Le 6 octobre 1955 à Rouen : La révolte des rappelés de la caserne Richepanse

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Le 6 octobre 1955 à Rouen : La révolte des rappelés de la caserne Richepanse

Les peuples face aux colons

Partout dans les territoires colonisés par la France la révolte gronde, les indépendantistes s’organisent. En France la CGT et le PCF font vivre la solidarité internationale, les dockers de Rouen, du Havre, refusent notamment de charger le matériel destiné à la guerre d’Indochine. En Algérie le PPA (Parti populaire Algérien) manifeste à Sétif et trouve sur sa route la répression et la mort donnée par les gendarmes français. Tout comme à Paris lors de la manifestation du 14 juillet 1953.

Face à la volonté d’indépendance, la France répond par la guerre, elle massacre et torture. L’armée compte peu de volontaires, Pierre Mendès France, président du conseil, envoie donc le contingent (l’ensemble des jeunes en service militaire). Le service militaire, déjà de 12 mois, est rallongé de 6 mois en 1950, l’amenant à 18 mois. Ceux qui ont déjà effectué leurs 12 mois doivent repartir au service, c’est pourquoi on les surnomme les rappelés. En 1955 le gouvernement d’Edgar Faure exige le maintien sous le drapeau de plus de 100 000 soldats.

Les jeunes rappelés refusent leur sort et organisent des protestations, en février 1955 un train transportant 1000 soldats aura 7 heures de retard, les soldats ont tiré 17 fois l’alarme. A Tulle, les cheminots débrayent pour empêcher l’envoi d’armes en Algérie. L’UJRF (futur MJCF) soutient les soldats catholiques qui distribuent un tract disant “leur honte à servir par la violence la cause qui n’est pas celle de l’ensemble des Français“. Dans les casernes et dans l’opinion c’est la colère, chacun connaît un soldat, fils, ami ou frère. Les jeunes communistes ne se cantonnent pas à soutenir d’autres actions ils sont à l’initiative de nombre d’entre elles. Nombre d’entre eux décident alors d’opposer leur refus au départ pour cette Guerre. Des amicales des appelés se mettent en place, des numéros spéciaux de leur Journal Avant Garde sont édités à destination des jeunes rappelés. Distribués depuis la France et se répandant jusque de l’autre côté de la Méditerranée, “Le Conscrit” devient un outil de lutte important. Quelques temps plus tard, un journal intitulé “La voix des soldats” édité sur place en lien avec le Parti Communiste Algérien naîtra à son tour.  

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A Rouen, la révolte prend un tournant majeur.

Depuis plusieurs semaines, appelés et rappelés cohabitent dans la caserne Richepanse située sur la rive gauche de Rouen. Ils ont déjà manifesté et obtenu satisfaction sur la qualité de la nourriture servie. Nombreux sont ceux qui fréquentent les locaux des jeunes communistes à deux pas. Le 5 octobre, annonce leur est faite que les rappelés partiront dès le lendemain au Maroc et les appelés en manœuvre dans la Somme. Le commandant propose aux appelés de prendre la place des rappelés, «ces pères de famille ». Pensant que ceux-ci retourneraient à la vie civile, nombre d’appelés acceptent, en réalité ils viennent juste compléter l’effectif destiné à combattre au Maroc.

Le 6 octobre alors que le départ est prévu le soir même, les soldats refusent d’embarquer, le départ est alors reporté au lendemain.

Le 7 octobre, les soldats défoncent le mur à l’aide d’un camion et partent se balader en ville. Une première bataille entre policiers et soldats s’engage.

La population apprend la nouvelle, la CGT appelle à la grève en solidarité, dockers, communaux, cheminots, etc débrayent et viennent soutenir le contingent. A 18h, une heure après l’appel au soutien, ils sont 6000 devant la caserne à ramener vivres et solidarité aux soldats juchés sur le toit. La foule très diverse: jeunes, curés, militant·e·s communistes, travailleurs, etc déborde vite les gendarmes.

Les manifestant·e·s scandent «pas de soldats au Maroc » ou encore «le Maroc aux marocains ».

Alors qu’un meeting de la CGT et du PCF s’improvise un renfort de CRS fait son arrivée. Lacrymogènes et matraques ont raison de la foule, mais pas des soldats toujours sur le toit. Plusieurs sources rapportent que les soldats ont pris le contrôle des armes de la caserne et n’hésitent pas à s’en servir. C’est seulement le 9 octobre après deux jours d’émeute que la police en très grand nombre réussira à faire embarquer les soldats. La CGT renouvelle alors son soutien en exaltant les intérêts communs des peuples français, marocain et algérien pour la paix.

Une répression à la hauteur de l’évènement

Une telle action ne pouvait pas rester sans réponse, trente manifestant·e·s seront condamné·e·s à des peines de prison. Dix huit des soldats sont accusés de «mutinerie » et de «révolte militaire », neufs bénéficieront d’un non lieu, l’autre moitié sera emmenée en prison à Casablanca. Le maire communiste de la ville attenante, Petit Quevilly, est lui démis de ses fonctions pendant deux mois pour avoir appelé à participer à la manifestation.

Plusieurs mois plus tard, en janvier de l’année suivante, neuf soldats sont de nouveau arrêtés, ils sont emmenés dans la prison de Fresnes. Ils viennent chercher Jean Meaux à son travail, à Sotteville où, après deux mois de prison au Maroc, il est revenu à la vie civile et est devenu cheminot. Le lendemain son atelier créé un comité de soutien, non seulement pour leur camarade mais pour l’arrêt de toutes les condamnations et la libération de tous les prisonniers.

Le secours populaire et les auberges de jeunesses, se joignent à la population et particulièrement à la CGT cheminots pour organiser des réunions publiques de soutien et diffuser des tracts. Après 20 jours de prison, il fête sa liberté dans le locaux du secours populaire. L’ancien soldat remercie l’action de ces soutiens mais surtout demande la liberté de ces huits camarades toujours enfermés pour «rébellion », ils seront libérés quelques jours plus tard.

Remerciement à l’IHS CGT de Seine Maritime pour avoir garder la mémoire de cette histoire.


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