La loi du maximum, tournant social pour la Révolution française ?

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La loi du maximum, tournant social pour la Révolution française ?

Le 4 mai 1793, la Loi du maximum est promulguée. En fixant un prix maximum pour le grain, cette loi remettait en cause les principes de liberté économique défendus jusqu’alors par la Révolution française. Est-ce pour autant suffisant pour parler de tournant social ?

Une mesure de subsistance pour faire face à la crise

Facteur essentiel du déclenchement de la Révolution française,  la crise économique et financière s’amplifie avec le déclenchement de la guerre en 1792. La hausse vertigineuse des prix du grain a des conséquences dramatiques pour le peuple. Le pain reste en effet à cette époque-ci la base de l’alimentation pour une majorité de la population.

Pressée par les sans-culottes parisiens et par les Montagnards qui ne cessent de renforcer leur influence, la Convention girondine accepte alors de voter la loi sur le maximum. Promulguée le 4 mai 1793, cette loi impose aux cultivateurs de déclarer la quantité de grains qu’ils possèdent et n’autorise la vente que dans les marchés. Surtout, elle impose un prix maximum pour le grain dans chaque département.

À partir du 2 juin, le pouvoir au sein de la Convention passe aux mains des Montagnards. Le 23 juillet, Robespierre rentre au Comité de Salut public qui fait office de gouvernement révolutionnaire. Le nouveau pouvoir s’appuie sur la foule des sans-culottes, c’est-à-dire le petit peuple de Paris, et doit donc lui donner des gages pour conserver son soutien.

Le 23 juillet, une loi condamne à mort les accapareurs. Le 11 septembre, le prix maximum du grain est fixé à 14 livres le quintal sur l’ensemble du territoire. C’est encore insuffisant pour les Parisiens. Le 22 septembre, les sections de la capitale, soutenues par la Commune, présentent une adresse à la Convention lui demandant d’intervenir sur les prix de toutes les denrées de première nécessité. La Convention s’exécute en votant le 29 septembre la loi du maximum général.

Viande fraîche et salée, lard, beurre, huile, savon, bois de chauffage, laine, souliers… Ce sont au total trente-neuf denrées et marchandises considérées comme étant de première nécessité qui se voient imposer un prix maximum.

Une avancée sociale ?

Alors que depuis 1789 la Révolution s’était principalement faite dans l’intérêt de la bourgeoisie, voici que la loi du maximum introduisait une mesure sociale, soucieuse d’améliorer les conditions de vie du peuple. De plus, en autorisant les réquisitions chez les détenteurs de grains et imposant un prix maximum et des lieux de vente spécifiques, cette loi limitait de fait le fameux droit de propriété pourtant érigé au rang de droit naturel « inviolable et sacré » par la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.

Dès lors, on comprend mieux que la loi du maximum ait pu être considérée par beaucoup comme une étape clé de la Révolution française, voir comme un tournant social.

Pourtant, une analyse plus poussée doit amener à la prudence. L’établissement de la loi sur le maximum répond davantage à une exigence liée à la défense nationale qu’à une préoccupation sociale. La France est en guerre et la Convention doit adapter l’économie aux impératifs du conflit. Avec les réquisitions, le contrôle du commerce extérieur et l’établissement de manufactures d’État, une économie dirigée se met progressivement en place. Pour l’historien Albert Soboul, la loi sur le maximum n’est dès lors « que le complément nécessaire à la réquisition ».

Par ailleurs, l’application effective de la loi sur le maximum n’est pas la priorité de la Convention. Dans les faits, la première loi sur le maximum des prix n’est pas vraiment appliquée. Le fait que la Convention montagnarde revote une loi sur le maximum des prix le 11 septembre 1793 est d’ailleurs révélateur de l’absence d’application de la première loi. La loi du maximum général du 29 septembre aura également un impact limité par rapports à ses ambitions initiales: malgré les protestations des sans-culottes, le Comité de salut public  tolérera la violation des prix maximum fixés pour tous les produits à l’exception du pain. En outre, dès le printemps 1794, il décide d’assouplir la législation et les contrôles.

Rajoutons enfin que le maximum des prix avait un corollaire : le maximum des salaires ! Un montant maximum fut fixé pour les salaires. Dans la pratique, l’application de ce maximum correspondit à une baisse du salaire journalier pour de nombreux ouvriers.

Si le symbole est fort, la réalité est donc plus mesurée. Nécessité de guerre plus que mesure sociale, la loi sur le maximum eu au moins le mérite d’assurer à peu près le pain quotidien aux classes populaires.

Robespierre et les montagnards, prisonniers de leurs contradictions

Dans un livre paru en 2012, Alexis Corbière et Laurent Maffeïs jugeaient pertinent de se baser sur la loi du maximum pour décrire Robespierre comme « un pionnier du partage des richesses ». A la vue du bilan en demi-teinte de cette loi, il est difficile pourtant, sauf à vouloir réécrire l’histoire, de souscrire à cette analyse.

Nettement plus pertinent, l’historien et spécialiste de la Révolution française Albert Soboul présentait Robespierre et les Montagnards comme prisonniers de leurs contradictions. La Convention montagnarde bénéficiait d’une réelle assise populaire. Les sans-culottes avaient permis l’accession des Montagnards au pouvoir, les soutenaient  et attendaient en retour des mesures fortes, notamment pour soulager la misère du peuple. Mais dans le même temps, les députés de la Convention, Robespierre en tête, demeuraient des bourgeois adeptes de la liberté économique. Ils ne s’engageront qu’à contrecœur dans l’économie dirigée.

Pour Albert Soboul, le maximum des prix est « plein de contradictions de par sa volonté de maintenir la propriété privée tout en la limitant dans ses effets ». Robespierre lui-même pétri de contradictions sur la question de la propriété : pourfendeur de « l’extrême disproportion des fortunes », il affirme en même temps que « l’égalité des biens est une chimères ».

Ces contradictions furent fatales à la Convention montagnarde. Heurtée par la loi du maximum qui limitait sa liberté économique, la bourgeoisie d’affaire se ligua contre Robespierre. Déçus par le Comité de salut public qui n’appliquait pas avec assez de vigueur cette loi, le mouvement populaire fut à peu près passif devant la chute de Robespierre.

Ce qui a manqué à la loi sur le maximum et à Robespierre, c’est une remise en cause du principe même de propriété privée. Laquelle arrivera avec Gracchus Babeuf et la « Conjuration des égaux », souvent qualifiés de précurseurs du communisme.


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