Les quartiers populaires à l’heure du confinement, entretien avec Marie-George Buffet

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Les quartiers populaires à l’heure du confinement, entretien avec Marie-George Buffet

Avant Garde a été à la rencontre de Marie Georges Buffet, ancienne ministre de la Jeunesse et des Sports, actuellement député PCF de Seine–Saint-Denis afin d’échanger sur la situation dans les quartiers populaires pendant le confinement

Comment expliquez-vous le traitement médiatique dégradant des quartiers populaires à l’occasion du confinement ?

Cela résulte d’un traitement médiatique et d’une certaine partie de la classe politique qui cherchent à les faire apparaître comme des zones de non-droit. Or, je trouve que le confinement a été remarquablement respecté dans les communes populaires alors que les conditions de logement sont parfois très difficiles. On observe très souvent une suroccupation des logements et les gens ont accompli un effort de solidarité en restant confinés chez eux.

Quelles ont été les difficultés supplémentaires provoquées par les règles de confinement ?

Il y a la suroccupation et l’insalubrité des logements qui sont les conséquences directes des marchands de sommeil. Une autre difficulté vient dans le fait d’avoir plusieurs adolescents dans le même logement. Cela peut être difficile à gérer, car naturellement ils ont envie de sortir, il a certainement fallu beaucoup de discussion dans les familles pour faire respecter le confinement. L’une des difficultés majeures c’est que beaucoup des familles résidant dans ces quartiers sont confrontées à une très forte précarité dans l’emploi. Elles sont davantage salariées en intérim, à temps partiel, bien souvent moins bien payé, parfois même sans emplois ou bien au chômage partiel. Cette précarité pose une grande préoccupation liée à la question de la faim. Parce que lorsque l’on perd son emploi, que l’on perd une partie de ses revenus et qu’il n’y a plus les cantines qui assuraient le repas des enfant pour le midi et bien les familles n’arrivent plus à faire face aux dépenses alimentaires et c’est bien l’une des grandes préoccupations d’un département comme le mien.

Quelles initiatives sont prises de la part des collectivités territoriales pour faire face à cette crise et aux difficultés qui en découlent ?

Alors d’abord je veux saluer l’effort des bénévoles, aguerri comme ceux du secours populaire, du secours catholique des restos du cœur ou d’autres associations. Mais aussi celui des nouveaux bénévoles qui ont pris des initiatives de solidarité. Je pense à celles et ceux qui portent les repas à des personnes âgées dans les immeubles, organisant des diffusions de fruits et légumes, ou même des initiatives d’animations numériques. Beaucoup d’initiatives émanent de jeunes qui se sont organisés dans ces communes populaires pour faire preuve d’humanité et de fraternité. Et puis il y a des Mairies comme celui de La Courneuve qui sont capable, aux côtés d’associations caritatives de distribuer des vivres aux familles qui en ont besoin. C’est-à-dire que les élus ont déployé les moyens financiers, mais aussi humains pour pouvoir distribuer cette nourriture.

Nous avons pu voir ces derniers temps un important traitement médiatique des affrontements dans les quartiers entre les jeunes et la police, comment jugez-vous l’action de la police dans ces quartiers ?

Je crois d’abord qu’il faut être conscient que la violence ne règlera rien. Ce n’est pas par la violence, mais par l’action collective, la fraternité, la solidarité que l’on va s’en sortir dans ces communes populaires. Il faut condamner ces violences, et il faut partout dire aux forces de l’ordre qu’ils sont les forces de la république et qu’elles doivent respecter les jeunes et les habitants de ces communes populaires. J’ai trouvé tout à fait positif qu’à la suite d’une vidéo sur laquelle l’on voyait des policiers tenir des propos racistes ces derniers aient été suspendus. Dès qu’il y a une dérive, elle doit être sanctionnée que cela vienne d’un côté ou de l’autre.

Quelles mesures pourrait-on prendre pour endiguer cette violence ?

Il y a des dispositifs qui avaient été mis en place avant le confinement qui commençait à bien fonctionner. Je pense aux polices de proximité implantées dans les quartiers qui travaillent avec le mouvement associatif tout en remplissant leurs missions de respect de l’ordre et de la sécurité de nos compatriotes tout en entretenant avec la population un rapport de respect mutuel. De la même manière il faut que la population ait le respect des forces de la république, des policiers, mais je pense aussi aux pompiers qui souvent sont victimes de caillassage alors qu’ils sont là pour sauver des individus et pour cela nous leur devons tous le respect. 

On a vu depuis le début du mois de mars un taux de surmortalité en Seine Saint-Denis, pourtant il s’agit du département le plus jeune de métropole comment expliquer cette contradiction ?

D’abord lorsque l’on regarde la carte sanitaire de l’ARS l’on s’aperçoit qu’il s’agit d’un département au sein duquel il y a une forte propension de diabète, d’obésité, à une époque nous y avons même vu réapparaître la rougeole. C’est donc un département où un certain nombre de maladies fragilisent la population. Mais il y a également des problèmes pour aller se soigner. Pour beaucoup d’habitants aller se soigner c’est également avoir peur de dépenser, d’avoir des traitements qui ne seraient pas entièrement remboursés. Cela freine l’accès aux soins.

Il y a également en Seine Saint-Denis, non pas un manque de structure puisque nous possédons de nombreux hôpitaux, mais un manque de spécialistes et de médecins de ville pour couvrir tous les quartiers. C’est donc l’ensemble de ces phénomènes qui, cumulés expliquent le taux de mortalité extrêmement important que nous connaissons aujourd’hui. 

La crise économique va avoir des effets désastreux dans les mois à venir. À quels effets peut-on s’attendre dans ces communes populaires ?

Dans beaucoup de ces communes populaires vivent des gens qui occupent des emplois mal rémunérés et souvent précaires, payés au SMIC ou même des temps partiels imposés pour beaucoup de femmes. Donc j’ai bien entendu les différents discours du Président de la République sur les héros de la nation, tous ceux qui ont continué à travailler durant le confinement. Mais ces héros, ils méritent une reconnaissance et pas seulement dans les discours. Quelles vont être les mesures ? Au-delà des primes, parce que les primes sont passagères. Quelles mesures va prendre le gouvernement pour permettre à ces héros d’avoir des CDI avec une rémunération convenable notamment dans des secteurs comme le commerce ? Je n’ai pas d’illusion, nous n’avons pas pu manifester le premier mai parce qu’il y avait le confinement, mais la meilleure façon de rendre hommage à tous ces héros du quotidien comme on les appels, serait dès le lendemain du déconfinement d’être dans l’action pour que l’argent ne serve pas aux dividendes, mais à ces hommes et ces femmes qui ont servi la nation et la république durant cette période.

Les jeunes de ces communes vont également être très impactés par la perte de plusieurs semaines de cours, comment pourrait-on « compenser cette perte » ?

Il va falloir que l’État aide les communes à mettre en place des protocoles afin de pouvoir rouvrir le maximum d’écoles dès que possible pour pouvoir accueillir les jeunes qui ont le plus besoin de poursuivre leur scolarité pour rattraper le retard il y a une dimension éducative extrêmement importante pour ces enfants qui vont ensuite retrouver deux mois de congés.

Ensuite, il y a la façon dont nous allons préparer la rentrée de septembre. Là encore, nous avons rendu hommage aux enseignants qui ont tout mis en œuvre pour assurer la continuité pédagogique. Maintenant, il faut savoir quels moyens nous allons donner demain à l’Éducation nationale pour qu’il y ait davantage de personnels de la maternelle jusqu’à l’université. On ne peut pas pousser aujourd’hui à reprendre l’école sous couvert de relance de l’économie, et ne pas donner à l’école de la république les moyens pour que tous les enfants poursuivent dans de bonnes conditions leur scolarité. Toute cette période de confinement a participé à creuser les inégalités face à l’éducation, que ce soit par le manque d’accès à internet, ou parce que les parents n’étaient pas en capacité de les seconder dans leur scolarité. Il va falloir donner les moyens à l’école de rattraper ces inégalités, certainement revoir les programmes afin de permettre les passages d’un niveau à un autre dans de bonnes conditions. Cela implique a minima des embauches de personnels et d’enseignants. 

Plus largement, quelles mesures devraient être prises à plus ou moins long terme dans les quartiers populaires ?

D’abord, il y a le problème des loyers. Des déclarations ont été faites concernant les difficultés de paiement des loyers. Je pense qu’il faut suspendre les loyers de mars et avril pour les personnes ayant perdu leur emploi ou bien étant en chômage partiel. Ce serait une mesure forte et nécessaire.

Il faudrait également accorder une prime en plus des allocations familiales, aux familles ayant dépensé beaucoup pour se nourrir afin qu’elles puissent sortir la tête de l’eau et se remettre à flot.

Et enfin, réfléchir à tous ces jeunes qui ont fait preuve de solidarité dans cette période. À la façon dont nous leur montrerons notre reconnaissance, via les associations pour les accompagner dans leurs parcours d’études, ou dans l’obtention d’un emploi stable. 

À plus long terme, cela passera par l’Éducation nationale. Il faut donner les moyens à tous les enfants, peu importe leur milieu social d’origine, de s’en sortir. 

Dans ce sens, j’ai déposé dernièrement une résolution visant à créer un revenu étudiant. C’est un moyen pour ces jeunes issus de communes populaires de pouvoir poursuivre des études. Pour un département aussi jeune que la Seine–Saint-Denis, cela permettrait, allié à la diversité des hommes et des femmes qui le composent, de faire éclore une richesse intellectuelle dans nos universités pour former nos futurs chercheurs et enseignants.

Mais cela passera également par la lutte contre la précarité dans le travail, l’égalité homme/femme et la fin des temps partiels imposés.

C’est toute une politique qu’il faut rebâtir à l’issue de cette pandémie. Au sortir de la Deuxième Guerre, le gouvernement issu de la résistance a été capable de mettre en œuvre toute une politique complètement nouvelle en créant notamment la sécurité sociale. En sortant de la pandémie mondiale que nous connaissons aujourd’hui c’est à cela qu’il nous faudra nous atteler. Une politique qui mettra à mal tout le discours libéral et de mondialisation capitaliste. Il nous faut créer une conception nouvelle de la république.


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