Contrôle continu: fausse solution et vrais problèmes

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Contrôle continu: fausse solution et vrais problèmes

En annonçant l’annulation des épreuves terminales du baccalauréat au profit du contrôle continu, Jean-Michel Blanquer prétend apporter une réponse « pragmatique » au problème posé par la crise sanitaire que nous traversons. Pourtant, celui-ci n’a pas attendu l’épidémie de Covid-19 pour vanter les mérites de la prise en compte du contrôle continu pour l’obtention du baccalauréat. 

En réalité, derrière un prétendu choix technique, l’option du contrôle continu relève de positions politiques beaucoup plus profondes. Si la crise actuelle donne l’occasion au ministre de réaliser un test grandeur nature d’un tel dispositif, le projet de contrôle continu est un souhait du ministre depuis longtemps, concrétisé par la nouvelle formule du baccalauréat. Quels sont alors les enjeux politiques de ce chamboulement des modes de passation des épreuves? 

Destruction du caractère national du diplôme et inégalités de traitement

Pour répondre à cette question, il faut tout d’abord observer les impératifs auxquels répond la passation d’un diplôme national via des épreuves terminales identiques pour toutes et tous. 

Un premier élément a été rappelé à de nombreuses reprises par les enseignants et élèves durant les mobilisations contre la réforme du baccalauréat : les épreuves terminales garantissent un cadre commun d’obtention du diplôme. En effet, quel que soit l’établissement fréquenté par un élève, sa situation géographique et son prétendu « niveau », les épreuves demeurent identiques. Il s’agit d’un gage important, bien que non suffisant, d’égalité de traitement entre les élèves, puisque cela permet de « lisser » les effets liés à l’origine sociale des élèves. Avec un contrôle terminal complet, une mention obtenue par un élève issu d’un lycée de quartier populaire aura la même valeur que la même mention obtenue par un élève étudiant dans un établissement de centre-ville, puisque ces deux élèves auront planché sur le même sujet, répondant aux mêmes attentes. 

Bien que cela ne vienne pas gommer des inégalités beaucoup plus profondes entre les élèves, force est de constater qu’un tel dispositif est lui seul à même d’assurer un traitement relativement égal des élèves « en bout de chaîne ». 

En effet, lorsque chaque établissement évalue les élèves sur des sujets locaux, en fonction du « niveau » supposé des élèves, comment s’assurer d’une égalité de traitement de ces derniers? Que reste-t-il alors du caractère national du diplôme? 

Dans ces conditions, il est impossible d’assurer une égalité dans la valeur des diplômes remis. Il est plus que probable qu’un bac obtenu dans un établissement réputé comme ayant un « bon niveau » soit perçu comme ayant plus de valeur que dans un lycée classé « Réseau d’éducation prioritaire ». Chaque baccalauréat obtenu risque alors fortement de porter les stigmates de son lycée d’origine. En effet, l’introduction du contrôle continu va alors impliquer une suppression d’un étalon commun qui permettait d’évaluer les élèves à partir d’une base commune. 

En introduisant le contrôle continu pour le baccalauréat, Jean-Michel Blanquer risque donc d’aggraver les inégalités sociales reproduites par l’école, dans un pays déjà très mauvais élèves en matière d’inégalités scolaires. Combiné à la montée en puissance d’un marché de l’éducation, porté par l’idéologie libérale du libre choix du lycée par les parents, c’est une école à deux vitesses qui se dessine, avec des « bacs maisons » dont la valeur dépendra, en toute logique, de l’offre et de la demande sur un établissement.

Individualiser les parcours, libéraliser l’enseignement 

Si cet aspect du problème est assez présent dans le débat public, un second argument en faveur du contrôle terminal pour les diplômes nationaux doit aussi être entendu. 

Celui-ci s’appuie sur les travaux de la chercheuse en sciences de l’éducation Françoise Ropé.

Le contrôle terminal permet, nous l’avons vu, une égalité de traitement des élèves à la fin de leur parcours, avec une épreuve commune venant sanctionner ce cursus scolaire. Mais il permet aussi une unification des pratiques en amont.

La garantie d’une épreuve commune assure en effet une préparation relativement égale entre les élèves. Malgré la liberté pédagogique dont disposent les professeurs, ceux-ci sont chargés d’amener leurs élèves vers un même objectif, quelle que soit la manière dont ils choisissent de le faire. Pour résumer, si les enseignants disposent d’une autonomie (de plus en plus remise en cause) sur le « comment apprendre », ceux-ci sont contraints sur le « quoi apprendre », puisqu’ils préparent leurs élèves à une épreuve commune à l’ensemble des lycéens du pays. Toute chose égale par ailleurs, cela est donc une fois de plus la garantie d’une relative égalité de traitement entre les élèves, qui viendrait les protéger d’un éventuel arbitraire d’un professeur sur les contenus à enseigner, les méthodologies à préférer… 

Avec l’instauration du contrôle continu pour l’épreuve du baccalauréat, on assiste à un renversement total de ce paradigme. L’action éducative du professeur n’est alors plus guidée vers un socle commun à maîtriser en vue d’une épreuve nationale, mais dans un arbitrage plus personnel sur le contenu à privilégier, puisque l’évaluation sera de son ressort. En confiant l’obtention du bac à des évaluations locales, le message implicite est le suivant: chaque élève sera alors évalué selon sa propre avancée dans les programmes, sans référence réelle à un étalon commun à tous les élèves du pays. Les enseignants sont alors sommés d’adapter les programmes selon leurs moyens, et tant pis si, à l’arrivée, tous les élèves n’ont pas suivi le même parcours scolaire. Une fois de plus, derrière le mythe de la souplesse et de l’adaptation aux besoins des élèves, c’est une inégalité de traitement qui se trouve justifiée. 

Derrière ces éléments à priori techniques se cache un enjeu de société bien plus large: l’introduction d’un mode de pensée libéral dans le milieu éducatif. 

À travers le contrôle continu, choix est fait de confier aux établissements la gestion, à partir de consignes nationales certes, du cadre qui permettra d’obtenir un diplôme national. Un pas de plus vers l’autonomisation des établissements, projet déjà porté à son terme dans l’enseignement supérieur.

Le projet libéral concernant le marché du travail est le suivant : casser les conventions collectives et les contraintes institutionnelles pour ne traiter qu’avec des salariés ramenés à leur individualité et dénués de toutes protections. Le projet libéral pour l’éducation pourrait être lui résumé comme tel : mettre à bas les cadres nationaux des diplômes et des cursus scolaires, afin de ramener chaque élève à sa propre individualité, sans chercher à créer un socle commun, avec tous les risques d’inégalités sociales que cela comporte. 

Ainsi, que ce soit en amont ou en aval de leur parcours, le contrôle terminal pour le baccalauréat garantit une relative égalité de traitement des élèves. Le choix de remplacer cela par un contrôle continu tout au long de l’année risque de remettre en cause de manière extrêmement forte cette égalité de traitement.

Un dernier élément mérite d’être observé pour conclure: avec le contrôle continu, quelle est la vision de l’évaluation véhiculée? 

Une évaluation sanction

Avec la décision de conditionner l’obtention du baccalauréat 2020 aux notes obtenues lors des trois trimestres de l’année de terminale, les évaluations réalisées par les élèves durant l’année scolaire viennent se voir revêtir d’un objectif qui ne leur était pas attribué au moment de leur passation. En faisant cela, Jean-Michel Blanquer fait mine d’oublier le rôle de ces dernières. 

Une évaluation n’est en aucun cas une attestation du « niveau » d’un élève. Il s’agit d’une photographie, à un moment donné, des connaissances des élèves, des éléments maîtrisés et de ceux qui restent à travailler. Celles-ci sont pour la plupart du temps formatives et permettent aux élèves de se positionner sur ceux qu’ils savent faire. Elles servent aussi de support aux professeurs pour adapter leurs enseignements. Pour résumer, elles sont une aide aux apprentissages, et pas uniquement une sanction. Les mettre au même plan qu’une épreuve terminale préparée durant des mois relève d’une méconnaissance totale du travail effectué dans les établissements.

Pire, prendre en compte ces notes pour l’obtention du baccalauréat est en totale contradiction avec les injonctions ministérielles elles-mêmes au sujet des évaluations, relayées dans les Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (INSPE): les évaluations se doivent d’être « positives », « bienveillantes », « au service de l’élève », etc. Ces paroles quoique relevant bien souvent d’une forme de novlangue sans réalité effective définissent bien les objectifs assignés à l’évaluation par l’institution. Il est tout simplement proposé aujourd’hui de s’asseoir dessus, au mépris du travail des enseignants et des élèves.

Où est alors la « bienveillance » de l’évaluation lorsque l’on sait qu’une mauvaise note obtenue risque de mettre en péril l’obtention de son diplôme? Il y a une contradiction forte à vouloir faire de l’évaluation un outil de formation au service des élèves tout en faisant un élément de contrôle en vue du baccalauréat. L’introduction de ce contrôle continu risque en réalité de transformer chaque évaluation donnée par un professeur en une « mini-épreuve » du baccalauréat, source de stress pour les élèves, et à rebours des objectifs pédagogiques assignés à un tel exercice. 

Blanquer: le passage en force permanent

Les arguments exposés dans cet article sont bien connus du ministre de l’Éducation nationale. C’est donc en toute connaissance de cause que celui-ci a choisi d’opter pour du contrôle continu pour le baccalauréat 2020. Ce choix ne saurait être transformé en l’unique solution possible, ni même en une nécessité « technique ».

En vérité, ce choix s’inscrit dans la logique propre du ministre depuis son arrivée à la tête de la rue du Grenelle. Alors que celui-ci fait passer de force sa réforme du baccalauréat dont le contrôle continu constitue un pilier central, l’occasion était trop belle. En désignant cette option comme la seule possible, Jean-Michel Blanquer tente de légitimer en amont l’introduction du contrôle continu pour le baccalauréat dès l’année prochaine. Tenter d’organiser coûte que coûte des épreuves de contrôle terminales aurait relevé d’un aveu de faiblesse terrible de la part du ministre.

Au-delà de cette année particulière, rappelons bien que l’introduction du contrôle continu dans le baccalauréat relève d’un projet politique clair, et qu’il s’agit de combattre. Vouloir dépolitiser cette question comme le fait le ministre revient à cacher aux citoyens les vrais enjeux derrière une telle mesure.


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