Entretien avec Paul-Antoine Luciani

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Entretien avec Paul-Antoine Luciani

Paul-Luciani rend son mandat de conseiller municipal cette année après 35 d’engagement pour sa ville. Témoignage.

Pourrais-tu nous présenter assez brièvement ton parcours militant ?

Brièvement ? C’est difficile. Depuis 1964 (quand j’ai adhéré à l’Union des étudiants communistes de Nice) jusqu’à aujourd’hui, au moment où je m’apprête, en mars 2020, à mettre un terme à mon mandat électif à Ajaccio, j’ai vécu la vie politique de beaucoup de ceux de ma génération. Nous avons été profondément marqués par des moments magnifiques de fraternité militante et aussi par des phases de reculs historiques du mouvement ouvrier et démocratique. Certains de mes camarades, qui se sont formés dans les luttes de ce temps-là, ont choisi une autre voie ; d’autres ont, hélas, disparu ; mais la plupart d’entre eux, malgré leur âge, sont toujours des militants… Parmi les moments forts de notre parcours, je retiens, naturellement, mai-juin 1968, la formidable mobilisation mondiale pour le Vietnam, le programme commun de la gauche, les avancées et les déceptions qui ont suivi… Mais le tournant du vingtième siècle, qui a profondément impacté les consciences et l’engagement militant, a été, sans doute, l’effondrement du système dit « du socialisme réel », la remise en cause des certitudes simplistes, la mondialisation capitaliste et l’explosion des inégalités…

Et nous voici, en France, en Europe, à l’échelle planétaire, dans une situation complexe où les enjeux (sociaux, environnementaux, économiques et financiers) sont sans doute plus clairs et perceptibles qu’avant, mais où les perspectives politiques sont également plus difficiles à ouvrir. L’extrême droite pousse partout ses avantages dans la crise profonde qui ronge le capitalisme, les régimes se durcissent, la répression aussi ; en face, la résistance et les luttes aussi se développent ; mais on a du mal à imaginer les prolongements politiques qu’elles appellent. 

L’engagement communiste n’est pas une promenade de santé, la lutte des classes est sans pitié ; mais c’est un engagement nécessaire pour tous ceux qui n’acceptent pas les injustices et les inégalités. C’est aussi une expérience humaine qui est une source prodigieuse d’enrichissement culturel.

Quant à mes mandats électifs, ils auront été des moments souvent très intenses dans les différentes phases de l’évolution de la Corse. Résumons : conseiller municipal d’Ajaccio (1983-2020), conseiller à l’Assemblée de Corse (trois mois en 1984 et un an en 1991) puis président du groupe communiste durant deux mandats de 1992 à 2004 ; vice-président de la CAPA de 2002 à 2008, premier adjoint au maire de 2001 à 2014… et le cycle va s’achever en mars 2020, après 37 ans de présence au conseil municipal d’Ajaccio !

Ces dates permettent de fixer quelques repères chronologiques, elles ne rendent pas vraiment compte de la diversité des activités politiques des communistes et des évolutions qu’a connues la Corse durant ces trois décennies. Nous avons essayé de garder le cap sur la question sociale et la lutte contre les inégalités ; d’autres se concentrant sur les questions institutionnelles et les pouvoirs locaux ; comme si les solutions aux grands problèmes de la Corse se trouvaient uniquement en Corse et dans un simple élargissement de la responsabilité régionale.

Malgré beaucoup de difficultés, malgré la violence clandestine qui a fait beaucoup de dégâts (et pas seulement matériels), nous avons gardé le bon cap. L’immense mouvement social de 1989 (73 jours de grève et de paralysie de la Corse) nous a donné raison sur le fond ; mais, s’il a certainement permis de poser, en grand, la question sociale dans notre île, cette lutte inédite dans l’histoire moderne de la Corse n’a pas connu la traduction politique et électorale que l’on pouvait en attendre. 

Aujourd’hui, la Corse continue inexorablement à accorder une majorité (relative) de suffrages à l’extrême droite, même si elle a connu des éclaircies démocratiques singulières. Notamment dans les grandes villes.

C’est ainsi que la gauche rassemblée a pu diriger la ville d’Ajaccio durant treize ans, de 2001 à 2014. Et c’est ainsi que je me suis retrouvé premier adjoint au maire, Simon Renucci, durant deux mandats. Nous avons beaucoup travaillé pour Ajaccio, les résultats en sont encore visibles.

Quelle est la place de ton mandat municipal dans ton engagement politique ?

Elle occupe une place centrale, même si elle n’a été ni programmée dans ma vie personnelle ni même vraiment désirée la première fois que j’ai été élu ! Après onze ans d’absence (études à Nice, postes en Alsace et en Algérie [1963-1974]), je suis revenu en Corse et pris spontanément mon poste de combat aux côtés de mes camarades. Lesquels m’ont confié des responsabilités et proposé d’être candidat à différentes élections, cantonales (1976, 1979), municipales (1977, 1983) et suppléant d’Albert Ferracci aux législatives de 1978. 

C’est en 1983 que je suis élu, pour la première fois, au conseil municipal d’Ajaccio, sur la liste d’union de la gauche conduite par le docteur Pancrazi. Grâce à la petite dose de proportionnelle introduite dans la loi électorale, nous avons obtenu neuf élus (quatre communistes et apparenté, deux socialistes, trois radicaux et assimilé). J’ai dû m’adapter à ces nouvelles responsabilités tout en poursuivant mes activités professionnelles, et mes engagements communistes. À l’époque, je m’occupais aussi de notre mensuel « Terre Corse » qui rendait compte, notamment, de notre activité municipale.

Dans l’opposition ou dans la majorité, mon activité municipale s’est toujours alimentée de nos débats et de nos luttes, même si l’action concrète locale, développée au quotidien pour améliorer le cadre de vie de nos concitoyens, n’a pas, c’est évident, la dimension politique que comporte celle que l’on peut déployer au niveau national où se décident les grandes politiques publiques ; lesquelles organisent, améliorent ou aggravent les conditions de vie de la population : salaires, pouvoir d’achat, emploi, retraites… rien de tout cela ne relève de la compétence des conseils municipaux !

Mais on ne peut faire comprendre et partager la nécessité de réformes structurelles d’un tout autre niveau (national ou européen) si nous ne démontrons pas, dans l’action et la gestion quotidiennes, que nous pouvons apporter, « ici et maintenant », des changements concrets, partiel certes, mais utiles et porteurs d’exigences nouvelles.

Je me souviens des batailles menées, durant dix-sept ans, dans l’opposition, sur les impôts locaux, sur les inégalités d’équipement et de traitement entre quartiers, sur la gestion clientéliste et le respect de l’intérêt général. Nous avons rendu crédible l’opposition de gauche au clan bonapartiste et à la droite qui a très longtemps dominé la vie politique ajaccienne. Nous avons ainsi préparé les changements qui allaient suivre.

À quoi sert un élu municipal ?

Son action est importante, il est le premier maillon d’une chaîne démocratique, le premier niveau de la gestion publique. Le maire est l’élu le plus proche de la population. Avec son conseil municipal, il est chargé d’un certain nombre de tâches de gestion courante (urbanisme et logement partagés avec la communauté d’agglomération, écoles, équipements sportifs, entretien de la voirie, circulation, propreté urbaine, espaces verts…). Le conseiller municipal quelle que soit sa place institutionnelle — opposition ou majorité — peut donc être utile à sa communauté.

Personnellement, j’ai expérimenté les deux positions (opposition ou majorité) au sein de l’assemblée délibérante : je suis aujourd’hui conseiller d’opposition depuis 2014, après avoir été premier adjoint au maire de 2001 à 2014, et, antérieurement, conseiller d’opposition de 1983 à 2001 ! J’ajouterai que, premier adjoint d’un maire apparenté socialiste, j’ai été, durant ces deux mandatures et à trois reprises (2002, 2007, 2012), candidat communiste aux législatives « à côté » du maire, ce qui n’était pas, on en conviendra, une position ni courante ni confortable. J’ai essayé de maintenir au premier tour l’influence communiste à Ajaccio, mais l’érosion générale, au fil des élections, était impossible à contenir, on l’a vu aux Européennes…

Il est vrai que je me suis senti plus efficace (mais pas moins utile) dans les fonctions de premier adjoint, chargé de l’urbanisme, de l’aménagement et du logement que de dans le rôle d’animateur (toujours opiniâtre) de l’opposition. Très impliqué, chargé de grand projet, j’ai pris beaucoup de plaisir, en tant qu’élu responsable et donc « maître d’ouvrage », à réaliser dans les quartiers populaires des équipements importants que j’avais réclamés en vain durant des années…   

Quelle a été ta réalisation, la plus importante selon toi en tant qu’élu ?

Indiscutablement, c’est le projet de rénovation urbaine (PRU) conduit par la ville dans le cadre des grands projets financés, notamment, par l’Agence Nationale de Rénovation urbaine (ANRU) : il a permis de restructurer en profondeur les quartiers des Cannes et des Salines. On peut constater aujourd’hui les résultats que la majorité actuelle essaie de mettre à son crédit :

Une réfection totale des réseaux d’évacuation des eaux pluviales avec la construction de trois exutoires imposants (Cannes, Jean Lluis, Maréchal Juin, après celui du Margunaghju) ; bassins de rétention, deux écoles ultras modernes (Santarelli et son antenne Andria Fazi, Simone Veil), grande maison de quartier et Jardins familiaux aux Cannes, rénovation de logements sociaux aux Cannes et aux Salines, Création d’une grande place aux Salines ; création du stade Jean Fabiani ; ouverture du centre commercial des Salines et son parking arboré, réfection de certaines voiries (Pietri, Jean Lluis, Candia…)…

La particularité de ce programme, c’est qu’il a été longuement étudié, négocié et financé avec ses onze partenaires publics, c’est surtout qu’il a revêtu un caractère global comportant une bonne soixantaine d’opérations avec quatre maîtres d’ouvrage, pour un montant global qui dépasse les cent trente millions d’euros, financés à soixante pour cent par l’État (ANRU, Programme exceptionnel d’investissement, Plan d’action pour la prévention des inondations).

Se retrouver « grand ensemblier » de ce projet complexe a été une chance et une occasion de faire entrer dans la réalité des propositions presque inimaginables quand nous étions dans l’opposition. Nos successeurs, qui ont longtemps hésité avant de se décider à poursuivre et achever ce projet de rénovation, ont fini par essayer de s’en approprier le mérite… Mais enfin, même si tout n’est pas entièrement terminé, le résultat est là. Nous pouvons en être légitimement heureux et fiers pour Ajaccio.

Quelles particularités distinguent les élus communistes des autres membres du conseil municipal ?

Un sens plus aigu de l’intérêt général : c’est le cœur même de l’engagement communiste, lequel s’enracine dans l’exigence de justice sociale qui est notre carte d’identité. La justice sociale est d’intérêt général, c’est, je crois, un résumé simple et fort de notre différence. Autre différence, de mon point de vue, c’est le désintéressement total de nos camarades. Nous avons depuis toujours un souci scrupuleux de la rigueur gestionnaire et de l’honnêteté individuelle. Ce n’est pas toujours le cas partout… La presse fourmille de trop d’exemples en la matière pour qu’on développe le sujet.  


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