Maria Martinez, doctorante en Allemagne, candidate en Espagne

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Maria Martinez, doctorante en Allemagne, candidate en Espagne

Dans le cadre d’une série d’entretiens avec des étudiantes candidates aux élections au Parlement européen, nous avons rencontré María Martinez. Doctorante à l’Université Libre de Berlin, elle est aussi responsable d’Izquierda Unida Exterior et candidate aux élections européennes.

Merci de nous accorder un entretien en pleine campagne et au lendemain des élections générales. Peux-tu te présenter ?

Je viens de Villena, une commune de la province d’Alicante. Je vis, depuis huit ans, à Berlin. Je fais partie de ces nombreuses femmes qui ont quitté l’Espagne à cause du chômage de masse. En ce moment, je finis mon doctorat à la faculté de journalisme de l’Université Libre de Berlin où je suis également enseignante. Je suis militante d’Izquierda Unida Exterior et candidate aux élections européennes.

Depuis quand t’es-tu engagée politiquement ?

Je suis intéressée par la politique depuis longtemps. Sympathisante d’Izquierda Unida, j’ai vite côtoyé des collectifs et les mouvements sociaux. J’ai collaboré trois ans à l’Office de la Précarité de Berlin, un groupe de travail du 15M. Nous aidions les migrant.e.s venu.e.s d’Espagne mais aussi des autres pays du sud. C’est lorsque nous sommes face au conflit, dans la rue, que nous pouvons sentir sur notre peau le résultat d’une mauvaise gestion politique. On s’aperçoit que les décisions prises par les institutions affectent notre quotidien. C’est à ce moment-là que je me suis décidée de faire un pas en avant et militer à IU parce que cette formation est depuis longtemps l’espace politique loin du bipartisme espagnol qui a défendu les droits de la classe ouvrière. C’est un mouvement qui a toujours été dans la rue, auprès des luttes, et non seulement dans les institutions : dans les manifestations pour la défense de la santé publique, contre les coupes budgétaires dans l’éducation publique, contre la hausse des frais universitaires…    

Quel regard portes-tu sur les élections générales du dimanche 28 avril ?

Tout d’abord, je pense que la première chose à souligner et à célébrer est la large participation des citoyens espagnols, qui a dépassé les 75% ! C’est sans aucun doute une excellente nouvelle pour l’Espagne et montre la santé démocratique de notre pays. Ce fut une élection décisive, dans laquelle nous avions beaucoup d’enjeux. La réaction de la population a été adaptée aux circonstances. En ce sens, je voudrais également souligner les efforts des citoyens espagnols à l’étranger qui, malgré tous les obstacles bureaucratiques, ont exercé leur droit de vote. En ce qui concerne les résultats, ils ne sont pas à la hauteur de ce que nous attendions pour Unidas Podemos (NDLR : coalition entre Izquierda Unida et Podemos). Mais si nous tenons compte du moment politique très particulier, nous constatons que, malgré tout, les résultats nous ont permis d’atteindre nos objectifs fondamentaux : stopper l’avancée de l’extrême droite et travailler à la formation d’un gouvernement de gauche qui protège les familles qui travaillent. Les gens ont envoyé un message clair :  ils et elles veulent que l’Espagne soit gouvernée par les forces progressistes. Par conséquent, nous ne pouvons qu’être reconnaissants de cette confiance, de la mobilisation extraordinaire de la population et continuer à mener le travail politique, à commencer par la campagne pour les élections européennes.

Comment es-tu devenue candidate aux élections européennes ?

Il y a deux ans et demi, nous nous sommes aperçu.e.s que le contexte migratoire espagnol avait changé. Nous avons décidé de refonder Izquierda Unida Exterior. Nous avions besoin d’une nouvelle structure mieux adaptée, une seule fédération qui organise les assemblées de base dans tous les pays. Ensuite, un grand travail a eu lieu à l’étranger. Ce travail a également eu une grande répercussion dans notre mouvement, qui, dans notre cas, s’est matérialisée avec la participation aux processus électoraux pour que l’immigration espagnole ait aussi une représentation dans les prochaines listes aux élections du parlement européen.

Quelles revendications veux-tu mettre en avant pendant la campagne ?

Souvent, on croit que la politique européenne n’a aucun effet direct sur notre vie… Au contraire, son effet est bien plus direct que ce que l’on croit. Pour moi, l’axe fondamental de cette campagne est de mettre en évidence que, depuis 2008, l’Espagne et les autres pays du sud, en général, ont souffert des politiques d’austérité de l’Union Européenne, avec des coupes budgétaires qui affectent comme toujours la classe ouvrière de ces pays. Dans notre cas, en Espagne, le résultat de ces politiques est la réforme express de la constitution espagnole, en 2011, qui a priorisé le paiement de la dette sur les besoins de la population. Le sauvetage de la banque espagnole a nécessité 60.000 millions d’euros qui s’ajoutent à la dette publique. En conséquence les services publics se sont dégradés. Les réformes du travail, les privatisations en sont le résultat.  Une profonde crise du régime a démontré deux choses : la première, c’est une claire perte de souveraineté de notre population ; et la seconde, une dégradation de la qualité de vie dans notre pays. Cette situation a non seulement été un terrain fertile pour la montée de l’extrême droite mais aussi mis en avant la nouvelle vague de migration espagnole. Je fais partie de la liste de l’IU pour les élections européennes parce que je représente toutes ces personnes qui ont dû quitter leur pays pour chercher un emploi à l’étranger : jeunes et moins jeunes, tous et toutes sont en train de souffrir du chômage et de la précarité, le résultat de ces politiques d’austérité.

Il est donc indispensable de mettre en évidence le besoin d’aborder un processus politique, un processus constitutionnel en Europe pour lutter contre la politique de coupes budgétaires et d’austérité néolibérale. Nous avons besoin de récupérer nos droits, pour une Europe plus solidaire. Cette Europe doit renverser la souffrance de la population, des familles qui travaillent et respecter les droits de l’homme.

En quoi le programme de ton parti représente-t-il les étudiants ?

L’éducation est un pilier fondamental dans la construction d’une Europe plus égalitaire et solidaire. L’éducation est un droit fondamental qui permet l’émancipation et la création d’un esprit critique…plus que jamais nécessaire. Nous défendons donc la nécessité d’une éducation publique européenne de qualité, gratuite, inclusive, participative et interculturelle. Elle doit garantir l’égalité des droits et des chances. Ainsi, nous proposerons une charte européenne des droits éducatifs qui garantirait des droits comme la gratuité et la laïcité. Nous travaillerons, bien sûr, pour renverser les processus de privatisations et de subordination de l’université aux intérêts du marché, provoqués par le processus de Bologne. L’enjeu est la redéfinition des programmes de mobilité et des bourses, comme Erasmus, pour qu’ils soient véritablement accessibles à toute la population.

La vague #Metoo s’est exprimée sur les universités et a été très forte en Espagne. Comment expliques-tu cette montée du mouvement féministe ?

Le mouvement #MeToo contre les agressions et le harcèlement sexuel est une démonstration de la vague imparable qu’est le féminisme. C’est un mouvement qui a exprimé un soutien aux femmes du monde entier, avec d’abord l’exemple du harcèlement subi dans l’industrie du cinéma, qui a identifié le harcèlement présent dans les relations quotidiennes. Ces situations de harcèlement et de discriminations, nous les avons toutes subies à différents moments de notre vie. Le féminisme se transforme et nous interpelle toutes. Nous sommes en train d’occuper et de conquérir des espaces symboliques que personne ne peut nous enlever. Il n’y a pas de marche en arrière. Le féminisme, grâce à son caractère transversal, peut s’adapter à tous les endroits de la vie, de l’économie, de la santé, de l’écologie, la mobilité, l’urbanisme, et bien sûr, l’éducation. La destruction des services publics a affecté particulièrement les femmes. La crise économique s’est acharnée contre les femmes. Nous assumons la prise en charge de la contraception, des soins, à l’intérieur et à l’extérieur du foyer, de l’emploi pour suppléer les carences des services publics que les politiques néolibérales détruisent.

Quelles luttes féministes portes-tu comme étudiante ?

Face à la situation que je viens de décrire, il faut revendiquer le potentiel mobilisateur du mouvement féministe, de son caractère transversal et sa capacité d’autogestion. Le 8 mars a été un exemple d’un bloc historique capable de s’organiser internationalement et de mobiliser les femmes du monde entier dans la rue, dans les différents espaces associatifs, autour de l’égalité, contre les inégalités salariales, contre les violences masculinistes et institutionnelles… Nous avons donné une leçon non seulement de dignité, mais aussi d’organisation et de transformation social et politique. C’est pour cette raison, qu’en tant que femme et étudiante, je pense qu’il est indispensable de défendre et d’encourager la culture féministe qui promeut l’accès à la connaissance produite par les femmes, comme la création féministe, qui revendique le rôle des femmes comme actrices et protagonistes des changements sociaux, politiques et économiques. Actuellement, nous trouvons une exception historique et une crise du régime avec l’arrivée de l’extrême droite et de l’autoritarisme. Au contraire, le féminisme vient nous parler de justice, d’émancipation, d’égalité et de diversité… Tout son processus historique et pédagogique doit, d’un côté, être un pilier dans l’éducation que nous allons enseigner aux générations futures, et, d’un autre côté, encourager la jeunesse qui va occuper les responsabilités publiques de demain de s’engager de plus en plus, comme c’est le cas des mouvements tels que les Fridays for future.

Le mouvement de grèves climatiques a commencé à prendre de l’ampleur dans les universités espagnoles. Quelle analyse en tires-tu ?

Le changement climatique est, peut-être, le plus grand défi auquel notre humanité fait face aujourd’hui. Actuellement, il est évident que le capitalisme est absolument incompatible avec la vie car la planète arrive à ses limites matérielles. Face à cette situation, nous ne pouvons pas rester les bras croisés et la mobilisation écologiste estudiantine s’inscrit dans l’initiative internationale des #FridaysForFuture, où les étudiants du monde entier s’organisent pour exiger des politiques réelles pour lutter contre le changement climatique. Ce mouvement donne aussi un exemple d’organisation militante. Cette situation ne passe pas inaperçue, même pas pour les élites politiques et économiques, évidemment ces élites commencent à élaborer des stratégies pour limiter le réchauffement global. Cependant, il faut s’interroger sur la nature de ces mesures proposées par les élites pour sortir de la crise écologique, qui ne sont que la reconversion industrielle de leurs propres oligopoles.

Quelles actions mener au parlement Européen pour une révolution climatique?

Avec la gauche européenne, nous devons travailler à un véritable pacte éco-social. Nous voulons la transformation du modèle économique pour un modèle plus juste et durable, prenant en compte les besoins des classes populaires. Un pacte social, plus solidaire, basé sur une économie orientée vers la décroissance énergétique et matérielle, un pacte durable, une Politique Agricole Commune (PAC) orientée vers la souveraineté alimentaire, pour protéger la biodiversité et atténuer la pauvreté énergétique… Dans ce sens-là, depuis le parlement européen, nous devons approfondir les politiques contre le changement climatique en établissant des mécanismes d’intervention et de contrôle plus stricts. Il faut enfin donner une perspective plus démocratique à ce type de politiques.

L’abstention touche beaucoup les jeunes. Comment peut-on les convaincre de voter en mai ?   

D’une part, elle est compréhensible, nous avons toute une génération de jeunes qui n’ont connu que la misère et la précarité, le chômage ou la migration. On leur vend la précarité de l’emploi comme le travail flexible, la perte des droits comme l’autonomie, la migration comme la mobilité. Cependant, en réalité, nous avons tous et toutes besoin d’un emploi digne, de l’accès au logement, la sécurité et la liberté de pouvoir choisir un avenir sans crainte et sans incertitude. On parle de la « génération sans avenir », cependant, je suis certaine que cette jeunesse est combative, fils et filles du mouvement 15M, et des mouvements sociaux qui vont se battre, comme ils le font actuellement mais que le gouvernement ne veut pas voir.  Ces mouvements ont fini dans les listes électorales et peut-être demain seront dans les institutions. Cette génération va nous surprendre, je vois chez mes ami.e.s une vraie prise de conscience. C’est toujours dans les moments plus difficiles que les portes sont ouvertes. Notre Histoire l’a montrée. C’est vrai qu’il nous reste beaucoup de travail à faire et beaucoup de consciences à éveiller. Nous devons faire un appel à la jeunesse pour qu’elle assume le défi historique auquel elle doit faire face. Un appel à la responsabilité sociale pour sortir dans la rue et voter, mais aussi acquérir de nouveaux droits et prendre en main notre destin. Pour cela, la gauche a le défi de changer le système et reprendre les espaces dans lesquels la population se trouve, se reconnaît et transfère ses revendications aux institutions.

Quelle stratégie pour la gauche au niveau européen ? Comment travaille-t-on pour créer une conscience européenne des travailleurs et travailleuses ?

Bon, il y a beaucoup de choses à dire, mais certains sujets doivent être posés sur la table immédiatement. A commencer par le modèle de l’intégration européenne. Un modèle qui ne répond pas aux besoins des populations en Europe et des familles des classes populaires. L’Europe n’est pas construite sur la base des besoins des personnes, mais sur la base des marchés et des élites économiques.

Pourtant, il faut récupérer la souveraineté des peuples pour permettre la sortie de la crise financière, dans l’intérêt des classes populaires, en mettant la vie de la population au centre. Nous parlons de choses simples comme la lutte contre la précarité et l’accès à un travail digne. Il y a des personnes qui, aujourd’hui, travaillent et qui se trouvent au seuil de pauvreté, presque exclues du système.  Nous avons un besoin urgent de redistribution de la richesse fondée dans un nouveau modèle de développement social et écologique. Un nouveau modèle d’intégration européenne plus solidaire, qui respecte les droits de l’homme. Il faut lutter contre l’Europe forteresse et donner une sortie solidaire à la situation des migrant.e.s et des réfugié.e. en Europe. Nous devons être capables d’articuler une réponse commune face aux politiques criminelles de l’Union européenne sur le traitement des réfugié.e.s. Nous devons mener une politique pour combattre l’extrême-droite et son discours repris par plusieurs partis politiques qui l’ont dangereusement incorporé au débat public. L’union des forces à gauche peut incorporer l’agenda féministe comme élément décisif pour combattre le capitalisme. Le patriarcat est la colonne vertébrale du capitalisme, il faut amener ces questions au débat. En définitive, à Izquierda Unida, nous pensons que nous faisons face à un moment historique qui exige l’union pour la transformation de notre pays, mais aussi de l’Europe. De l’Europe des marchés à l’Europe qui représente les classes populaires, une Europe qui met les vies des classes populaires au centre.


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