Air France, de la privatisation au conflit

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Air France, de la privatisation au conflit

Le PDG d’Air France a quitté ses fonctions le 15 mai après avoir été mis en minorité par les salariés de l’entreprise au cours d’une consultation informelle destinée à contester la légitimité des syndicats et de leurs revendications.

Du monopole public aux difficultés financières

Comme la plupart des compagnies aériennes, Air France a bénéficié d’importantes aides publiques pour son développement. Nationalisée en 1946 l’entreprise est utilisée par l’Etat pour ses synergies avec l’industrie militaire ainsi que comme vitrine du pays. L’entreprise connaît des fortunes diverses en fonction de la conjoncture économique et celle plus particulière du transport aérien.

En 1999 l’entreprise est privatisée et introduite en bourse, l’Etat conserve alors une part majoritaire. En 2003, la droite revenue au pouvoir achève la privatisation en la faisant adoptée par l’assemblée générale des actionnaires dans laquelle il est majoritaire… À l’époque le PDG est un certain Jean-Cyril Spinetta, le même qui a dirigé l’écriture du rapport éponyme dont la réforme ferroviaire est aujourd’hui inspirée.

L’entreprise était alors en bonne santé. Un an plus tard elle fusionne avec KLM, la compagnie nationale néerlandaise. Le groupe devient alors le premier mondial en terme de chiffre d’affaire. La crise de 2008 frappe durement le secteur aérien, qui subit en plus une nouvelle concurrence avec des compagnies low cost sur les moyens courriers, les compagnies porte drapeaux sur les long courriers et les trains à grande vitesse sur les courts courriers.  

La compagnie engage alors plusieurs plans de suppressions de postes ainsi que le gel des salaires. Ces derniers sont gelés depuis 2011 alors que l’entreprise a renoué avec les bénéfices depuis 2015.

Une lutte intercatégorielle pour les salaires

Air France a une tradition de forts mouvements sociaux. En revanche ces derniers sont très souvent catégoriels, les syndicats de l’entreprise sont corporatistes, chaque corps de métiers ayant le sien. Ce qui est nouveau dans la lutte actuellement menée c’est justement son caractère intercatégoriel.

L’intersyndicale demande ainsi 6% d’augmentation des salaires pour rattraper la période de gel. La direction a répondu par une proposition dix fois inférieure de 0,6% d’augmentation générale. Depuis le 22 février, une douzaine de journées de grève ont eu lieu. Le PDG, Jean-Marc Janaillac, recule légèrement et propose 2% d’augmentation immédiate et 5% à venir sous condition de bons résultats de l’entreprise et d’un engagement des syndicats à ne pas faire grève !

Ces derniers refusent. Le PDG soumet donc sa proposition à une consultation des salariés, à laquelle il se garde de donner une base légale. Depuis les ordonnances Macron, le patronat a tout loisir d’organiser des référendums pour contourner les syndicats, cependant les résultats de ces derniers s’imposent. Ici la direction a préféré un vote sans conséquence avec pour volonté affichée de délégitimer les syndicats.

Malgré une campagne inégale, au cours de laquelle la direction a menacé des apprentis et des CDD et a été jusqu’à envoyer des courriers à ses salariés pour les inciter à approuver l’accord, ce dernier a été rejeté par plus de 55% des voix. Le PDG qui avait annoncé sa démission en cas d’échec de la consultation a dû quitter ses responsabilités.

Un échec retentissant

Alors que l’action du groupe Air France-KLM a perdu jusqu’à 14% de sa valeur à l’annonce de la démission de son PDG, l’Etat français, principal actionnaire du groupe avec 15%, a clairement montré dans quel camp il se situait par la voix de son ministre de l’économie :

“J’en appelle au sens des responsabilités de chacun, des personnels navigants, des personnels au sol, des pilotes qui demandent des augmentations de salaires qui sont injustifiées : prenez vos responsabilités, la survie d’Air France est en jeu”

Même privatisé, Air France reste largement sous contrôle de l’Etat qui conserve un important pouvoir de décision sur l’entreprise profitant de l’éclatement du reste de l’actionnariat. Près de 64% du capital de l’entreprise est flottant donnant ainsi un important pouvoir décisionnel à l’Etat français.  

L’échec de la consultation et donc la continuation de la mobilisation sonne ainsi comme un revers important pour le gouvernement qui est déjà empêtré dans une autre mobilisation, celle des cheminots qui sont bien décidés à ne pas voir la SNCF suivre le chemin d’Air France.


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