6ème semaine du procès “Charlie” : des récits d’accusés confus et mensongers

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6ème semaine du procès “Charlie” : des récits d’accusés confus et mensongers

Les témoignages continuent de se poursuivre dans la cour d’assise spéciale réunie pour juger 14 accusés en lien avec les attentats de janvier 2015. Onze sont présents, trois sont en fuite ou présumés morts. Revenir sur les faits reprochés à chacun d’entre eux, essayer de comprendre ce qu’ils ont fait pas fait, l’explication qu’ils donnent à leurs propos, à leurs actes est une tâche ardue et particulièrement longue. 

La gravité des accusations et des peines encourues exige de prendre tout le temps nécessaire, c’est le rôle d’une cour d’assises. Ce procès aura probablement une résonnance dans l’histoire qui impose une exigence encore plus — si c’est possible — de rigueur. 

Pourtant, cette dernière semaine a surtout été marquée par la brume. La brume des mensonges des accusés d’abord. Les récits changent, se contredisent, sont incompatibles avec les éléments matériels mis en avant par l’accusation. La brume aussi des éléments retenus pour l’accusation qui tentent sur des fragments de preuves (un bornage de téléphone, une trace ADN, un témoignage) de reconstituer le rôle qu’auraient pu avoir les accusés dans la préparation des attentats. Le contradictoire est le propre du procès pénal. La vérité semble toutefois s’être perdue dans les mensonges des accusés et les suppositions — trop nombreuses ? — de l’accusation. 

Amar Ramdani

Amar Ramdani est accusé d’avoir transporté les armes utilisées par Coulibaly depuis Lille jusqu’à Paris. C’est un personnage décrit comme séducteur, il explique ainsi s’être lié d’amitié avec un gardien lors d’un séjour en prison au point de le revoir par la suite à sa sortie. Ce dernier lui présentera également une gendarme avec laquelle il aura une liaison jusqu’à son arrestation en 2015. En prison, il a également rencontré Amedy Coulibaly, qu’il appelle Dolly — son surnom —, il en dresse un portrait très positif, on suppose principalement pour se dédouaner de toute proximité idéologique avec le terroriste.

Très souvent en contact avec le tueur de l’Hyper Cacher dans la période précédant l’attentat, il cesse toute communication à partir du 6 janvier avec ce dernier. Vivant principalement d’escroquerie il également accompagné Amedy Coulibaly lors d’une vente de voiture qui a servi à financer l’attentat, pour l’accusé leur présence au même endroit ne signifie pas une complicité, il assure qu’il était venu vendre une autre voiture pour son propre bénéfice. Sur son voyage dans le nord avec un cousin également accusé, Saïd Makhlouf, il a d’abord expliqué qu’il s’agissait pour ce dernier d’aller voir des prostituées, avant de l’expliquer par un trafic de stups dont il n’aurait pas voulu parler pour ne pas être une « balance ». 

Le flou de ses explications fonctionne, car l’accusation n’a pas réussi à fournir d’éléments particulièrement tangibles. Quand les faits manquent, l’imagination prend le dessus. C’est le travail qu’ont mené les avocats des parties civiles dont une part conséquente des questions manquaient tout à la fois de décence et de pertinence. Les témoins ont une fois de plus été pris à partie, soupçonnés de sympathie avec les thèses djihadistes ce qui les pousserait à dissimuler les éléments de la radicalisation de l’accusé. Une offensive peu couronnée de succès dans le cas d’Amar Ramdani. 

Saïd Makhlouf

Saïd Makhlouf n’est pas tellement plus clair. Il ne parviendra qu’à ajouter de la confusion à la défense de son cousin. Il n’a pas de lien direct avec Amedy Coulibaly qu’il ne connaît pas même s’ils se croisent quelques fois. Son ADN est en revanche présent sur la sangle d’un taser appartenant à Coulibaly. Il a également accompagné son cousin dans ses escapades lilloises, qu’il explique par un trafic de stup. Il participe également à diverses escroqueries dont il peine à expliquer où sont passés les gains. 

Ils dénoncent les « hypothèses » de l’accusation en justifiant ses propres incohérences par une mémoire défaillante. Les gains des escroqueries auraient été dilapidés dans un mode de vie flamboyant et des voyages. Un de ses amis appelés à la barre tentera d’étayer l’affirmation en racontant un voyage en Turquie, qu’il situe en 2016 alors que Saïd Makhlouf était déjà incarcéré. Un autre témoin dira qu’il ne lui connaissait pas beaucoup d’argent. Pour l’ADN sur le taser, Amar Ramdani avait avancé l’hypothèse d’un contact indirect quand il a amené Amedy Coulibaly dans l’appartement de son cousin et qu’il se serait vautré dans le canapé. Saïd Makhlouf a tenté de convaincre qu’il dormait principalement sur le canapé plutôt que sur le matelas, un témoin qu’il hébergeait régulièrement expliquera l’inverse. 

Les incohérences de l’accusé n’ont pas permis de battre réellement en brèche les « hypothèses » des enquêteurs. Ces dernières ne sont cependant pas non plus sorties renforcées. Les changements de versions et les oublis semblent montrer l’insécurité du récit de Saïd Makhlouf sans pour autant venir directement conforter les éléments avancés par l’accusation. Les juges devront déterminer s’il s’agit d’une « mémoire défaillante » ou d’une stratégie de défense.

Nezar Mickaël Pastor Alwatik

Nezar Mickaël Pastor Alwatik est également accusé de participation à une association de malfaiteurs à caractère terroriste. Il rencontre Amedy Coulibaly en prison dont il dresse également un élogieux portrait. Il explique que ce dernier lui faisait apprendre des sourates du Coran pour les réciter dans une sorte de jeu. Ils continuent à se voir à leur sortie de prison. 

L’accusé a quelque peu surpris la cour en changeant à nouveau de version sur ses liens avec Coulibaly les jours précédents les attentats par rapport aux auditions réalisées lors de l’enquête. Il explique ainsi avoir vu le djihadiste, les 3, 4, 5 et 6 janvier. Ses explications sur les différentes rencontres sont pour le moins lacunaires. Une voiture lui est prêtée pendant plusieurs jours sans que l’on comprenne bien pour quelle raison. Il passe l’intégralité de la journée du 5 janvier avec le terroriste pour, dit-il, récupérer des affaires chez sa sœur. Dans l’errance de cette journée, il ouvre le coffre, voit les armes et les touche. C’est ainsi qu’il explique que son ADN soit retrouvé sur plusieurs des armes utilisées par Amedy Coulibaly. L’accusé semble lui-même avoir conscience des limites de sa capacité à convaincre la cour de son nouveau récit, expliquant à plusieurs reprises qu’il a raconté de « la merde ».

Derrière ce récit d’une amitié de prison, l’accusation et les parties civiles ont cherché à en faire émerger un autre, celui d’un basculement dans une radicalité islamiste. Peu de temps après être libéré, Pastor Alwatik cherche à se marier et fonder une famille. Il fait alors appel à Amedy Coulibaly pour conclure un mariage arrangé avec une femme musulmane. Le mariage, uniquement religieux, tourne court, il explique ne rien éprouver pour sa compagne et ne pas supporter sa religiosité qui le prive de télévision et de PlayStation. La jeune femme est alors « répudiée » quatre mois après le mariage. Elle livre à la barre une tout autre version, expliquant que c’est sa non-adhésion aux thèses djihadistes défendues par son mari d’alors et ses amis Coulibaly et Belhoucine — également accusé et présumé mort en Syrie –  qui entraîne la rupture. 

Lui se défend de cette proximité idéologique et invoque sa sœur convertie au judaïsme. Sa nièce le défend, explique qu’il participait aux rites juifs quand il venait chez eux. L’accusé finit par s’énerver, explique le témoignage de son ex-épouse par une volonté de vengeance de cette dernière. Il ne sera pas non plus aidé par un ancien co-détenu qui pour une mystérieuse raison s’est senti obligé d’expliquer que le massacre de la rédaction de Charlie Hebdo était «un peu de leurs fautes à 50 %». Nezar Mickaël Pastor Alwatik explique, énervé, qu’il ne partage pas les propos de son ancien co-détenu.

Radicalisé ou non, il ne parvient pas à réellement fournir des explications satisfaisantes. Pourquoi a-t-il effacé ses échanges avec Coulibaly ? Pourquoi a-t-il vendu un ordinateur, sur lequel les enquêteurs pensent que la vidéo de revendication de Coulibaly aurait pu être montée  ? Où est passée une veste, qui pourrait avoir des traces de poudre ? Pourquoi son ADN a été retrouvé sur un gant utilisé par Amedy Coulibaly à l’Hyper Cacher ?

La culpabilité est l’affaire du juge, la vérité était l’affaire de tous et elle n’a pas éclatée.


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