué CFTC contre l’avis de sa centrale.

Le Conseil d’entreprise résulte d’un accord fusionnant le CSE et les délégués syndicaux. C’est-à-dire de la fusion de la représentation élue et de la représentation syndicale. Ce Conseil sera donc un CSE dans lequel les syndicats continueront de nommer leurs représentants, à cette différence près que du fait de la fusion, les délégués n’ont plus d’existence en dehors de cette instance et n’ont donc plus la maîtrise de leurs attributions premières : revendiquer et négocier. Il faut donc un accord, soit une négociation avec les délégués syndicaux, pour que ces derniers acceptent de cesser d’exister. Il s’agit d’un accord classique à durée indéterminée, donc des délégués syndicaux peuvent disparaître s’ils sont minoritaires, et cet accord étant à durée indéterminée, il faudra devenir majoritaire au Conseil d’entreprise pour espérer supprimer ce Conseil en dénonçant l’accord.

C’est le Conseil d’entreprise qui a la charge de la négociation. Celui-ci désigne donc un groupe de négociateurs, voire élit une commission comme c’est le cas dans le premier accord à ce sujet, qui aura la charge de mener les négociations. Par conséquent, dans une entreprise où la CGT (par exemple et au hasard) serait minoritaire, le Conseil d’entreprise pourrait très bien élire un groupe de négociation dans lequel il n’y a aucun représentant de la CGT et l’exclure ainsi des négociations, ce qui est impossible en présence de délégués syndicaux. Cela modifie également les règles de validité de l’accord. Celui-ci ne devra plus être signé par les délégués des organisations syndicales majoritaires, mais devra être approuvé par la majorité des délégués du Conseil d’entreprise, diminuant donc le poids des syndicats dans l’approbation des accords, or l’on sait le besoin de formation syndicale et de conscience politique pour être en capacité de négocier et d’évaluer un accord.

Une seule institution, est-ce plus simple ?

Avant, le fonctionnement des institutions représentatives du personnel était relativement simple à comprendre. Il suffisait de lire la deuxième partie du code relative aux relations collectives, et un chapitre de la quatrième relative à l’hygiène, à la santé et à la sécurité pour avoir une idée de ce qu’il fallait faire. Un accord pouvant toujours prévoir des règles plus favorables que la loi.

Maintenant, tout est négociable et c’est censé être plus simple, car ce sont les « partenaires sociaux » qui ont élaboré leurs propres normes et qu’il n’y a qu’une seule institution et non plus trois. En réalité ce tout négociable n’a rien de plus simple.

Désormais la loi se divise en trois catégories de règles (vous la sentez venir la simplicité ?) :

L’ordre public, qui s’applique obligatoirement à toutes les entreprises concernées sans possibilité de dérogation (par exemple les trois thèmes de consultation récurrente). Le champ de la négociation, ce sont tous les thèmes sur lesquels l’entreprise peut négocier. Les dispositions supplétives, ce sont les dispositions applicables lorsqu’aucun accord n’a été conclu.

Pour cette instance unique, il faut donc savoir si un accord a été conclu. S’il n’y en a pas, on appliquera l’ordre public et les dispositions supplétives, ainsi que les mesures unilatérales prises par l’employeur pour tout ce qui doit relever d’un accord et sur lequel la loi ne prévoit rien (composition des collèges électoraux, découpage de l’entreprise en établissements distincts, etc.). Si c’est le cas, on se referrera à la loi et à l’accord selon le niveau de la règle à appliquer. Mais lorsque l’on a un accord, encore faut-il savoir lequel appliquer. En principe, c’est l’accord d’entreprise qui domine. Sauf s’il existe un accord de groupe. En clair, pour un CSE d’établissement, afin d’être sûr de ce qu’il faut faire, il faut connaître : les dispositions d’ordre public, les dispositions de l’accord de groupe, celles de l’accord d’entreprise et celles de l’accord d’établissement. C’est beaucoup plus simple que d’ouvrir un seul bouquin et de le lire non ?


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