La France de Macron, ou quand l’état d’urgence devient permanent

publié le dans
La France de Macron, ou quand l’état d’urgence devient permanent

Le 24 mai dernier, le président Macron fraîchement élu annonçait son intention de prolonger pour la septième fois l’état d’urgence jusqu’en novembre prochain. Aujourd’hui on apprend que le gouvernement veut aller plus loin encore.

L’inutilité et la dangerosité de ce dernier ne sont pourtant plus à démontrer. Inadapté aux menaces terroristes d’aujourd’hui, il ne donne pas davantage de moyens aux unités de renseignements. Il permet en revanche d’éviter le contrôle du juge sur les procédures portant de graves atteintes aux droits et libertés.

Vers l’enterrement de L’État de droit ?

Aujourd’hui, on apprend que finalement entre l’état d’urgence et le président Macron c’est pour la vie. Ce dernier entend passer la majorité des mesures d’exceptions prévues par cette loi dans le droit commun.

Afin de revenir dans les clous de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, dont la France sous état d’urgence avait provisoirement suspendu certaines de ces obligations, la nouvelle loi prévoit l’information sans délai du procureur avant l’assignation à résidence.

Sur d’autres aspects, le nouveau droit commun sera davantage répressif que le régime d’exception qu’il remplace. Ainsi tout “suspect” pourra être placé sous bracelet électronique. Les lieux de culte pourront être fermés sur simple décision préfectorale sans intervention d’un magistrat.

Lire aussi : Menaces sur le droit de manifestation en France

Le lourd bilan de l’état d’urgence

Il semble que les remontées des Champs Élysées en véhicule militaire, les visites “sur le front” et les poignées de mains viriles ne soient pas que de la communication. Le président Macron, dans la droite ligne de ces prédécesseurs, continue dans une dérive sécuritaire aussi inutile qu’inquiétante. Le bilan de plus d’un an et demi d’état d’urgence est pourtant lourd.

L’état d’urgence c’est quoi ?

L’état d’urgence est un état d’exception prévu par la loi du 3 avril 1955. Il est instauré par un décret en Conseil des Ministres. Au-delà de 12 jours une loi de prorogation est nécessaire.

Ses principaux effets sont d’accorder aux préfets des pouvoirs extraordinaire et de ne faire intervenir le juge qu’a posteriori dans des situations où, en temps normal, il effectue un contrôle a priori.

L’état d’urgence donne également la possibilité aux préfets de prendre de mesures de restriction des libertés. Les mesures prises peuvent être contestées devant le juge administratif.

Le Ministre de l’Intérieur dispose lui du pouvoir d’assigner une personne à résidence. Cette assignation est sans limite de temps, la personne assignée peut être obligée d’être présente 12h sur 24 au lieu désigné et de pointer jusqu’à 3 fois par jour au commissariat.

D’autre mesures sont également prévues comme la possibilité de dissoudre des associations en conseil des ministres, la fermeture de lieux de réunion, ou encore la réquisition des armes et munitions détenues légalement par les civils.

Un état d’exception qui dure pourtant …

Actuellement il est en vigueur sur le territoire métropolitain depuis le 13 novembre 2015, le conseil des ministres s’étant immédiatement réuni le soir des attentats (puis étendu aux territoires d’outre mer le 18 novembre).

Il a été prolongé une première fois de 3 mois à compter du 26 novembre par une loi votée le 20. Il a ensuite été prolongé à nouveau de 3 mois par une loi du 19 février, puis de 2 mois par une loi du 20 mai pour couvrir le tour de France et l’Euro. Le 21 juillet, à la suite de l’attentat de Nice, une quatrième loi prolonge l’état d’urgence de 6 mois. Il a enfin à nouveau été prolongé pour couvrir la période électorale et court jusqu’au 15 juillet prochain.

Les chiffres à la fin de l’année 2016

4 000 perquisitions administratives mais seulement 80 à partir de juillet et l’attentat de Nice. Fin février 2016, 3 427 perquisitions avaient déjà eu lieu.

Près de 600 armes ont été saisies dont 77 “armes de guerre”.

500 interpellations ont eu lieu pour 426 gardes à vue, en revanche il y a peu de communication officielle sur les suites judiciaires à ces gardes à vue qui semblent a priori assez faibles.

Les assignations à résidence ont connu un pique début février avec plus de 400 personnes assignées à résidence. Mais dès fin février on n’en comptait moins de 300. Là encore les suites judiciaires à ces assignations ne font pas l’objet d’une grande communication et il est possible de douter de l’efficacité de la mesure. Un certain nombre d’assignation ont été contestées devant les tribunaux administratifs et finalement annulées. Un certain nombre d’autres ont également pris fin juste avant l’audience devant le tribunal administratif…

54 sites internets ont été bloqués et 319 adresses électroniques ont été déréférencées des moteurs de recherche. Ces chiffres apparaissent dérisoires au regard de la quantité de données disponibles sur Internet.

430 interdictions de sortie du territoire ont été prononcées et à l’inverse 201 interdictions administratives de territoire délivrées.

Une vingtaine de mosquées ont également fait l’objet de fermetures administratives dans le cadre de l’état d’urgence.

Les détournements de l’état d’urgence

Au cours de ces longs mois sous état d’urgence, de nombreux exemples de détournements illustrent la dangerosité des disposition qu’il comporte et que le nouveau gouvernement veut rendre définitives.

COP 21

Interdiction de manifester, assignations à résidence de militants, dispositif policier hors norme, violences exacerbées, près de 300 arrestations… voilà le bilan du weekend d’ouverture de la COP21 qui s’est déroulée en 2015 à Paris. Quelques jours après les attentats du 13 novembre, cet événement s’ouvrait donc dans un contexte de déstabilisation sans précédent. On le craignait et on l’a vite vérifié, l’état d’urgence donne toutes latitudes à l’exécutif et aux force de l’ordre pour agir en dehors du cadre de la menace terroriste pour réprimer les mouvements sociaux.

De nombreuses personnes et organisations ne comptaient pas laisser aux seuls puissants le soin de décider de notre avenir et de celui de la planète, une “marche pour le climat” avait donc été programmée. Mais le gouvernement a choisi de l’interdire et de tout mettre en oeuvre pour empêcher l’expression populaire, ce qui n’a pas manqué à l’époque d’attiser les tensions et de renforcer le climat délétère qui règne désormais depuis un moment… Au total on recense une vingtaine d’arrêtés d’interdiction sur l’ensemble de la période que couvrait la COP 21.

Football

L’état d’urgence a également servi de prétexte pour faire obstacle à d’autres événements populaires. C’est notamment le cas des manifestations sportives et en particulier des matchs de foot et des déplacements de supporteurs. En effet si les interdictions de déplacements de supporteurs ne sont pas apparues avec l’état d’urgence, ces dernières ont explosées depuis les attentats de novembre. Elles ont même été systématisées du 13 novembre au 14 décembre, puis se sont poursuivies au cas par cas. A chaque fois ces interdictions étaient motivées par l’état d’urgence alors que rien ne le justifiait, puisqu’on nous a expliqué ensuite qu’il s’agissait de préserver les forces de police.

Ainsi, bien loin d’assurer la sécurité des citoyens face à d’éventuelles menaces terroristes, l’état d’urgence a permi aux autorités de museler l’expression dans les stades. Pour se prémunir d’éventuels débordements le parti pris a été de s’attaquer à la liberté de déplacement et de rassemblement. Pendant l’Euro également, les diffusions publiques étaient très contrôlées (écrans géants limités aux “fan zones”, terrasses interdites, etc…). Cela constitue également des atteintes, inédites par leur ampleur, au droit à l’espace public.

Interdiction de manifester

Enfin, lors de cette année 2016 agitée socialement, les restrictions de déplacement pour des individus au nom de l’état d’urgence ont été nombreuses. Ainsi ce fut le cas en particulier pendant les manifestations contre la loi travail où des millions de personnes sur plus de 4 mois sont descendues dans la rue. Aucun soupçon de terrorisme ne pouvait alors peser sur ces individus, y compris sur ceux issus des franges les plus radicales de la mobilisation.

Au delà de savoir si des personnes pouvaient représenter un danger quelconque, ces interdictions doivent être dénoncées car elles sont injustifiées en l’état. En effet, non seulement il n’y avait pas de menace terroriste de la part des individus ciblés, mais qui plus est, ces mesures ont été prises en dehors de toute décision de justice.

Couvre feu dans un quartier

A Sens dans l’Yonne la préfecture a décidé le 20 novembre 2015 la mise en place d’un couvre feu sur un quartier entier de la ville de plus de 8 000 habitants. L’arrêté préfectoral interdisait toute circulation de personnes et de véhicules entre 22h et 6H pendant trois nuits.

Cette décision était motivée par la saisie de plusieurs armes lors de perquisitions administratives. Cependant par la suite aucun événement terroriste ne fut à déplorer et il est possible de se demander si aucun n’a jamais été suspecté. En revanche sur simple décision d’un préfet, un quartier entier s’est retrouvé suspecté de terrorisme et ses habitants ont dû faire face à des graves atteintes à leur liberté de circuler.


Édition hebdomadaire

Mêmes rubriques