Les Chatouilles, plus que nécessaire

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Les Chatouilles, plus que nécessaire

Présenté dans la section Un Certain Regard, Les Chatouilles est le premier film d’André Bescond et Eric Métayer, adapté de la pièce “Les Chatouilles ou la danse de la colère” récompensé du Molière du meilleur seul en scène en 2016.

Les chatouilles c’est donc l’histoire d’Odette qui a 8 ans. Elle aime dessiner et danser. Un jour dans un repas de famille, Gilbert un ami de ses parents lui propose de jouer aux chatouilles.

“Chatouille”, nom féminin qui signifie “produire, par des attouchements légers et répétés une excitation de la peau ou des muscles, parfois agréable, parfois irritante, qui peut s’accompagner d’un rire compulsif”.

Ici, les chatouilles ne sont pas agréables, elles ne s’accompagnent pas de rire. Les attouchements sont sexuels et l’histoire de la petit Odette est similaire à celle d’un enfant sur 5 en France, comme le rappelle les réalisateurs en guise de conclusion. Si le personnage d’Odette est inspiré par la propre vie d’André Bescond, Les Chatouilles est surtout universel et nécessaire.

Ce qu’elle a vécu, Odette n’en parlera que beaucoup plus tard, à l’âge adulte.

Les chatouilles n’est pas seulement un film sur la pédophilie, c’est un film sur la reconstruction. Et c’est tout ce processus de reconstruction que l’on va suivre, porté par une Andrea Bescond incroyable, avec une folle énergie de vivre et de survivre. On va suivre sa reconstruction, le soutien de son meilleur ami, la danse, la rencontre de son futur mari, tout ce qui font des chatouilles une oeuvre de résilience.

Les chatouilles traite d’un sujet sérieux, donc, peu abordé au cinéma : la pédophilie. Mais ça n’est pas un film noir, ou plombant. Non c’est un film lumineux, drôle, énergique où la danse est parfois plus forte que les mots. C’est d’ailleurs grâce à la danse qu’Odette va réussir à se reconstruire et s’exprimer. Le film est alors rythmé par des scènes de danse qui dégagent une très grande force. La réalisation est assez simple, non moins efficace, dans un univers très lumineux qui contraste avec le sujet du film. Le spectateur est avant-tout observateur de l’histoire d’Odette et est placé dans une situation frustrante puisqu’il voit ce que la famille d’Odette ne voit pas.

Au travers des rendez-vous chez sa psy, à qui elle va raconter son histoire, Odette oscille entre le réel et l’imaginaire. Elle raconte comment le meilleur ami de la famille l’a violée sans que jamais personne ne s’en aperçoive.

Quand Odette sort du silence, elle n’est pas comprise. Il y a sa mère, interprétée par Karine Viard qui ne veut pas comprendre. Elle lui demandera alors: “et tu as pensé à la vie de Gilbert ?”. Cette réaction, choquante, ne l’est pas tant que ça et témoigne de la difficulté pour les familles des victimes de violences de remettre en cause la parole de l’agresseur plutôt que celle de la victime. Puis il y a son père (Clovis Cornillac) qui s’en veut de n’avoir rien vu.

Les chatouilles propose alors de vrais moments de vie et quelques larmes mais jamais avec pathos, jamais avec misérabilisme. Seulement des mots justes “je ne veux pas passer ma vie à attendre ma mort”.

Enfin, Les chatouilles c’est aussi une critique du système judiciaire français, dans une scène de fin bouleversante, où la soeur de Gilbert raconte les viols qu’elle a subis toute son enfance, viols qui lui ont gâché sa vie. Pourtant, malgré son témoignage, le délais de prescription – de 20 ans après la majorité – l’empêche son agresseur d’être condamné. Odette n’était pas la seule à qui Gilbert a proposé des “chatouilles”. Le film dénonce donc ce délais de prescription sans cesse remis en cause mais jamais aboli, et le manque de condamnation des actes pédophiles, dont les peines sont souvent réduites par la suite.

Mais un film fort, plus que nécessaire.


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