Mais qui en veut à la laïcité ?

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Mais qui en veut à la laïcité ?

On entend parfois dire que la laïcité est un débat éternel, une marotte, voire une obsession bien propre au paysage politique français. Si la laïcité représente un des principes fondamentaux de la République, sa remise en question reste assez récente par rapport aux premières lois de laïcité adoptées en France, à la fin du XIXe siècle. Et ces nouveaux débats s’inscrivent souvent dans une volonté d’utilisation, voire de perversion, du principe laïc.

Marianne contre l’Église

La Révolution française de 1789 ne met pas fin à la puissance de l’Église. Du fait du tumulte politique de la période et de la chute du pouvoir montagnard à l’été 1794, le contrôle politique de l’État sur les cultes et la sape de la religion chrétienne au profit de la Raison voulu par une gauche en construction ne verra jamais le jour. Les deux empires qui succéderont à la Ière République vont au contraire renforcer l’emprise du catholicisme sur la société française (tout en établissant concrètement la mainmise de l’Empereur sur le clergé).

Ce n’est qu’avec l’établissement de la IIIe République que l’idée d’une République laïque qui avait déjà germé dans beaucoup d’esprits ne commence à prendre forme. Les lois Jules-Ferry sur l’instauration d’un enseignement public, laïc et obligatoire sont connues de tous : elles inaugurent la fin du mariage de la Nation avec la religion catholique. Du fait de son histoire révolutionnaire, mais aussi de la force de la franc-maçonnerie adogmatique et anticléricale (représentée par le Grand Orient de France), la République coupe peu à peu ses liens avec l’Église, qui pourtant continuera de mener le combat pour maintenir sa place au sein de la société française.

La très célèbre loi du 9 décembre 1905 n’est donc pas la première résurgence d’un idéal laïc dans l’Hexagone : elle est l’achèvement d’un long processus d’émancipation du pays et la codification d’un principe devenu le « quatrième volet du triptyque » liberté, égalité, fraternité. En décidant de la séparation définitive des cultes et de l’État, la loi de 1905 inaugure un système de cohabitation des religions et de la République unique au monde. Son but est à la fois de ramener la foi au domaine privé et d’assurer l’égalité de tous les citoyens, quelle que soit leur foi, devant les lois républicaines.

Pendant longtemps, ce principe de laïcité s’est renforcé en même temps que la pratique de la religion majoritaire dans le pays, le catholicisme, ne s’amenuisait pas. Mais les bouleversements de la fin du XXe et du début du XXIe siècle ont profondément bouleversé les rapports à la fois du peuple français et de sa représentation politique au principe de laïcité.

Le retour de la foi

Depuis quatre-vingts ans, le catholicisme subit une lente déprise de la place hégémonique qu’il avait acquise depuis l’Antiquité romaine. Aujourd’hui, le nombre de pratiquants catholiques est évalué entre 2 et 5 % de la population française. Cet affaiblissement progressif du catholicisme explique en partie le caractère majoritaire et indiscuté du principe de laïcité en France durant de nombreuses décennies.

Or, la seconde moitié du XXe siècle est aussi le temps de l’explosion des déstructurations coloniales entraînées par la présence française en Afrique, mais aussi au Moyen-Orient, l’émergence des mouvements islamistes alimentés par la lutte occidentale contre les États socialistes, les guerres impérialistes lancées par les États-Unis et parfois soutenues par la France. Ces signaux de l’affaiblissement de l’emprise coloniale occidentale sur le monde ont généré un regain de dynamique pour les mouvements intégristes islamiques, se revendiquant comme le seul réel obstacle entre l’Occident et les pays exploités par celui-ci.

Cette dynamique s’est révélée aussi en France. Surtout prégnante chez les générations les plus récentes issues de l’immigration, la structuration de la jeunesse de certains quartiers populaires par les mouvements religieux intégristes représente une transformation du rapport des populations à la religion. On retrouve ainsi des organisations comme le Tabligh, les Frères musulmans ou encore les salafistes (souvent rangés de manière pratique, mais tout à fait erronée dans la qualification « djihadistes » par les responsables politiques) qui participent à la radicalisation du discours et des mœurs au sein de la société française.

Face à ce mouvement de fond, les milieux intégristes catholiques connaissent, eux aussi, une dynamique ascendante. Mais celle-ci se déploie davantage dans le discours public et médiatique. On a vu ainsi la campagne du très présidentiable François Fillon en 2017 être financée et soutenue par les réseaux homophobes issus de la Manif pour Tous. De même, le développement de l’empire Bolloré (lui-même militant acharné d’un catholicisme agressif et rétrograde) sur le petit écran a autorisé la diffusion de programmes absurdes, comme la chaîne CNEWS qui a diffusé le dimanche 2 octobre 2022 40 minutes d’émission sur le « combat contre les démons » et l’identification de « l’Antéchrist ».

La laïcité en danger ?

De fait, cette présence renouvelée des religions dans l’espace public et médiatique, de manière officieuse ou officielle, met en danger le modèle républicain d’émancipation construit depuis le XIXe siècle. Il existe des signaux forts de la remise en question de la laïcité : lorsque l’intolérance vis-à-vis de la critique de la religion et de ses icônes culmine dans l’horreur des attentats de Charlie-Hebdo ou du 13 novembre 2015, plus récemment dans l’assassinat de Samuel Paty et Dominique Bernard. Ces attentats inqualifiables ne constituent pas l’apanage des mouvements islamistes : le 22 juillet 2011, 69 jeunes socialistes sont tués sur l’île d’Utøya (Norvège) par un fondamentaliste chrétien, Anders Brevik.

Mais des signaux faibles se révèlent également dans des événements moins dramatiques, mais révélateurs de la tendance générale d’affaiblissement du principe laïc. La période des fêtes de Noël est systématiquement l’occasion pour la droite de s’exclure du champ républicain en violant la loi et en installant des crèches au sein des mairies, comme à Béziers, Perpignan. Les sénateurs LR, derrière le sénateur Stéphane Le Rudulier des Bouches-du-Rhône, ont même proposé d’inscrire dans la loi de 1905 l’autorisation des crèches de la Nativité dans les mairies ou Salon-de-Provence.

De la même manière, un combat contre la laïcité s’est aussi initié dans une certaine partie de la gauche, par exemple par la remise en cause de la loi de 2004 qui interdit le port de signes religieux ostentatoires dans les écoles, notamment par la députée LFI Danièle Obono ou encore le récent communiqué produit par les députés LFI du Nord défendant la continuation du contrat avec l’État du lycée privé musulman Averroès de Lille, financé par le Qatar et proche des milieux salafistes.


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