Canicules, relation à la science… Entretien flash avec François-Marie Bréon

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Canicules, relation à la science… Entretien flash avec François-Marie Bréon

L’année 2023 a montré que les premières conséquences du changement climatique promettaient un avenir compliqué sur tous les continents. Pourtant, les climatosceptiques continuent encore de rejeter la parole scientifique, et les solutions pour combattre le réchauffement de la planète sont encore loin d’être déployées.

Nous avons posé quelques questions sur le sujet à François-Marie Bréon, climatologue au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement, président de l’AFIS, et co-rédacteur du cinquième rapport du GIEC.

Pendant l’été 2023, les températures ont atteint des records dans l’Hémisphère Nord. L’Europe, l’Asie, l’Amérique du Nord ont connu des chaleurs très intenses, souvent supérieures à 40 °C. Elles ont notamment provoqué sécheresses, incendies, inondations… Pourtant, à part durant quelques jours, il n’a pas fait chaud en France ! Pouvez-vous nous expliquer comment fonctionnent les vagues de chaleur qui provoquent ces canicules ?

On observe une augmentation de la fréquence des canicules pratiquement partout dans le monde, le centre et l’est des États-Unis étant une rare exception. Pour avoir une canicule, il faut une situation météorologique particulière, qui n’est pas nécessairement due au changement climatique.

Mais les températures globales étant plus élevées du fait du réchauffement climatique, cette situation météorologique peut conduire à des températures extrêmes, supérieures à celles qu’on aurait eu sans ce réchauffement global. Par ailleurs, le réchauffement climatique conduit à un assèchement des sols, ce qui favorise les températures élevées, car l’évaporation modère les températures.

Il y a ainsi un phénomène amplificateur : Les températures extrêmes (observées en période de canicule) augmentent donc plus vite que les températures moyennes.

Partant du constat selon lequel il n’a pas fait particulièrement beau dans notre pays cet été, certains voudraient faire croire que le changement climatique est une lubie, voire un complot, créé par quelques élites et scientifiques. Si le temps n’était pas suffocant, cela signifierait que le changement climatique n’est finalement pas si grave qu’on le prétend. Structurellement, pourquoi le changement climatique semble-t-il provoquer des températures très hautes en été comme très basses en hiver ?

L’idée que le changement climatique conduit à une hausse des extrêmes, et donc à des températures plus froides en hiver, est une idée reçue. Les observations montrent très clairement que la fréquence et l’intensité des épisodes froids est en diminution.

Mais l’on s’habitue à ces températures douces en hiver : ainsi, toute baisse qui aurait été considérée comme normale il y a quelques décennies nous parait aujourd’hui exceptionnelle. À l’inverse, la hausse des températures en été, et donc la fréquence des canicules, est indéniable.

Les scientifiques envoient des signaux d’alerte depuis les années 1970 pour sensibiliser la population et les décideurs au changement climatique. Les spécialistes du sujet ont tous réitéré leurs avertissements et, depuis le Sommet de la Terre de 1992, les États se réunissent régulièrement pour aborder la question climatique. La méfiance à l’encontre des scientifiques est toutefois réelle, elle est même alimentée notamment par certains camps politiques, dont l’extrême-droite. D’après vous, le discours scientifique est-il suffisamment entendu ? L’a-t-il seulement jamais été ?

Mon sentiment est que le discours des scientifiques est maintenant entendu par une majorité des dirigeants. Le problème est que la solution consiste en une diminution forte et rapide des émissions de gaz à effet de serre qui sont nécessaires à notre niveau de vie.

Les dirigeants, mais aussi les citoyens, sont donc tiraillés entre le désir de préserver le climat et leur souhait d’assurer un niveau de vie élevé, voire en croissance. Ce sont là des désirs contradictoires et l’arbitrage est difficile. Face à cet arbitrage, les réponses sont variables et pas toujours sincères.

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a rendu son premier rapport en 1990. Depuis, cinq autres ont été publiés, dont un dernier entre 2021 et 2023. Les scientifiques expliquent les causes et les enjeux du réchauffement climatique et proposent des solutions pour l’atténuation de ce phénomène. Dans le dernier volet du 6ᵉ rapport, publié en 2023, quelles sont les préconisations formulées pour lutter contre l’intensification du réchauffement climatique et des vagues de chaleur ?

Face au changement climatique, il y a deux actions qu’il ne faut pas opposer. Il faut d’une part limiter ce changement climatique en diminuant aussi rapidement que possible nos émissions de gaz à effet de serre. Cela passe par de la sobriété (diminution de la consommation), par de l’efficacité énergétique (moins consommer d’énergie pour un usage donné), et par un transfert depuis les énergies carbonées (charbon, pétrole, gaz) vers l’électricité peu carbonée (donc nucléaire et renouvelables).

Il faut d’autre part se préparer et s’adapter au changement climatique qui, malheureusement, va s’amplifier. Cela implique d’adapter nos infrastructures, notre agriculture et nos comportements pour faire face à l’augmentation de la fréquence des canicules, aux perturbations du cycle de l’eau (sécheresses, mais aussi précipitations extrêmes), et à la montée du niveau des mers.


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