Après le 15 mars, quelle suite pour sauver le climat ?

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Après le 15 mars, quelle suite pour sauver le climat ?

Retour sur la mobilisation du 15 mars, au-delà des pancartes drôles, une volonté de changement radical qui doit trouver une traduction politique.

Les 15 mars derniers, avait lieu une grève mondiale pour le climat et contre la dégradation de l’environnement, dont le changement climatique est un symptôme. À travers un mouvement, « Youth for climate », les jeunes ont pris une part très importante dans cette mobilisation. En France cela s’est traduit par des manifestations importantes de lycéens et d’étudiants. La question de l’écologie semble donc être un sujet d’intérêt important et même un moteur de lutte, là où d’autres enjeux ont échoué à faire descendre la jeunesse dans la rue.

Des jeunes mobilisés pour l’environnement contre un système “toxique”

La mobilisation du 15 mars est intéressant à plus d’un titre. Son ampleur est inédite en France, sa radicalité aussi. Derrière des slogans souvent potaches, les jeunes mobilisés exprimaient une contestation sans précédent du système économique jugé toxique.

Le premier constat que nous pouvons faire est cette journée a réussi à mobiliser des jeunes qui ne se définissent pas comme politisés et qui ne se seraient pas organisés pour manifester pour autre chose que l’écologie. Parmi ceux qui sont les plus intéressés par la politique et les militants, un constat est largement partagé : la planète ne survivra pas au capitalisme. L’anticapitalisme semble donc une notion acquise à ces jeunes. Et si elle leur sert aussi à créer des liens, elle peut cependant prendre des formes très différentes qui vont parfois jusqu’à l’antagonisme.

Cela explique une autre observation importante que l’on peut faire sur ce mouvement. En effet, les critiques sur lesquelles il se base font consensus mais les demandes qui en résultent sont disparates et peinent à prendre la forme de revendications politiques construites.

Force est de constater que peu de propositions politiques sont formulées et lorsqu’elles le sont, elles semblent majoritairement présenter des gestes individuels comme solution à la dégradation de la planète. Certaines sont certes plus collectives, mais il ne s’en dégage pas un projet global plus clair pour autant. « Changer le système et pas le climat » pouvait-on lire sur les pancartes. Mais pour quel système ?

Une mobilisation révélatrice de lignes de fractures dans l’analyse de la crise environnementale

Les défis  de la bataille pour la défense de la planète, sont aussi d’ordre idéologique.

Le premier est en opposition à l’idéologie bourgeoise dominante, qui a substitué la contradiction travail salarié-capital que le marxisme a démontré, par une contradiction homme-nature. Forcée de reconnaître la catastrophe écologique en cours, la classe dominante a recours aux concepts de capitalisme vert et de « développement (économique) durable ». Cette hypocrisie  était largement dénoncé dans les cortèges et l’incompatibilité entre la survie de la planète et le capitalisme souvent mise en avant.

Mais cet antagonisme opposant l’homme à la nature a aussi donné naissance à l’écologie comme courant politique autonome.

Le second défi idéologique se situe ici. Parce qu’en faisant de l’humain, par sa simple présence, une menace pour la planète, certaines théories écologistes font fi de l’exploitation des humains par les humains qui entraîne la surexploitation de la nature. L’écologie n’est alors plus comprise comme la démarche scientifique étudiant les impacts des activités humaines sur l’environnement et elle n’est plus intégrée de façon logique à tous les niveaux de la réflexion politique.  La compréhension de la division de la société en classes sociales et les luttes qu’elles mènent, est indispensable à la formulation de réponses pérennes pour la planète comme pour les humains.

L’enrichissement de la classe dominante ne peut s’effectuer que par l’exploitation d’une classe par l’autre et évidemment, cet enrichissement n’est possible que par l’utilisation abusive et aveugle des ressources et de la résilience que la nature a à offrir. Par la compréhension de ces mécanismes, les jeunes pourront prendre  conscience que les intérêts de la planète et des travailleurs sont identiques et que les stratégies de défense face aux dangers sont communes.

Les dangers d’une approche morale faussement radicale

En effet, des solutions sont formulées, immédiates et concrètes et leur mise en place semble simple. Le tri sélectif, l’alimentation biologique, le vélo, la brique dans la chasse d’eau et les astuces zéro déchet, sont des gestes individuels qui, lorsqu’ils sont mis bout-àbout, semblent formuler une réponse de grande échelle à la pollution que nous produisons et à notre gaspillage de ressources.

Sans aucunement en nier les retombées positives, relevons les aspects négatifs de l’exigence de ces petits gestes de la part de tous, comme revendication politique globale.

Premièrement, la problématique écologique est individualisée. C’est de façon individuelle que s’effectue la prise de conscience, et la mise en place de pratiques y répondant. Or certaines de ces pratiques sont tout simplement inaccessibles à la plupart des travailleurs. Cela contribue à ce que l’écologie soit perçue comme un sujet élitiste et un luxe dispensable.

Plus grave, la responsabilité de la situation environnementale est totalement déplacée.

La sortie du capitalisme que proposent les alternatives comme la théorie de la décroissance ou celles s’en inspirant, est une sorte de dépérissement du système faute de consommation de masse et de production industrielle. Or il semble qu’il y ait, ici, une erreur d’analyse des causes de la crise écologique qui mène à proposer des solutions qui semblent utopistes et paradoxales.

La première erreur de la théorie de la décroissance est donc analytique. Elle désigne l’industrie et la consommation de masse comme causes de la crise écologique et propose en réponse une réduction de la consommation, revenant aux niveaux des société pré-industrielles, ainsi que la petite propriété paysanne, menant à une production locale à visé  autarcique.

La seconde erreur des propositions politiques s’appuyant sur la décroissance réside dans la faiblesse scientifique, tant sur les plans historique que socio-économique, des solutions qu’elles apportent. Nous imaginons difficilement comment européens et nord-américains pourraient être séduits par la perspective d’une régression en termes de consommation et de développement mais surtout comment les peuples qui luttent et se déplacent pour sortir à tout prix de la simple subsistance, pourraient soudainement vouloir y renoncer.

Car l’argument du constat de l’urgence et de la catastrophe climatique qui pousserait les peuples à faire ce bond en arrière semble compter sur une importante spontanéité et surtout nie les conditions matérielles de vie des individus. La théorie de la décroissance ne pourrait supporter la pression démographique mondiale actuelle et les modes de productions et de consommations qu’elle prône conduiraient à une réduction de la division du travail tout comme les échanges à des niveaux rudimentaires.

La productivité même du travail s’en trouverait grandement affaiblie et avec lui, la capacité de développement des sciences et des technologies. Or ce sont bien de ces deux éléments essentiels dont nous avons besoin pour sortir des modes de production dans lesquels le capitalisme nous enferme en créant un outil productif adapté aux besoins des travailleurs et de la planète. L’erreur principale de ces théories est la confusion entre les armes utilisées par le capitalisme et son but final.

Le problème serait que les foyers gaspillent trop d’énergie en chauffage ou roulent toujours au diesel, et non que les richesses produites n’alimentent pas par exemple la recherche en matière d’énergies décarbonnées ou en rénovation thermique des bâtiments. L’écologie devient alors une question morale et éthique dont les réponses relèvent de la volonté.

Or la défense de l’environnement  doit être traitée de manière scientifique, à travers le prisme de la lutte des classes et non façon passionnelle. Et nous disposons des outils pour cela.

Le 24 mai, une deuxième date pour transformer l’essai ?

Dans sa globalité le mouvement, loin d’être dépolitisé, gagnerait en force par la formulation de revendications concrètes. Pour cela on peut noter des initiatives encourageantes et intéressantes comme dans les universités ou les collectifs « Youth for Climate » s’organisent en commissions, dont des commission « revendications » ou encore « long terme » qui regroupent à la fois des idées d’initiatives sur la durée dans les lieux d’organisation (comme la mise en place d’une politique pour limiter le gaspillage alimentaire sur les campus) mais qui élabore aussi une réflexion pour inscrire le mouvement dans la durée.

Mais pour durer, le mouvement pour le climat devra garder une forme massive et une ambition importante et surtout globale. Les petites solutions extrêmement locales et spécifiques ne peuvent être des réponses suffisantes aux enjeux climatiques et surtout elles risqueraient de faire perdre au mouvement sa capacité de mobilisation en nombre.

Garder, massivement, les jeunes impliqué dans cette lutte sera aussi un défi parce que ce mouvement ne s’appuie pas sur une structure organisationnelle clairement définie. Cependant l’exemple du mouvement des gilets jaunes est là pour nous montrer la force et la résistance que peut avoir un mobilisation sociale, au delà des organisations. De plus, comme pour les gilets jaunes, il semble que ce soient sur les réseaux sociaux que les collectifs « Youth for climate » soient les plus facilement identifiables, et c’est aussi le lieux privilégié de leur communication et organisation. Cela permet à un très grand nombre, de s’impliquer dans cette mobilisation et peut-être que sa pérennité se jouera là pour elle aussi.

Il semble tout de même que cela sera difficile si ce mouvement ne se traduit pas politiquement. Il s’agira d’avoir des objectifs rassembleurs et porteurs, et des revendication immédiates et fortes.



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