Chronique sociale : le droit de retrait contesté à la SNCF

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Chronique sociale : le droit de retrait contesté à la SNCF

Un sujet unique dans cette chronique avec l’analyse du droit de retrait à la SNCF. ll est bon de rappeler que l’année dernière, la SNCF avait été condamnée à payer ce qu’elle avait retenu sur le salaire de 83 agents ayant fait valoir un droit de retrait. Bis repetita ?

Droit de retrait à la SNCF pour la sécurité des agents et des usagers

Cela fait du bruit depuis une semaine : les cheminots se sont mis en grève inopinément. Laurent Brun aurait trouvé le fameux bouton secret qui permet de mettre en grève spontanément les travailleurs, voire même peut-être celui de la grève générale insurrectionnelle, nous le saurons bientôt.

Avant toute chose, il faut rappeler les faits qui ont conduit à cet arrêt du travail massif dans un temps restreint :

Le 16 octobre 2019, un TER de la ligne Reims – Charleville-Mézières percutait un convoi exceptionnel à un passage à niveau. Le train a déraillé, des voyageurs ont été blessés ainsi que le conducteur. En déraillant, le train bloquait également la voie voisine.

Dans ce cas, une procédure est prévue, que le conducteur a tout de suite mise en œuvre. Il a alors tenté d’émettre le signal d’alerte radio qui aurait permis d’arrêter tous les trains du secteur. Mais l’accident a endommagé le système, qui n’a donc pu fonctionner.

Le conducteur a alors laissé les passagers et est « parti en protection ». Ce qui signifie qu’il est parti, alors qu’il était blessé, au-devant du premier train susceptible d’arriver afin de lui signaler l’obstacle et d’éviter un drame.

Manque ici un acteur : le contrôleur. Et pour cause, il n’y en avait pas, du fait de la politique de réduction des effectifs de la direction de la SNCF. Si un contrôleur avait été présent, il y aurait eu un cheminot pour prendre en charge les passagers et un autre pour partir en protection. Et en amont de de l’accident, l’enquête permettra certainement de déceler d’autres défaillances de la direction dans l’organisation du service ayant conduit à ces événements.

Comme peut le faire tout salarié dans une entreprise, les cheminots ont alors fait valoir leur droit de retrait. Lorsque sa sécurité est en jeu, il est possible de se retirer de la situation dangereuse, ce qui est le moindre des droits.

Muriel Pénicaud choisit la direction de la SNCF contre l’administration du travail et les cheminots

Le 22 octobre sur France Inter, la ministre du travail Muriel Pénicaud, ancienne DRH rappelons-le, a affirmé deux sottises : le droit de retrait ne serait pas justifié et la recommandation de l’inspection du travail n’engagerait que l’inspectrice l’ayant formulée.

Sur la qualification de droit de retrait, Muriel Pénicaud évacue le débat en refusant vouloir rentrer dans des détails techniques. Un refus que l’on peut comprendre vu la fragilité de son argumentaire basé sur une lecture biaisée de l’article L. 4131-1 du code du travail [ https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=419A3C9608B4162D8D4A8A2AA07D7BD0.tplgfr37s_2?idArticle=LEGIARTI000006903155&cidTexte=LEGITEXT000006072050&dateTexte=20080501&categorieLien=id&oldAction= ].  

Le droit de retrait ne serait pas mobilisable selon elle car il n’y aurait pas de danger grave ou imminent. La survenance d’un accident qui aurait pu coûter la vie à des passagers et au conducteur a pourtant tout de la révélation d’un danger grave, susceptible d’entraîner la mort ou une incapacité permanente ou temporaire de travailler, et imminent, puisqu’il s’est réalisé. À partir de là, pourquoi ne se reproduirait-il pas ?

Par ailleurs, outre que le caractère imminent n’est pas à démontrer ici, l’appréciation de la gravité n’est heureusement pas laissée à la seule appréciation de la direction. La loi dispose bien « d’un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent » et de l’interdiction d’ordonner au salarié de reprendre son activité tant que la situation persiste. 

Face à la réalisation du risque, ce qui est déraisonnable, c’est de penser que la politique de la SNCF est bonne en matière de sécurité des agents et des usagers. Qu’importe donc la réalité de la gravité et de l’imminence, ce droit est mobilisable avant qu’il ne soit trop tard.

Ensuite, il ne concernerait pas tout le territoire. En effet, la Cour de cassation a pu circonscrire géographiquement l’utilisation de ce droit suite à une affaire d’agression d’un chauffeur de bus. Elle avait alors estimé que n’étaient exposés que les chauffeurs des lignes passant dans le secteur où avait eu lieu l’agression.

Un tel raisonnement ne serait pas ici transposable puisque les conditions de la réalisation du risque ne tiennent pas à un périmètre géographique, mais à une organisation du travail et du service ayant contribué à la réalisation du risque. En particulier le manque de personnel, le manque de fiabilité du matériel roulant et la réforme de 2018 qui segmente le pouvoir entre les différentes activités et remet en cause leur bonne coordination.

Or ces éléments sont les mêmes sur tout le territoire. Partout, des trains sont susceptibles de partir sans contrôleur à leur bord, avec un matériel vieillissant et avec une mauvaise coordination des différentes activités.

Quant à la remise en cause de la décision de l’administration du travail, Muriel Pénicaud considère que cela n’engage qu’une inspectrice du travail. Outre qu’une ministre n’a pas à remettre en cause l’action d’une administration sous sa tutelle, celle-ci devrait savoir qu’en raison des dernières réformes de l’inspection, cette inspectrice n’a pas agi seule.

Elle a d’autant moins agi seule, que la recommandation faite à la direction de la SNCF émane non pas de l’inspectrice en son nom propre, mais de la DIRECCTE Grand Est, qui demande à la SNCF de suspendre tous les trajets avec un seul agent à bord. Et quand bien même l’inspectrice aurait pris seule cette initiative, celle-ci a bénéficié d’une formation juridique dont semble cruellement manquer sa ministre de tutelle…


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