L’Océan: nouvelle frontière de l’impérialisme

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L’Océan: nouvelle frontière de l’impérialisme

« Qui tient la mer tient le commerce du monde, qui tient le commerce tient la richesse du monde, qui tient la richesse tient le monde lui-même » disait Sir Walter Raleigh, explorateur anglais du XVIème siècle. Une phrase d’une extrême actualité.

Un enjeu crucial pour le système capitaliste mondialisé

Dès qu’il s’agit de l’Océan, les capitalistes se confrontent à une contradiction entre liberté de circulation et exploitation des ressources. En effet, la mondialisation libérale n’est possible qu’avec une totale liberté de circulation sur les mers, par où transitent 80% des marchandises échangées. Dans le même temps, pour exploiter les richesses, il faut définir des zones de souveraineté étatiques  car ce qui échappe à la propriété échappe à l’exploitation. Voilà le dilemme : Donner une souveraineté à l’Etat sur les eaux, c’est lui donner la possibilité de restreindre la libre-circulation. Ne pas le faire, c’est se priver de nombreuses ressources  puisque la résolution 2749 de l’ONU interdit d’exploiter les ressources des fonds marins dans les eaux internationales.

Un espace de plus en plus soumis à des volontés d’appropriation

Tous les accords sur le droit de la mer, essentiellement, ceux de Genève en 1958 puis de Montego Bay en 1982 ont affirmé avant tout la liberté de circulation. Pourtant, depuis quelques dizaines d’années, de plus en plus de territoires marins sont passés sous contrôle des Etats, permettant l’exploitation des ressources. Notamment par le biais des Zones Economiques Exclusives, dont se sont dotés les Etats signataires de la convention de Montego Bay. Jean-Pierre Lévy, juriste auprès de l’ONU, résume ainsi la situation : « Au cours des 50 dernières années, plusieurs dizaines de millions de km² d’espaces maritimes sont passés sous le contrôle des Etats, réalisant ainsi la plus grande conquête territoriale de tous les temps ». Evidemment, le découpage de ces ZEE sur lesquelles les Etats ont le monopole pour l’exploitation des ressources halieutiques et du sous-sol est devenu un enjeu des luttes impérialistes. Comment pourrait-il en être autrement quand des intérêts économiques aussi considérables sont en jeu ?

Tensions entre impérialismes.

Ainsi, les litiges et tensions se multiplient, comme au large du Liban, dans une zone contestée par Israël. La présence du gisement gazier Léviathan, un des plus prometteurs du monde n’est certainement pas pour rien dans l’intérêt que portent les deux pays à ces eaux. Ailleurs, les tensions risquent même de se muer en conflit comme dans les mers de Chine méridionale et orientale où des îlots et des limites de ZEE sont contestés par la Chine, la Corée du Sud, le Japon, le Vietnam, les Philippines, la Russie,… Au milieu de  tous ces accapareurs potentiels, les Etats-Unis ont le double-rôle de gros bras protecteurs du Japon, et d’arbitre. Ce sont les tensions pour les ZEE qui ont motivé la politique de « pivot vers l’Asie » lancée par Obama. Ce renouveau de l’intérêt états-unien pour l’Asie n’aidera pas nos camarades du Parti Communiste Japonais à mettre la Navy hors de l’archipel.

L’Arctique, un espace à l’abri ?

Pourtant, jusqu’à il y a peu, un espace échappait plus ou moins à ces tensions. Depuis que les sous-marins américains avaient cessé de venir narguer les Soviétiques sous la glace, le terrain de jeu de l’Arctique avait un peu perdu de son intérêt : l’épaisse couche de glace empêchait de toute façon les puissances capitalistes d’ouvrir une route maritime ou d’exploiter les ressources du sous-sol. Bien évidemment, les brise-glaces à propulsion nucléaire hérités de l’époque soviétique permettent à la Russie de sillonner cet espace maritime depuis longtemps, mais il serait de mauvais goût de tourner le couteau dans la plaie et de rappeler que les Américains ne maîtrisent toujours pas une technologie connue des Soviétiques dès 1957 avec le lancement du NS Lenin.

Le réchauffement climatique réamorce les conflits

Seulement, en 1999 le conseil Arctique annonce que la banquise a perdu 40% de son épaisseur. Tout le monde sent bien que la donne est en train de changer, la fonte des glaces est une opportunité inouïe : une route passant par le Nord raccourcirait considérablement les délais de livraison entre l’Asie et l’Amérique du Nord, et les fonds marins sont supposés contenir 30% des réserves de gaz et 13% des réserves de pétrole du monde. Dès 2004, les revendications de redéfinition des ZEE commencent : le Danemark annonce qu’il considère que le Pôle Nord est géologiquement une prolongation du Groenland. En 2007, la Russie répond en envoyant un sous-marin planter le drapeau de la Fédération sous le pôle Nord. Aujourd’hui encore, les géologues s’affrontent pour déterminer si la dorsale Lomonossov peut être considérée comme un plateau continental, auquel cas la souveraineté sur l’océan Arctique serait russe, au regard du droit international. Encore une fois, la science est soumise au diktat des intérêts économiques.

Un apaisement passager dû à la conjoncture économique

Avec la diminution des coûts de transport par bateau (une filière à deux doigts de la crise de surproduction après la crise de 2008) et celle des prix du pétrole, l’enjeu dans l’Arctique est devenu moins brûlant. Cependant le pétrole est bien là, et toutes les grandes entreprises du secteur n’attendent que la remontée des cours pour lancer l’exploitation. Rien, ni l’écologie, ni l’opposition des 150 000 Inuits réunis en Conseil depuis 1957, ne les détournera de cette course au profit. En 2011, les firmes BP et Rosneft ont passé un accord de coopération pour se partager des ressources pétrolières, y compris dans les eaux internationales. Comme d’habitude, le droit international s’efface devant les revendications monopolistes des grands capitalistes. En 2015, certains écologistes criaient victoire : la Royal Dutch Shell annonçait qu’elle cédait ses permis de prospection pétrolière dans les eaux canadiennes à une ONG de protection de la nature. Une belle opération de communication qui a immédiatement séduit, Greenpeace parlait même dans un communiqué de « belle victoire des citoyens ». Les capitalistes ont-ils reculés face à la détermination, par ailleurs louable des écologistes ? Rien n’est moins sûr.

Les grandes compagnies à l’affut.

En 2016, après la COP 21, Eric Serres s’interrogeait dans un article pour l’Humanité: « Que penser d’un Total qui dit ne pas vouloir exploiter l’Arctique et annonce aussi son désir d’accroître ses investissements dans l’énergie solaire ? ». Il trouvait, lui, des raisons purement économique à ce brutal engouement des firmes pétrolières pour l’écologie. La firme Total elle-même déclarait au journaliste que, pour l’instant, le coût du baril en Arctique était trop élevé et que Total abandonnait donc ses projets de production. Pourtant, cela n’empêche pas ces entreprises de couvrir leurs arrières en cas de remontée des cours : Total a d’ores et déjà négocié un partenariat avec Gazprom  et les compagnies continuent d’investir dans la recherche et le développement de nouvelles techniques de forage. La prétendue victoire citoyenne n’est donc qu’une manœuvre stratégique des compagnies pétrolières qui se sont offert à peu de frais un vernis écolo et attendent la moindre opportunité pour fondre sur l’Arctique.


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