A Paris, deux mises en retraite d’office suite à une action syndicale

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A Paris, deux mises en retraite d’office suite à une action syndicale

Christian Garnier et Jean Jacques Picot sont chauffeurs poids lourds à la Ville de Paris. Le 25 mai dernier ils sont arrêtés au cours d’une action syndicale, faiblement condamnés devant le tribunal, l’administration parisienne les a lourdement sanctionné. Entretien.

AG : Pouvez-vous vous présenter ?

JJP : J’ai 56 ans. Je suis entré à la ville de Paris en août 1995 comme chauffeur poids lourd, j’ai toujours eu de bonnes notes, aucune sanction disciplinaire, un déroulement de carrière normal. Pourtant je serai mis à la retraite d’office à compter du 1er mai 2019. Je vais toucher 702€ par mois.

CG : J’ai 59 ans, j’ai fait toute ma carrière à la ville de Paris, je suis entré stagiaire au dépôt d’Aubervilliers en 1981. A l’époque il n’y avait pas de syndicat dans mon dépôt et j’ai été inscrit d’office au RPR pour pouvoir rentrer (rires). C’était Chirac à la mairie. Je n’ai jamais eu de blâme, j’ai toujours eu de bonnes notes, quand je suis passé en conseil de discipline j’avais 19.5 sur 20 ! J’étais même passé AEMA (Assistant d’Encadrement).

AG : Pouvez vous nous expliquer ce qui s’est passé le 25 mai dernier ?

JJP : Le 25 mai nous avons engagé une action de convergence des luttes avec la CGT Energie, Infocom, Cheminots et Ville de Paris. Il s’agissait de défendre le service public contre la politique de casse sociale et de privatisation menée par le gouvernement. Nos services publics représentent une manne financière potentielle énorme pour le privé !

Le siège du parti En Marche était donc symbolique et chaque corps de métier y a mené une action particulière. Les égoutiers ont fait remonter dans le siège tout ce qu’on trouve dans les égouts (rires). Les gaziers ont coupé le gaz, les électriciens se sont chargés de l’électricité et de l’internet. Et 300 camarades de tous les secteurs en lutte ont envahi le siège. Notre rôle à nous c’était de déverser 7.5T d’ordures ménagères devant le siège.

CG : C’est là qu’on s’est fait arrêter par la police. On était tout près pourtant. On était garés à 200m du siège et on attendait le signal des camarades pour y aller. Ce qui nous a surpris en premier c’est que les télés étaient là avant même qu’on arrive, même avant la police. Alors BFM a pu prendre des images de notre arrestation et les faire tourner en prétendant qu’on était des terroristes. Il y a eu une vraie désinformation là-dessus.

C’est à cause de cette désinformation que notre arrestation a été si musclée. Les policiers étaient persuadés d’avoir affaire à des terroristes. On a été arrêté pistolet sur la tempe à 9h25. A 9h30 les policiers avaient pu avoir confirmation que c’était une action syndicale et pas terroriste, mais BFM a continué à jouer là-dessus.

JJP : Au début les policiers se méfiaient de moi, ils pensaient que j’avais une ceinture d’explosifs ! Ils ont même fait venir les démineurs pour inspecter la benne.

CG : Il faut dire qu’une fois qu’on a prouvé que c’était une action syndicale, on a été bien traités par la police, les policiers nous ont même applaudis quand on est sortis de garde à vue vers 18h.

Vous avez l’habitude de ces actions au syndicat, comment votre camion a-t-il pu être si facilement repéré et intercepté cette fois-ci ?

JJP : C’est sûr qu’on a l’habitude. Le 4 décembre 2017, c’est 7 bennes qu’on avait détournées pour bloquer les stations GNV. Il n’y avait pas eu de sanction.

CG : En 2016 on avait même défilé en manif avec une benne !

JJP : Ce qui a changé c’est l’utilisation de la géolocalisation des bennes. On est en conflit avec la mairie sur ce point-là. On ne savait pas que les camions étaient géolocalisés. Or l’employeur est obligé d’informer les employés quand il les géolocalise ! Aucun chauffeur de la Ville de Paris n’avait été prévenu. On a signalé la situation à la CNIL.

CG : Ils nous disent que la géolocalisation sert uniquement à faire des statistiques, mais on sait que c’est faux. Ils s’en servent pour surveiller les travailleurs. On commence à avoir des cas de sanctions contre des collègues parce que la géolocalisation est utilisée pour mesurer leurs temps de pause. La géolocalisation est gérée par une entreprise privée, la mairie fait une demande particulière pour obtenir les données.

AG : Quelles sont les sanctions qui ont été prises contre vous ?

CG : Dès le lendemain on a été suspendus pour une durée de 4 mois. Au niveau syndical, ça nous a posé problème, parce qu’on nous a retiré le droit de vote aux élections professionnelles et on a interdiction de militer dans les garages. En plus on était tous les deux têtes de liste pour la CGT aux élections !

JJP : Au tribunal, on était satisfait de ce qu’on a obtenu. Pas d’inscription au casier et 70h de travaux d’intérêt général. En plus, on m’a mis chauffeur du Samu social pour mes 70h de TIG, ça me va très bien ! Et puis on devait verser 1€ symbolique.

CG : Après on devait avoir la sanction administrative. Comme le tribunal avait reconnu que c’était une action syndicale, on était confiants. On pensait prendre une mise à pied de quelques jours, au pire quelques mois. Finalement, après 5h de délibéré, ils n’ont pas pu prendre de décision et ils ont renvoyé la sanction aux mains de la mairie de Paris. C’est donc Mme Robineau-Israël qui nous a notifié notre sanction : mise à la retraite d’office.

JJP : On a remonté les archives sur plus de 30 ans, il n’y a aucun précédent d’une sanction aussi lourde pour une action syndicale. C’est une volonté de répression syndicale. D’ailleurs le soir même, Mao Peninou (à l’époque adjoint à la propreté, aujourd’hui candidat aux européennes pour LREM ndlr) appelait dans un tweet à des « sanctions exemplaires ».

Pour l’instant on a fait appel à Anne Hidalgo via un recours gracieux. Elle a jusqu’à la fin de l’année pour nous répondre. Si elle ne le fait pas nous irons devant le CSAP (Conseil Supérieur de l’Administration Parisienne).

AG : Comment ont réagi vos collègues ?

CG : C’est difficile, parce que la direction a organisé des réunions pour dire qu’on avait fait du car-jacking, qu’on avait été violents avec un collègue au moment du détournement de la benne. C’est faux évidemment, mais comme on n’a pas le droit d’aller voir les collègues dans les garages pour discuter, c’est compliqué de rétablir la vérité. Plusieurs collègues sont quand même venus nous voir pour apporter spontanément leur soutien.

AG : Comment a réagi le syndicat ?

JJP : Nous avons eu un soutien de toute la CGT. Dès les premiers jours une cagnotte a été mise en place. Les camarades qui avaient participés à l’action du 25 ont tous été solidaires et sont venus nous soutenir à chaque étape. Il y avait notamment les syndicats CGT Cheminots Austerlitz et Montparnasse, la CGT Energie Paris, la CGT Infocom, bien sûr notre syndicat de filière la CGT FTDNEEA. On a eu un gros soutien de toute la fédération CGT des services publics.

CG : Le soutien a vite dépassé les rangs de la CGT, on a eu le soutien de la FSU Territoriaux et puis de personnalités politiques du PCF, du NPA, de la FI. L’ancien ministre Anicet Le Pors par exemple nous a soutenu, Pierre Laurent aussi, Olivier Besancenot, Danielle Simonnet. Et puis le groupe communiste à la mairie de Paris qui nous a reçu plusieurs fois et qui a fait un communiqué de soutien.

JJP : D’ailleurs je l’ai imprimé et je l’ai dans la poche, je le trouve très bien !

CG : On a eu l’occasion de s’exprimer dans les médias aussi, la CGT a organisé une conférence de presse au siège à Montreuil.

https://www.facebook.com/nicolas.bonnetoulaldj/posts/2262758733850430

AG : Comment analysez-vous le mouvement de répression syndicale qui a lieu en ce moment ?

JJP : C’est vrai qu’après nos batailles récentes il y a une chasse aux syndicalistes en cours dans l’énergie, chez les cheminots, à la Poste. Ce qui est vicieux c’est que ce sont les directions qui nous obligent à des actions dures en refusant de discuter. Aujourd’hui la direction nous reçoit parce qu’elle est obligée, mais elle ne nous écoute pas. On est obligés de faire ce genre d’actions pour se faire entendre, sinon il n’y a pas de dialogue social possible. Ce qui nous protège c’est le nombre. Pour lutter il faut être ensemble. C’est pour ça qu’à la CGT FTDNEEA on a décidé de faire un syndicat de filière qui regroupe les égoutiers, les fossoyeurs, les éboueurs. C’est pour faire vivre la solidarité au-delà des corporations, sinon la direction entretient la division en donnant plus à l’un, moins à l’autre. Nous maintenant c’est tous ensemble ! Plus de divisions, on négocie pour tout le monde, et tout le monde tire dans le même sens. C’est pour ça qu’on est pris pour une menace à la Mairie.

AG : Quelles sont les revendications de votre syndicat ?

CG : Nous demandons la remunicipalisation complète du traitement des déchets, d’ailleurs le groupe communiste au conseil de Paris a prouvé chiffres en main que ça coûterait moins cher ! Nous demandons aussi une nouvelle grille indiciaire, la montée de grade à l’ancienneté et pas au choix, la suppression des primes au mérite et de l’individualisation des salaires. Nous demandons le calcul de la retraite sur les 6 derniers mois et pas les 25 dernières années. Enfin on veut conserver les 33h par semaine et même passer aux 28h !

JJP : Il faut savoir que grâce à notre action syndicale, nous (la Propreté de Paris) avons le meilleur accord européen concernant les conditions de travail ! Ils prévoient de l’attaquer avec Paris Cap 22. Ils ont lancé des appels d’offre au privé sans nous prévenir. On sait qu’il y a la restructuration de la fonction publique dans les tiroirs. Le risque c’est le démantèlement du service public et la contractualisation généralisée des agents. Nous nous battrons au contraire pour garder les statuts de la fonction publique.

CG : Aujourd’hui le traitement des déchets est privatisé dans la moitié des arrondissements de Paris. Il y a 4 ou 5 grands monopoles privés qui attendent de se partager le reste du gâteau. Face à ça nous travaillons à l’unité d’action des travailleurs du public et du privé sur notre filière. D’ailleurs nous avons déjà signé des appels à la grève communs avec les éboueurs du privé sur Paris. En face, ils veulent briser notre unité, ils viennent de nous mettre deux interlocuteurs au lieu d’un pour la filière à la Mairie : un pour l’Eau et un pour le traitement des déchets. Le but c’est de nous forcer à retourner dans le corporatisme, mais on ne tombera pas dans le piège, on exigera de négocier avec les deux en même temps. Ils croient qu’ils sont plus malins que nous parce qu’ils ont fait l’ENA, mais nous on a 35 ans de boîte, ils nous auront pas.


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