Espagne, la force comme aveu de faiblesse

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Espagne, la force comme aveu de faiblesse

En Espagne, la stratégie de l’ultimatum lancé par le premier ministre Rajoy s’est révélée un désastre. En plus de ne pas avoir permis le déblocage de la situation politique, la mobilisation de l’article 155 aboutit à un blocage institutionnel.

Rajoy, fuite en avant légaliste

A la suite d’une déclaration d’indépendance suspendue de la part de la généralité catalane, le gouvernement espagnole a fait le choix de l’affrontement, en lui demandant de clarifier sa position. Cet ultimatum a placé Puigdemont, dirigeant catalan, dans une situation impossible.

Ce dernier s’est en partie lui même coincé en cherchant à exploiter le résultat d’un référendum, discrédité par la répression policière. Ses tentatives d’aller chercher des soutiens en dehors d’Espagne ont été totalement vaines. Il doit en plus composer avec une majorité hétéroclite, dont le projet commun est en grande partie flou.

Le premier ministre espagnol n’est pas non plus dans une grande position de force, il est poussé par sa droite, ouvertement nationaliste, a une réaction très ferme. Sur sa gauche le PSOE (Parti Socialiste Ouvrier Espagnol) pousse à l’inverse à une solution plus mesurée.

L’invocation de l’article 155 de la constitution espagnole, samedi, semble moins le fruit d’une volonté politique que la conséquence de l’absence de perspective donnée par le pouvoir espagnol.

Prise de contrôle incontrolable

Les mesures prévues par le gouvernement espagnol ne peuvent qu’accroître le niveau de tension en Catalogne. Sur le papier la prise de contrôle de l’exécutif catalan et de la police régionale apparaît comme une victoire par KO de l’Etat espagnol. Dans les faits, il est probable que celle-ci ne puisse se faire qu’au prix d’un important déploiement policier.

Pour des catalans très majoritairement attachés à l’autonomie de leur région, quand ils ne sont pas indépendantistes, une telle option ne peut qu’entrainer une défiance encore plus grande vis à vis de Madrid. La violence d’une telle prise de contrôle compliquerait également le retour à la normal en Catalogne. Malgré le caractère théoriquement temporaire, comment le gouvernement espagnol entend-t–il mettre fin à ce régime d’exception ?

Les élections régionales anticipées que souhaitent Madrid d’ici six mois ne régleront pas la question de l’indépendance catalane. Les indépendantistes pourraient s’y voir conforter. Ils pourraient également les boycotter délégitimant le scrutin. La menace sur l’autonomie catalane sera de toute façon un argument contre la légitimité de ce scrutin.

Toujours aucune perspective de sortie de crise

L’application de l’article 155 va prendre du temps, c’est une procédure exceptionnelle utilisée pour la première fois. Rajoy ne devrait toutefois rencontrer aucune difficulté, il dispose seul de la majorité au Sénat et le PSOE le soutiendra dans l’autre chambre. Le temps de la procédure peut toutefois être mis à profit pour trouver une solution négociée.

Côté catalan, Puigdemont a convoqué une séance plénière du parlement de la généralité pour en discuter jeudi prochain. Il devrait perdre tout pouvoir dès le vendredi. Ses marges de manoeuvres sont en réalité extrêmement faibles. Une déclaration unilatérale d’indépendance, n’aurait aucune conséquence, si ce n’est légitimer un peu l’action du gouvernement espagnole.

Il peut toutefois annoncer la tenue d’élections anticipées, ce qui suspendrait de fait la prise de contrôle de la région par Madrid. A moins d’une victoire des forces non indépendantistes de nouvelles élections ne régleront pas le conflit avec Madrid.

L’indépendance pour ne pas parler du reste

Le dialogue est aujourd’hui rompu entre le gouvernement régional et le gouvernement national. Cette rupture est finalement moins dûe aux agissements illégaux de la généralité qu’à l’incapacité du gouvernement espagnol a proposé une alternative réelle aux revendications catalanes.

La corruption endémique du Parti Populaire couplée à une aile droite nationaliste, en a fait le pire interlocuteur possible pour les nationalistes catalans. Ces derniers marqués par l’austérité qu’ils ont mis en place, pour la formation la plus importante, ont utilisé les revendications indépendantistes comme un masque. Les partis indépendantistes de gauche, les ont rejoint après avoir obtenu des concessions qui sont passées à la trappe dans le processus sécessionniste.

A l’inverse pour Rajoy, la question de l’indépendance catalane lui a permis de s’assurer le soutien du PSOE tout en marginalisant Podemos et la gauche espagnol qui est globalement divisée sur la position à adopter. Les revendications sociales sont ainsi aujourd’hui largement éclipsées en Catalogne comme dans le reste de l’Espagne.

Cette binarisation du débat ne laisse pas grande place au dialogue et favorise une guerre de position. Cette polarisation éclipse également les nuances. Podemos et Izquerdia Unida qui ont chacun proposé des modifications des régimes d’autonomie des régions espagnoles, peinent à les faire exister aujourd’hui.

Les deux formations reconnaissent le droit des catalans à s’exprimer dans un référendum sur leur appartenance à l’Espagne mais ne reconnaissent pas celui du 1er octobre, qui ne bénéficiait ni des garanties légales ni de conditions d’organisation suffisantes à sa légitimité. Tout comme le PSOE, elles appellent à une réforme de la constitution espagnole pour aller vers une forme fédérale plurinationale sous des formes différentes.


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