Les manifestants sont-ils les complices des casseurs ?

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Les manifestants sont-ils les complices des casseurs ?

Le ministre de l’intérieur a déclenché une levée de bouclier suite à ses déclarations pendant la manifestation du 26 mai, accusant les manifestants d’être les complices des “black-blocks”.

Un ministre dans la provocation

“Ce qui étonnant, c’est que des black blocs puissent intervenir au milieu d’une foule qui finalement, ne réagit pas. Je crois que si demain on veut garder le droit de manifester, qui est une liberté fondamentale, il faut que les personnes qui veulent exprimer leurs opinions puissent aussi s’opposer aux casseurs et ne pas, par leur passivité, être complices de ce qui se passe”

La provocation des propos est largement assumée, et pour une part probablement calculée. Le potentiel de sympathie pour les mobilisations contestataires est largement annihilé par le rejet que suscite les violences dans un large part de la population. Le gouvernement a donc tout intérêt à assimiler les premières aux secondes.

La nouveauté vient dans l’appel aux manifestants du ministre de l’intérieur, donc a priori garant de l’ordre public, à s’opposer aux “casseurs”. Outre le caractère étrange pour le premier flic de France à demander aux citoyens de faire respecter l’ordre par eux-même, c’est la conclusion que la non opposition vaut complicité qui surprend le plus.

Cependant dans le cortège de réactions indignées qui ont suivi, des étrangetés et des surprises sont également apparues. La déstructuration des cortèges syndicaux rend bien difficile la thèse des deux manifs différentes.

Deux cortèges pas si hermétiques

Dans les villes concernées par l’existence systématique d’un “cortège de tête” comme les participants le nomme, il est de plus en plus difficile de définir où ce dernier commence et où il finit. L’ordonnancement négocié entre les syndicats ne s’applique de plus en plus qu’aux camions sono.

La diminution de l’engagement syndical, l’atomisation des lieux de production, et la désintégration des syndicats étudiants, ont conduit à un nombre croissant de manifestants qui vont en manif comme au supermarché. L’engagement de ces derniers n’est pas moins fort, ni moins légitime, il est en revanche consommateur de la manifestation plutôt que participant.

Dans un mouvement rationnel, ces manifestants orphelins, également confrontés à des syndicats qui peinent à s’adresser à eux et plus largement à donner un sens au défilé, ont pour une part trouvé une place en dehors des cortèges, ou plutôt devant.

D’autant que depuis longtemps, des groupes plus ou moins constitués rejettent la légitimité des syndicats et leurs modes d’action. Ces derniers, ont notamment à l’occasion de la mobilisation contre la loi Travail en 2016 largement profité des mobilisations des jeunes pour bousculer le monopole syndical sur les manifestations. Incapables d’impulser leur agenda propre, ils restent à la fois contraints par l’agenda syndical tout en le contestant.

Dans les faits, les syndicats tolèrent largement ces nouveaux venus. La tête du cortège ne fait plus l’objet d’affrontements, et dans certains endroits, les deux cortèges ne font qu’un.

La violence

La violence est largement condamnée et rejetée, seules les forces de l’ordre bénéficient d’une certaine légitimité à l’exercer, mais même dans ce cadre, la violence est de moins en moins acceptée. Le déploiement d’une violence contre les biens, les infrastructures publiques, et les forces de l’ordre est donc profondément subversive.

Son illégitimité contraste d’autant plus avec la légitimité démocratique des décisions politiques contre lesquelles sont souvent dirigées les manifestations dernièrement. En ce sens elle apparaît comme la contestation suprême, la plus grande radicalité. L’inutilité, le caractère contre productif sont masqués par l’inutilité apparente des défilés pacifistes qui n’ont permis aucune victoire d’envergure depuis plus de dix ans.

La forte médiatisation de ces violences les rend d’autant plus attrayantes que les mobilisations pacifistes sont souvent ignorées. Le soir à la télé, le ministre est plus gêné par les vitrines cassées et les policiers blessés que par le fait que près d’un demi-million de ses fonctionnaires aient cessé le travail.

Enfin, la violence s’auto-alimente, les charges policières, les tirs de grenades lacrymogènes, par leur légitimité viennent paradoxalement légitimer la violence des manifestants, au moins aux yeux de ces derniers. Pour les groupes qui en jouent, les affrontements ainsi créés justifient leurs méthodes d’actions, leurs discours et leur existence. A la fin la question de la violence s’efface, pour laisser uniquement la place à celle de la légitimité. Celles des policiers, face à celle des “black-blocks” ou autre.

Les manifestants complices ?

Les manifestants qui ne participent pas au violence, mais qui font de fait partie d’un même défilé sont-ils les complices de ces derniers ? A priori la participation à une manifestation ne rend pas solidaire des agissements de l’ensemble des manifestants. Pourtant la répétition régulière depuis au moins deux ans, du même scénario, doit conduire à s’interroger.

Les syndicats qui sont les principaux organisateurs des manifestations, ont, de fait, renoncer à diriger l’ensemble du cortège, ou même à se désolidariser clairement du “cortège de tête”. Les différentes tentatives observées lors de la loi travail, de distinguer les cortèges, ou même dans certaines villes de changer de lieux, n’ont pas perduré et ont été abandonnées.

Les groupes qui font le choix de l’action violente, se montrent incapables de produire leurs propres manifestations, et continuent d’appeler à celles proposées par les syndicats. Ils se sont montrés bien moins résistants aux interventions policières privés d’un “cortège de queue”.

Pour autant les manifestants, comme les organisations syndicales sont aujourd’hui largement dépassés par les affrontements, et bien incapables d’y mettre fin. Leur passivité est davantage imposée par une surenchère, tant dans l’action violente que dans la réponse policière, que par une complicité dont on ne voit pas où est leur intérêt. Pour le gouvernement, la situation est une aubaine, il lui suffit juste d’alimenter des affrontements qu’il n’a pas besoin de provoquer pour ensuite mettre la légitimité de l’ordre face à celle de la contestation.

Il y a donc matière à débattre et à échanger entre celles et ceux qui se mobilisent et qui seront des prochaines mobilisations à venir. On voit bien que l’argument de la “diversité des tactiques” perd en crédibilité dès lors que les tactiques des uns empêchent les tactiques des autres. Ce débat, s’il n’a pas pour l’instant de réalité concrète, palpable partout, devrait animer les réflexions de nombreux acteurs des mobilisations dans le cas d’une rentrée offensive comme elle est d’ores et déjà annoncée.


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