Entre le bicentenaire de la mort de Napoléon Bonaparte et le cent cinquantième anniversaire de la Commune de Paris, il faut bien avouer que le printemps 2021 a été riche en anniversaires, en symboles, mais aussi et surtout en débats.
Ces deux événements pourtant majeurs dans l’Histoire de France n’ont pas été traités de façon égale. En effet, alors qu’il avait boudé l’anniversaire de la Commune, Emmanuel Macron a en revanche fait le choix de commémorer les deux cent ans de la mort de Napoléon Ier, notamment en prononçant un discours relativement élogieux à l’Institut de France. On pourrait croire que le Président de la République a favorisé cette commémoration plutôt que l’autre pour ne pas tomber dans la controverse et pourtant la commémoration du bicentenaire est à l’origine de nombreuses polémiques.
Accusé d’être trop élogieux à l’encontre de l’homme qui a mis l’Europe à feu et à sang et rétablit l’esclavage en France par certaines personnalités de Gauche et d’avoir été trop consensuel, trop mesuré par la droite et l’extrême-droite, Emmanuel Macron n’a finalement pas réussi à fédérer les français autour du 5 mai et de la mémoire de Napoléon. Cette fois-ci le « en même temps » si cher à la Macronie n’a pas pris. Paradoxalement et alors que certains membres de LREM comme Stanislas Guerini n’avaient pas hésité à essayer de s’approprier l’héritage d’Ambroise Croizat au moment de la Réforme des Retraites, les Marcheurs ont été extrêmement discrets à propos du 150e anniversaire de la Commune de Paris, comme s’il ne s’agissait pas là d’un évènement majeur dans l’Histoire de France, qui a marqué et qui marque encore aujourd’hui les esprits.
Avec l’exposition itinérante « Nous la Commune », la ville de Paris et le graphiste Dugudus ont rendu un bel hommage à la dernière grande révolution sociale en France en exposant les silhouettes de 50 communards et communardes dans plusieurs lieux symboliques de la capitale. Mais outre cette initiative, ardemment défendue par les élus communistes au Conseil de Paris face à une droite plus que réticente, en dehors de la Gauche, les hommages politiques ont été assez rares. On se souvient pourtant qu’en 2003, le gaulliste Christian Poncelet alors président du Sénat avait fait le choix de commémorer le cent trente deuxième anniversaire de la Commune en ces termes : « Si le peuple de Paris n’avait pas, avec violence, pris les armes, fait sentir qu’il grondait toujours, qui sait si les partisans de la restauration monarchique ne se seraient pas sentis plus libres et assurés dans leurs projets ? »
Un choix politique ?
Alors pourquoi le Président de la République n’a-t-il pas dit un seul mot au sujet de la Commune de Paris ? Peut-être parce que ce dernier a plus peur de vexer son électorat de droite, plutôt que de provoquer l’ire d’une gauche faible et divisée ? Mais cela ne peut pas être la seule réponse à ces silences. Les mouvements sociaux qui ont suivi la mise en place de la Loi Travail dont l’actuel chef de l’etat fut l’un des principaux artisans a donné naissance au mouvement Nuit Debout, puis une fois au pouvoir, Emmanuel Macron a été confronté au Mouvement des Gilets Jaunes et à de nombreuses mobilisations sociales, qui parfois n’hésitaient pas à afficher une filiation, justifiée ou pas, avec la Commune de Paris.
Pour un état central, une monarchie présidentielle qui cristallise en elle tous les défauts de la Cinquième République et que d’aucun qualifient avec raison de pouvoir Jupitérien, il est bien plus intéressant de mettre en avant la mémoire de Napoléon Bonaparte, qui bien qu extrêmement clivant est la parfaite définition de l’homme providentiel, du génial leader, d’un dirigeant à la gouvernance verticale plutôt que celle de la Commune, sa gouvernance horizontale et populaire, son expérience autogestionnaire, sa démocratie directe et participative, sa plus juste répartition des richesses. En visitant la collection napoléonienne lors de son passage au Palais Fesch Musée des Beaux-Arts d’Ajaccio, le 8 février 2018, Emmanuel Macron n’avait pas caché sa fascination pour ce jeune Corse issu de la petite aristocratie de province devenu en quelques années seulement l’homme le plus puissant d’Europe. De là à imaginer que celui que les médias aiment surnommer Jupiter se rêve en Bonaparte…
Peut-être que cette absence de commémoration nationale pour les 150e anniversaire de la Commune de Paris est aussi due au fait qu’après plusieurs décennies on avait pour reprendre les termes de l’historienne Ludivine Bantigny « retiré sa dimension subversive révolutionnaire ».
Hors depuis quelques années, le contexte social extrêmement tendu, la régression constante des droits des travailleurs, mais aussi le travail de mémoire effectué par les militants et militantes de Gauches ou par de simples citoyens ou citoyennes a remis les questions politiques et sociales défendues par les communards au coeur de l’Histoire de la Commune… Il aurait en effet été assez cocasse qu’un gouvernement aussi critiqué que celui d’Emmanuel Macron, honore l’esprit révolutionnaire des parisiens.
Néanmoins et quoi qu’on puisse penser de Napoléon Bonaparte et de son œuvre, son héritage, bien que discutable, il a eu un rôle dans la construction de la France, un héritage qui paradoxalement n’a commencé à s’affaiblir qu’en 1871, après que les Versaillais ont écrasé la Commune et que les idées progressistes de celle-ci ont commencé à germer dans les esprits des Français et des Françaises.